Une nuit de Ramadhan avec les gardes communaux,Des hommes toujours debout

Une nuit de Ramadhan avec les gardes communaux,Des hommes toujours debout
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Un bivouac pour le Ramadhan loin de leurs foyers

Stoppés dans leur déferlante sur Alger, ils ont installé leur campement à Boufarik.

Sur la route menant de Blida vers Alger, plus précisément à Boufarik, plus de 20 000 gardes communaux ont installé leur campement. Un bivouac pour le Ramadhan, disent-ils, loin de leurs foyers, à défaut d’une progression vers Alger, mais surtout du fait de leurs revendications qui demeurent lettre morte. Ces anciens gardiens de la République ont squatté deux vastes champs pour élire leur domicile. L’un des champs est moissonné, tandis que l’autre est une orangeraie. Le décor convient parfaitement aux gardes communaux refusant fermement de plier bagage avant que le président de la République ne prenne les décisions effectives pour répondre à leurs doléances. Ainsi, des abris, essentiellement faits en roseaux, sur lesquels flotte l’emblème national, érigés à perte de vue ont été réalisés à l’occasion, tandis que des huttes, des tentes de fortune et des baraques faites à l’aide de branchage et de roseaux, ont été aménagées pour installer leur casernement que rejoignent quotidiennement des centaines de gardes communaux, venant des 48 wilayas. A la lisière de l’autoroute, juste en face de la base aérienne militaire, ils ont érigé des paillotes et planté des parasols. Sur les lieux, l’atmosphère est électrique et grandement animée. Ironie du sort, des braves et dignes fils de l’Algérie, qui ont pris les armes, pour leur majorité en 1994, contre la déferlante terroriste pour sauver la République et protéger le peuple, sont aujourd’hui abandonnés à leur triste sort, «sans honte et son défense». Pourtant, il y a quelques années, on les appelait: «Ridjal ouakifoun, (des hommes debout)».

Séparés à travers le champ de l’orangeraie et celui du blé moissonné en plusieurs secteurs, les contestataires communiquent via tout une équipe de liaison mise sous la tutelle d’un groupe de coordinateurs nationaux assurant la prise en charge du mouvement de protestation.

Le campement de la résistance

Ils sont dotés même d’une cuisine de fortune où une équipe de cuisiniers est mise en place. Celle-ci assure notamment la préparation du f’tour en ce mois sacré. Elle est approvisionnée en légumes et de divers produits alimentaires par des citoyens qui affluent sur les lieux en signe de solidarité et de reconnaissance pour ceux qui les ont défendus, durant les années de braise. Les citoyens de Blida se souviennent de l’ordre établi par les terroristes du temps de Antar Zouabri et Hassen Hattab. Mais aussi ils se souviennent de ceux qui les ont protégés contre la vague intégriste. Aujourd’hui, les gardes communaux font face au mépris des pouvoirs publics, à la répression de la police et de la gendarmerie, à la soif et à la faim sans rechigner, mais la solidarité familiale devient vitale. «Ce qui est arrivé aux gardes communaux est honteux et inacceptable. Je suis de Blida, j’ai vécu la tragédie nationale, ici même à Boufarik», témoigne Mohamed, un fermier de Boufarik, venant approvisionner en lait, en couscous, en eau et en pain les gardes communaux. «Durant cette décennie, il n’y avait que des terroristes à Blida et un détachement de la garde communale chargé de notre sécurité. Comment peut-on les abandonner aujourd’hui?», ajoute Mohammed. Passer le mois sacré dans un champ à Boufarik n’est pas chose aisée. Cela ne les a pas découragés. Ils sont allongés, pour la plupart, à même le sol à la recherche d’un peu de fraîcheur. «On a vu pire. La pluie et la neige! Il n’est pas certes évident de jeûner dans ces conditions, mais la lutte paie. C’est notre manière à nous de nous faire entendre par les autorités compétentes», fait savoir Brahim, un représentant de Mouzaïa. L’image qu’ils offrent est saisissante.

Mohamed n’est pas le seul à rendre visite au campement de la gardes communale. Ils reçoivent la visite de plusieurs citoyens pour les soutenir. Ainsi, avant la rupture du jeûne, des citoyens de Blida, Tipasa, Médéa et Alger viennent manifester leur solidarité. Il y a aussi les représentants d’associations et de partis politiques (RCD, FNA et PT) se sont dépêchés pour signifier leur soutien à ce mouvement de protestation qui ne perd pas son souffle. «Nous sommes très confortés par ces actions de solidarité qui renseignent sur le fait que nos revendications sont légitimes», témoigne Abdenour de Médéa, une wilaya qui compte plus de 1000 gardes communaux, venu, apprend-on sur place, de Aïn Defla. Outre le soleil de plomb et les longues journées du mois de Ramadhan, les gardes communaux font face au mépris manifeste et à l’indifférence totale des autorités qui n’osent pas tendre une oreille à leurs cris de colère et de désarroi. «Les pouvoirs veulent nous tuer dans l’âme. Mais, ils savent que nous sommes déjà morts», a soutenu Alioua Lahlou, coordinateur national des gardes communaux, en mouvement de protestation depuis 34 jours. Et de poursuivre: «On y est, on y reste. La balle est désormais dans le camp du pouvoir. On ne demande pas la lune mais simplement que les agents de la garde communale soient estimés à leur juste valeur.»

Combat de dignité et contre la trahison

Rencontré autour d’un f’tour, durant la nuit de dimanche à lundi, dans leur campement à Boufarik, Hakim Chaïb nous a fait savoir que leur mouvement pour le recouvrement de leur dignité bafouée est aussi «un mouvement de résistance contre la trahison et la reddition». Occupant une hutte avec trois gardes communaux constituant l’état-major du mouvement de protestation, Hakim Chaïb, la cinquantaine bien entamée, a fait carrière dans la lutte antiterroriste, durant laquelle il a assisté à la mort de plusieurs de ses compagnons, tombés sous les balles des terroristes.

Car, avant de s’enrôler dans la garde communale en 1996, il avait exercé déjà dans les rangs de la Gendarmerie nationale. Déçu et plein d’amertume, il ne jure que par le sang de ses compagnons versé pour que vive la République, que leur mouvement sera inscrit dans l’Histoire, avant de s’interroger: «Quel sentiment patriotique peut admettre que des chefs terroristes, repentis ont bénéficié de villas, de voitures, de divers avantages et même de protection rapprochée, alors que des patriotes sont ignorés et livrés à toute sorte de misère et de la hogra, sans qu’aucune institution n’ose les défendre.»

Lui emboîtant le pas, Alioua Lehlou, coordinateur national, ayant à son actif une quinzaine d’années dans la garde communale de Bouira, qualifie l’attitude des pouvoir publics et à leur tête le ministre de l’Intérieur d’irresponsables et de coupables de l’enlisement de la crise de la garde communale, qui risque d’enregistrer, à terme, des dérapages dangereux. «Ils sont maîtres-architectes dans la manipulation et le mensonge (les pouvoirs publics)! Ils nous ont trahis et tentent également de tromper l’opinion nationale par des communiqués à la presse affirmant que la situation des gardes communaux est réglée», regrette-t-il, avant d’exploser: «Quelle raison acceptent-ils de faire des bourreaux d’hier des personnalités nationales aujourd’hui?»

Applaudi et soutenu par ses compagnons, Alioua Lehlou ne mâche pas ces mot pour tirer à boulet rouge sur le ministre de l’Intérieur qu’ils accuses de vouloir mener en bateau les gardes communaux avec ces fausses promesses et déclarations à la presse. «Nous n’allons pas baisser les bras jusqu’à ce que nos doléances soient satisfaites», déclare un représentant de Tiaret, qui cumule 18 ans de carrière dans la police communale, avant de trancher enfin que: «Si les services de sécurité sont toujours mobilisés et déployés pour nous interdire de marcher sur la capitale, nous organiserons une grève de la faim illimitée, une grève de la faim nationale».