Le texte ne répond pas à toutes les préoccupations soulevées par les populations concernées. 50% des 1200 tailleurs de pierres de T’kout
(Batna) sont atteints de silicose, une maladie incurable contractée sur les sites d’extraction.
Il aura fallu 68 décès et autant de veuves et d’orphelins faisant de T’kout et toute la région sud des Aurès une zone meurtrie pour que l’Etat prenne ses responsabilités. Mieux vaut tard que jamais.
En soi, le décret exécutif n°10-201 du 30 août 2010 relatif aux mesures particulières de prévention et de protection des risques liés aux travaux de taillage et de polissage des pierres de taille est une initiative louable. Le décret, publié sur le Journal officiel n°51 de septembre 2010, oblige les artisans tailleurs de pierres à se prémunir contre les effets nocifs de la profession.
Ainsi, il est obligatoire de se doter d’un dispositif d’aspiration des poussières tel que les cabines ventilées et avoir recours à des lames adaptées aux scies à pierre. Les artisans doivent surtout être munis d’une fiche de visite médicale individuelle d’aptitude à l’exercice de ce travail, établie par le médecin du travail qui effectue, à cet effet, un bilan médical initial destiné à servir de référence pour le suivi ultérieur.
La fiche de visite médicale individuelle d’aptitude est renouvelée au moins une fois tous les six mois (article 7).
Mais face à l’ampleur du drame, la mesure ne manque pas de soulever des critiques de la part de la population de T’kout et des médecins qui ont eu à traiter cette pathologie. La loi, tombée par surprise, ne répond pas à toutes les préoccupations soulevées.
Le décret, signé par le Premier ministre le 30 août dernier, se base sur un rapport élaboré conjointement par les ministères de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière et du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale. Que dit le rapport, comment a-t-il été élaboré ? Les services du gouvernement n’ont pas communiqué là-dessus, ce qui ajoute aux appréhensions.
Tout ce que l’on sait, c’est que voilà environ une année, participant à un séminaire sur la pneumologie organisé à Alger, le docteur Djamel Hamizi, de Batna, avait invité les pouvoirs publics à mettre en place une loi afin de réglementer la profession et protéger et organiser ce métier et les jeunes artisans.
L’étude présentée par le Dr Hamizi a dévoilé que 50% des 1200 tailleurs de pierres de T’kout sont atteints à des degrés divers de silicose, une maladie incurable.
Pour sa part, la population touchée n’a cessé de pousser des cris de détresse répercutés par les médias. A T’kout, on considère que la mesure gouvernementale est insuffisante. C’est du moins l’avis de Selim Yezza, animateur du mouvement citoyen local, qui, lui-même avait exercé ce métier. Selon S. Yezza, «cette mesurette se concentre sur l’aspect médical et exclut la dimension sociale du drame, lequel est plus important».
Le gouvernement se lave-t-il les mains des dizaines de veuves et orphelins, laissés par les victimes décédées ? Quel sort est-il réservé aux 360 malades (statistiques officielles) qui en sont au stade premier et les 15 autres respirant artificiellement ? Notre interlocuteur regrette que ce côté urgent soit occulté.
De plus, il estime que «cette loi est pratiquement inopérante quand on sait que la quasi-totalité des artisans échappe au contrôle des inspecteurs du travail, qui d’ailleurs n’ont jamais été sur un chantier».
En effet, les tailleurs de pierre exercent sur des chantiers de construction de villas, dont les propriétaires n’ont jamais été inquiétés, alors qu’ils ne sont pas déclarés et ne sont même pas inscrits à la Sécurité sociale.
Peut-on obliger un travailleur à respecter les mesures de sécurité quand celui-ci n’existe même pas sur les fichiers ?
Par ailleurs, pour revenir au plan médical, un médecin de la région qui a requis l’anonymat, refusant la polémique, estime que le décret occulte également le fait que la silicose n’est pas due exclusivement à l’inhalation de la poussière de silice, cette dernière pouvant aussi être absorbée par voie dermique. Pour lui, la protection ne doit pas se limiter aux voies respiratoires.
Il en veut pour preuve le cas de Abbaci Rachid, décédé il y a peu de temps de silicose, lequel, selon lui, n’avait aucun problème pulmonaire et a succombé à un arrêt cardiaque.
Les voix qui s’élèvent à T’kout espèrent que l’initiative du gouvernement ne sera pas la première et la dernière. Elle doit, selon elles, être complétée par d’autres mesures et si possible un véritable plan Orsec pour la région, dont les hommes n’ont d’autre solution au chômage que la taille de la pierre.
L’effort de sensibilisation consenti par le mouvement associatif et les médecins locaux commence à donner ses fruits en réduisant considérablement le nombre de candidats à la taille de pierres. A l’Etat maintenant de voler au secours des artisans atteints de silicose (environ 1200) et de leurs familles.
Nouri Nesrouche