Une journée avec les réfugiés Maliens au camp de Timyaouin : «nous souhaitons obtenir la nationalité algérienne»

Une journée avec les réfugiés Maliens au camp de Timyaouin :  «nous souhaitons obtenir la nationalité algérienne»

Au camp des réfugiés maliens de Timyaouin, une localité se trouvant à 160 km de la ville de Bordj Badji Mokhtar, une fillette donne naissance à un bébé. La sixième naissance dans ce camp depuis son implantation il y a un peu plus d’une année. Les nouveau-nés souffrent dès leur naissance. Ici les réfugiés demandent la nationalité algérienne. Les nouvelles en provenance de la ville malienne de Tombouctou font état de l’assassinat de proches de nombre de réfugiés.

C’est mercredi que nous avons pris la route vers 7h en direction de Timyaouin, à partir de Bordj Badji Mokhtar. La chaleur est imposante. 160 km séparent les deux localités. Un chemin parcouru en trois heures de temps. La route n’est pas facile, pas tout le temps commode et surtout encore risquée du fait de tentatives d’incursions terroristes, mises en échec fort heureusement par l’armée nationale populaire (ANP), les forces et les services de sécurité algériens.

Sur cette route, tout peut arriver à n’importe quel moment. Difficile de contrôler, tout le temps, ces vastes étendues dans le désert. Au bout de 50 km, la route goudronnée prend fin. Le reste du chemin doit être parcouru en piste, c’est-à-dire sur le sable. Sur cette route, il ne faut pas s’étonner si aucun autre véhicule n’est croisé ou dépassé des heures durant. En cours de route, nous apercevons des travailleurs de l’entreprise Hydro Technique occupés par les travaux d’adjonction de canalisations et autres taches.

Cette entreprise participe au projet d’alimentation de Timyaouin en eau potable à partir de Bordj Badji Mokhtar. Un projet dont les travaux se poursuivent même sous une chaleur torride. On nous informe que plusieurs véhicules tout-terrain appartenant à cette entreprise ont été volés.

Un peu plus loin, nous apercevons des agents de sécurité armés. Il s’agit, nous dit-on, d’éléments d’une société de gardiennage travaillant pour le compte de Sonelgaz, se trouvant sur place pour la protection des travaux entrepris par cette société nationale. Aux termes de trois heures de voyage, nous arrivons à Timyaouin, ville de quelque 12 000 habitants, selon le président de l’APC. Quelques locaux commerciaux sont ouverts. La chaleur torride dissuade toute sortie dans la rue. Des chameaux rassemblés autour d’un puits étanchaient leur soif. Des habitants vaquaient à leurs occupations.

«Je suis heureux que l’Algérie ait battu le Bénin»

Arrivés au camp des réfugiés maliens de Timyaouin, nous apercevons un campement de la Gendarmerie nationale juste à l’entrée. L’Algérie protège ces réfugiés. Des enfants jouaient au ballon, les femmes étaient à l’intérieur des tentes, ou juste devant alors que d’autres lavaient des vêtements dans des bassines alimentées en eau à partir de citernes. Des personnes âgées, femmes et hommes, étaient regroupées ça et là, plongées dans la discussion.

Un enfant vient vers nous. «Je suis content car l’Algérie a battu hier (mardi, NDLR) le Bénin par trois buts à un. Je suis Aita Mohamed, et je viens de Tombouctou (ville du nord du Mali)», nous dira-t-il. «Dites, pourriez-vous nous aider à avoir des ballons et un terrain de foot ?», ajoute cet enfant de 16 ans.

«Fadimata, âgée de 2 mois, fait déjà face à la mort»

Peu à peu les réfugiés maliens de Timyaouin viennent vers nous, leur nombre augmentant au fur et à mesure. Une femme se présente : «Je suis Aït Halimatou, âgée de 70 ans et je viens de Tombouctou, moi également.» «Venez voir», lance-t-elle, en s’engageant entre des tentes. «C’est Fadimata. Une fille née il y a deux mois et qui se trouve dans un état de santé difficile. Elle ne prend même pas le lait de sa maman», nous dit-elle, nous montrant une jeune fille tenant un bébé au milieu d’autres femmes.

La maman, Makaltoum, nous dit être âgée de 18 ans. Assise près de sa mère et de sa belle-mère, à l’entrée d’une tente, elle regarde son bébé dans ses bras. La santé très fragile de ce nouveau-né est la conséquence directe des conditions de vie extrêmement difficiles vécues par cette famille malienne à Tombouctou. «Le bébé est né très faible», nous a dit la grand-mère paternelle. «Ce bébé est votre fille. C’est la fille de l’Algérie puisqu’elle est née ici. Viendra le jour où l’Algérie sera fière d’elle», poursuit-elle. Le père comme la mère sont de Tombouctou. «Nous sommes en majorité de Tombouctou, dans ce camp, même s’il y a des gens de Gao et d’autres localités du Mali», nous diront nombre de réfugiés.

La belle-mère de Makaltoum raconte pourquoi les enfants naissent très faibles. «Nos enfants naissent très faibles parce que nous souffrions de la misère et de la famine à Tombouctou. Il n’y a rien là-bas. Nous ne pouvions calmer notre faim à cause de la guerre qui s’y déroule. Nous avons choisi l’Algérie pour nous réfugier et nous souhaitons y rester», dira-t-elle. «Tombouctou est dévasté par la guerre», ajoute-t-elle.

«Ce que nous demandons, c’est que l’Algérie nous garde ici et nous accorde la nationalité algérienne. Fadimata est née ici, elle est donc Algérienne et nous souhaitons nous également devenir Algériens. Nous ne voulons pas retourner à Tombouctou», nous a-t-elle expliqué.

Le bébé de deux mois garde toujours les yeux fermés, comme plongé dans un long sommeil. «Ce bébé est très fragile et n’arrive même pas à prendre mon lait», dira Makaltoum. La grand-mère paternelle de ce bébé n’est pas la seule personne réfugiée à souhaiter rester en Algérie. «Vous croyez que l’Algérie acceptera de nous garder ici ?», nous disent Aita Mohamed, 16 ans, et Aita Mouloud, 15 ans. Les enfants nous tenant par la main ajoutent : «Pourriez-vous les convaincre de nous laisser vivre en Algérie ?» «Je ne demande rien à part un ballon et un terrain de football», ajoute cet enfant.

«Les militaires nous aiment et nous protègent»

D’autres enfants arrivent. Des femmes et des personnes âgées également. «Nous sommes contents aussi parce que l’armée nous aime et nous protège. Ils nous donnent des ballons et nous offrent des cadeaux», nous dira Aita Abdallah. Ces enfants parlaient des gendarmes postés à l’entrée de ce camp et des militaires d’une caserne se trouvant tout près de ces lieux. «Ici, ce n’est pas comme à Tombouctou.

Là bas, on a cherché à nous tuer, ici on assure notre sécurité», ajoutent Aita Mohamed et Aita Mouloud. «A Tombouctou, nous serions morts si nous y étions restés. Ils tuent des gens et volent leurs biens», disent-ils. Le sentiment de sécurité fait renouer ces enfants et leurs familles avec la vie. Le sourire revient à Aita Mohamed, Mouloud et Abdallah. Cependant, la crainte du retour à Tombouctou et d’y retrouver la même situation qu’ils ont fuie hante leur esprit.

Aït Tahar Bensalah, 80 ans : «Regardez la trace de balle sur mon épaule»

Durant notre présence dans ce camp, nous rencontrons Aït Tahar Bensalah, âgé de 80 ans. Les souffrances et la répression à Tombouctou, d’où il vient, semblent peser lourdement sur lui. Parlant difficilement, il fait descendre, côté droit de l’épaule, le léger tricot qu’il portait. «Regardez, j’ai reçu une balle à l’épaule. J’ai failli mourir. Ce sont des militaires maliens qui m’ont tiré dessus. C’est terrible ce qui se passe là-bas», nous dira-t-il.

Un autre homme nous dit : «A Gao, c’est pas mieux. Les gens étaient tués sans distinction d’âge.» Les larmes aux yeux, Tahar Bensalah tente de se relever, difficilement, avant de se rasseoir, faute de force. Les événements extrêmement douloureux vécus par lui et les autres réfugiés leur ont laissé des séquelles. Notre présence leur faisant grand plaisir, Aita Mohamed, Mouloud et Abdallah arrêtent de jouer au ballon et nous accompagnent partout dans ce camp.

Ils nous ont même servi d’«interprètes» quand nous discutions avec des réfugiés qui ne parlent ni l’arabe, ni le français. C’est eux, justement, qui traduisent les propos qui nous ont été tenus par la maman de Mama Ben Sidi, un enfant de 5 ans, né lui également très faible, alors que cette famille vivait à Tombouctou. La maman nous dira se trouver dans ce camp avec sa famille depuis une année et demie.

Lançari Abdachakour Ben Mohamed : «Mon fils est resté à Tombouctou, il a été égorgé»

Rencontré, lui également, dans ce camp, mercredi, Lançari Abdachakour Ben Mohamed, âgé de 60 ans, nous parle du deuil qui a frappé sa famille comme il a frappé de nombreuses autres au Mali. «Je suis ici avec ma famille depuis une année et deux mois. Je suis avec mon épouse, mes six fils et mes trois filles. Mon fils Lançari El Wali Mohamed, âgé de 40 ans, marié et père de 4 enfants, a préféré rester à Tombouctou. Il m’a dit qu’il veut rester dans son pays. Il a été égorgé par l’armée malienne trois jours après le lancement de l’offensive militaire française au Mali», nous dit ce réfugié.

«Ma famille est sauvée en venant en Algérie que je considère comme étant mon deuxième pays, mais j’ai perdu mon fils à jamais», lance-t-il, en sanglots. Cette scène à laquelle ont assisté Aita Mohamed, Mouloud, Abdallah et d’autres enfants est d’une tristesse indescriptible. Les enfants restaient silencieux devant le drame que Lançari Abdachakour Ben Mohamed racontait. Une scène intenable. Le premier à avoir quitté le groupe est Lançari Abdachakour Ben Mohamed, probablement pour aller pleurer en cachette, loin des regards de ces enfants.

Sixième naissance dans ce camp

La vie continue et l’espoir entretenu par ces réfugiés est toujours vivant, comme en témoignent les naissances enregistrées dans ce camp depuis son implantation. Rencontré sur place, Babouzid, membre du Croissant-Rouge algérien (CRA) mobilisé pour ce camp, nous apprend que «depuis son installation, ce camp a enregistré six naissances parmi les réfugiés maliens».

«D’autres femmes sont enceintes et donc d’autres bébés viendront au monde», l’occasion à ces familles de renouer avec le sourire et souhaiter des lendemains meilleurs. Avant de quitter les lieux, de nombreux enfants maliens viennent nous dire : «Vous croyez qu’ils accepteront de nous laisser vivre ici ?»

Reportage réalisé par Mounir Abi