Une journée avec les chômeurs de Tamanrasset : «ce n’est pas la faute à l’etat. des responsables locaux ne font rien. ou plutôt si.ils font des affaires»

Une journée avec les chômeurs de Tamanrasset :  «ce n’est pas la faute à l’etat. des responsables locaux ne font rien. ou plutôt si.ils font des affaires»

A Laghouat comme à Ouargla en passant par Ghardaïa où nous avons fait une brève halte, les cris de détresse et les revendications sociales des jeunes chômeurs sont quasi identiques. A Tamanrasset, capitale de l’Ahaggar, que nous n’avons pu atteindre mercredi qu’au bout de 16 heures de route le long de la RN1 endommagée par endroits mais strictement surveillée (police, gendarmerie, ANP), retentissent les mêmes cris, sont scandés les mêmes slogans.

De l’emploi, des logements tant qu’on y est, une vie digne en somme réclamée à cor et à cri. Les jeunes sans emploi de Tamanrasset affiliés au Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC) étaient en pleine action, leur première du genre, lorsque nous sommes parvenus au centre-ville tout défoncé à cause, dit-on, de la réfection du réseau d’AEP place Ilaman, où ils tenaient leur «rassemblement de la dignité» qui s’est déroulé comme nous l’avons rapporté, dans le calme et la sérénité.

«Réussi !» s’exclament avec satisfaction les animateurs du comité qui se sont pour la première fois organisés et structurés en mouvement «comme tout le monde». Heureux d’avoir franchi un pas important dans leur combat jusque-là désorganisé et marginalisé, ces jeunes issus de différents quartiers de la ville gardent toutefois les pieds sur terre.

«La lutte ne fait que commencer», fait remarquer Arbaoui, un des animateurs du CNDDC local. Non loin du centre-ville, se trouve le désormais local du groupe, un garage prêté par «un bienfaiteur», où sont déposées à même le sol des banderoles et autres pancartes bardées de slogans en arabe et en tifinagh. Des dizaines d’autres documents, archives et missives adressées aux autorités locales et centrales complètent le décor. Ils sont exhibés de façon à montrer qu’ils ont frappé à toutes les portes, mais en vain.

Les jeunes s’expriment alors sans retenue au Temps d’Algérie et souhaitent, à travers ses colonnes, porter haut leur message aux plus hautes autorités. «Avant le lancement du comité local du CNDDC en janvier, nous avons tenu plusieurs autres rassemblement devant la wilaya, en vain. Nous avons sollicité l’Anem, aucune réponse», se désole Mohamed Boukhari, membre du comité, affirmant qu’ils ont recensé pas moins de 5000 diplômés depuis 2005 et qui sont toujours au chômage.

Ceux qui ont une petite chance sont «casés» dans le filet social ou le pré emploi. «Y en a marre du filet social. La situation à Tamanrasset est des plus critiques sur tous les plans», lâche Arbaoui. «Notre dignité est malmenée». Mohamed Boukhari précise : «Le ministre de l’Emploi et de la Sécurité sociale, Tayeb Louh, est venu la semaine passée. Nous l’avons écouté parler… mais de la décennie noire.

Nous n’avons pas besoin qu’il nous fasse un dessin là-dessus. Cette période est passée, Dieu merci. Nous avons aussi donné nos frères, nos parents pour ce pays que nous continuons à défendre avec acharnement (…) Nos revendications sont pourtant claires. Nous les avons explicitées à plusieurs reprises. Nous voulons des solutions à cette crise. Nous voulons des emplois dignes et pérennes».

Le Premier ministre sollicité

Au lendemain des décisions qu’il a édictées, les jeunes de Tamanrasset ont sollicité le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, par le biais d’une missive dans laquelle, outre l’application «urgente» de ces mesures, sont passés en revue tous les problèmes inhérents à la vie quotidienne du citoyen. Des revendications allant de l’amélioration de la prise en charge sanitaire au raccordement de certains quartiers au réseau de gaz et d’AEP en passant par la réduction des prix du transport ou encore le développement du tissu industriel.

Pour Arbaoui, le problème se situe plutôt au niveau local. «Ce n’est pas la faute à l’Etat qui a consenti d’énormes efforts et injecté des sommes colossales dans des projets encore à la traîne. Des responsables locaux ne font rien. Ou plutôt si. Ils font des affaires», ironise-t-il, affirmant que même des structures de base comme les aires de jeux de proximité sont laissées à l’abandon… faute de gardiens.

Il révélera dans la foulée avoir tenté une «expérience malheureuse avec l’Ansej». Menuisier de son état, Arbaoui a dû déclarer faillite en s’endettant par-dessus tout en raison, dit-il, des taux d’intérêt qu’il devait rembourser par échéance de 6 mois faute de quoi les pénalités de retard de payement allaient crescendo. «Je me suis endetté jusqu’au cou», dit-il dépité.

«Nous voulons justes des emplois pérennes»

Les jeunes de Tamanrasset disent ne pas avoir de préférence quant aux secteurs d’activité dans lesquels ils espèrent décrocher des postes d’emploi «réels». Sociétés pétrolières, «mines» d’or, Fonction publique, peu importe. Rien que pour les sociétés pétrolières, ces jeunes affirment qu’il en existe 35 au niveau de la wilaya qui peuvent sûrement, à leurs yeux, absorber au moins 50% des chômeurs, les diplômés surtout, qui n’attendent qu’un signe de la part de ces sociétés et entreprises appelées à faire un effort en matière de recrutement. Quant aux autres, «il y a toujours le secteur agricole», font remarquer ces jeunes.

«Nous demandons à l’Etat de nous accorder plus de facilités, et soyez-en sûrs, nous pourrons alors fournir nos produits même aux wilayas du nord du pays», assure un autre jeune qui s’étale sur les potentialités agricoles de la wilaya en citant les «jardins de Tazrouk» à titre d’exemple, tout en se désolant que les agriculteurs de Tamanrasset ne disposent pas d’espaces adéquats pour écouler leurs produits, contraints souvent de les vendre dans la rue, le seul marché couvert de la ville étant trop exigu.

Créateur d’emplois,le secteur du tourisme à l’agonie

Quid du tourisme qui revient sur toutes les lèvres ? Pour ces jeunes, l’Etat doit investir davantage en termes d’infrastructures. Le tourisme, considèrent-ils, «est un secteur créateurs d’emplois directs et indirects». Mais depuis un certain temps que les hordes de Belaouar et consorts y ont installé leurs bases arrière et surtout après l’attaque terroriste de Tiguentourine et la guerre au Mali voisin, les professionnels avouent qu’une chute drastique de touristes étrangers a été enregistrée.

«C’est le déclin total», juge Laissaoui Kamel, directeur régional de l’Onat sud qui a bien voulu dresser un tableau exhaustif du secteur dont il a la charge. Rappelant les «sorties» des représentations diplomatiques étrangères en Algérie appelant leurs ressortissants à ne pas se rendre dans le sud du pays, M. Laissaoui estime qu’en attendant que la situation «qui est pourtant stable» s’améliore, il faut dans l’immédiat tabler sur le tourisme interne. «Nous allons défendre cette idée lors des assises nationales du tourisme (tenues les 14 et 15 avril à Alger, Ndlr)», a-t-il soutenu.

«Il faut absolument nous rattraper pour la saison prochaine», ajoute Laissaoui, expliquant qu’un travail dans ce sens a été déjà enclenché. Il citera à titre d’exemple la réduction du prix du billet d’avion (Air Algérie et Tassili Airlines) de 50% déjà applicable. Le billet Alger-Tamanrasset coûte en effet 14 200 dinars au lieu de 30 000, prix pratiqué «hors saison». Le Salon international du tourisme et des voyages (Sitev), qui se tiendra en mai, constitue une autre occasion, selon le directeur, pour «vanter» les destinations Sud (Tamanrasset, Djanet…).

La saison actuelle est une catastrophe. Un «échantillon» pris au niveau de l’Onat étaye on ne peut mieux cette affirmation. Pour le premier trimestre 2013, l’Onat n’a pris en charge à Tamanrasset que 102 touristes nationaux et aucun étranger, contre 104 nationaux et 4 étrangers seulement pour la même période en 2012, alors que le ministre en charge du secteur avait évoqué pour l’année 2012 un demi-million de touristes étrangers qui ont visité le pays.

Et pourtant, l’Onat qui prend en charge entièrement les séjours des touristes (hébergement, restauration et parfois billetterie), a signé des conventions avec des agences de France, d’Italie, d’Espagne ou encore d’Allemagne. Côté secteur privé, c’est le même constat. Le bureau de l’Association des agences de tourisme et de voyages de Tamanrasset est tout le temps fermé.

«Ils viennent une fois par mois en moyenne», nous annonce un artisan dont le stand au niveau de la maison de l’artisanat de la ville est juste en face du bureau de l’association. Un directeur d’agence croisé sur les lieux affirme qu’il est… au chômage désormais. Que faut-il faire pour relancer le secteur ? Pour ce père de famille, tant que la situation sécuritaire ne s’améliore pas, «il ne faut plus parler de tourisme.

Le site de Tassili du Hoggar est fermé, rappelle-t-on, et un manque drastique d’infrastructures est relevé. «Il faut des programmes ingénieux et des formules spécifiques à même d’attirer les touristes», conclut M. Laissaoui, qui ne désespère pas de voir le secteur reprendre du poil de la bête.

S. M.