Une journée à Alger avec Cannavaro

Une journée à Alger avec Cannavaro

Après avoir passé plus d’une journée avec Fabio Cannavaro, le mot qui revenait le plus sur nos lèvres était : l’élégance. Et n’allez surtout pas penser qu’on parle de l’élégance vestimentaire tout à fait italienne du «Muro de Berlin» comme on aime à l’appeler en Italie. C’est son comportement irréprochable tout au long de son séjour algérois qui nous a impressionnés.

Le meilleur défenseur du monde à Alger

On savait Cannavaro très sérieux, mais le doute a persisté jusqu’à la dernière minute au sujet de son arrivée à Alger. Il s’agissait quand même d’un champion du monde qui comptabilise 136 sélections en équipe d’Italie. C’est dire que lorsque notre coordinateur nous a annoncé, depuis le tunnel qui menait à l’avion d’Air Algérie qui assurait le vol de nuit Dubaï-Alger, que Cannavaro était bel et bien là, un sentiment de soulagement nous a envahis. Vers 7h 38 avant-hier, soit dix minutes seulement après que l’avion se soit posé sur le tarmac de l’aéroport Houari-Boumediène, Cannavaro était au salon d’honneur sobrement vêtu d’un jean délavé, d’un tee-shirt blanc et d’une paire de baskets blanches, sa doudoune bleue à la main. Comme le veut la tradition, les journalistes du Buteur et d’El Heddaf qui étaient à l’accueil l’ont convié à un thé, mais Cannavaro a poliment décliné préférant rejoindre directement sa suite pour un sommeil réparateur. «D’habitude, je prends les vols de nuit pour pouvoir dormir dans l’avion. Mais cette fois, je n’ai pas pu fermer l’œil durant tout le voyage, je préfère donc me reposer», nous a-t-il dit avec le sourire, avant de s’engouffrer dans la Mercedes mise à sa disposition par nos journaux.

Nuit blanche et discussion à bâtons rompus

Plus connu des Algériens avec son crâne rasé, Cannavaro n’a pas suscité la curiosité des présents au salon d’honneur, entre autres le ministre des Affaires religieuses, M. Ghoulam Allah. C’est la présence de la caméra et les crépitements de l’appareil de Yacine notre photographe qui leur ont mis la puce à l’oreille. Mais c’était trop tard pour les photos souvenir. Le meilleur joueur du monde 2006 était déjà dans la voiture qui prenait la route de l’hôtel El Djazaïr. Malgré la fatigue, conséquence de 7 heures de vol et d’une nuit blanche, Cannavaro posait des questions et répondait aux nôtres sans broncher et sans que son sourire charmeur ne quitte son visage. Il nous a expliqué pourquoi son épouse qui devait l’accompagner a changé d’avis à la dernière minute. «Elle ne voulait pas venir juste pour une journée, on reviendra inch’Allah, mais pour un séjour plus long, de préférence en été», a-t-il promis.

«Je parle l’arabe chouiya chouiya»

A l’entendre dire «inch’Allah», nous avons été curieux de savoir si après deux ans de vie aux Emirats, il se débrouillait en arabe. Il nous a surpris en nous répondant en arabe : «Chouiya chouiya» avec naturellement un accent moyen-oriental. Mais nous avons vite déchanté en entendant la suite : «Je connais juste quelques mots, j’aurais bien aimé apprendre l’arabe, mais j’avoue que c’est une langue très difficile.» Il a ensuite commencé à prononcer les mots qu’il connaissait : «Inch’Allah, chouiya chouiya, salam alikoum, choukrane, wahed, tnin, talata, arba’a… ». Et il le disait avec un accent arabe pas mal pour un Italien. Par la suite et comme pour changer de sujet, il a commencé à nous interroger sur le coût de la vie en Algérie, le prix de l’essence par exemple, l’impact de la crise économique…

Son sourire fait des ravages parmi la gente féminine

A l’hôtel El Djazaïr par contre, Cannavaro a vite été reconnu puis sollicité par tout le monde pour des photos souvenir. Chose qu’il a accomplie avec une grande gentillesse et un sourire qui semblait faire des ravages parmi la gente féminine de l’hôtel. Un sourire qui a ébranlé Monica Belluci en personne. Désigné pour lui remettre le Ballon d’Or France-Football de 2006, la belle actrice franco-italienne ne s’était pas empêchée de lâcher devant les caméras du monde entier : «Quel sourire !» En rejoignant la suite Eisenhower mise à sa disposition, celle-là même qu’avait occupée l’ancien président des Etats-Unis lors de sa visite en Algérie. Lorsque les chasseurs de l’hôtel sont allés lui porter ses bagages, Cannavaro, toujours avec son sourire, les a remerciés en leur expliquant dans un anglais approximatif qu’il préférait le faire lui-même. Rendez-vous donc a été pris à 13h  pour aller déjeuner en compagnie de Claudio et Sicilia, ses deux assistants venus de Rome quelques minutes plus tôt. Encore des photos avant de quitter l’hôtel dont une assez particulière : le photographe de l’hôtel a demandé à réaliser le portrait de Fabio Cannavaro pour le placer aux côtés des illustres clients d’un des établissements les plus huppés de la capitale. Cannavaro s’y est plié avec une grande gentillesse.

Une culture générale largement au-dessus de la moyenne

Direction le restaurant El Janina, à quelques minutes de l’hôtel, pour un déjeuner typiquement algérien. Malheureusement pour nous, Cannavaro, et contrairement à ses accompagnateurs, n’est pas un gros mangeur. «Ce n’est pas pour garder la ligne, c’est juste une habitude que j’ai prise après 18 ans de haut niveau», nous a-t-il expliqué presque en s’excusant. Il se contentera d’une salade verte, d’un plat de poisson frit et d’un thé à la menthe. Cela lui a donné le temps de donner libre cours à une culture politique et économique au-dessus de la moyenne. La crise économique ? «C’est peut-être trop tard pour faire marche arrière, mais la solution, c’est de revenir aux monnaies nationales, car l’euro a fait trop de mal aux petites bourses», a-t-il argumenté, avant de donner des exemples précis : «Aujourd’hui, une bouteille de Coca Cola coûte 2 euros, avec la même somme en lire italienne, on pouvait en acheter quatre, c’est cela le drame en Grèce, en Italie, en Espagne et bientôt dans d’autres pays de la zone Euro.»

«Bientôt mes enfants pourront communiquer en arabe»

Comment trouve-t-il la vie aux Emirats ? «On vit beaucoup plus la nuit à cause de la chaleur, mais j’aime le mode de vie là-bas : le matin, c’est la plage et le jet ski, le soir c’est le travail et les sorties en famille, ça me va très bien et je n’ai pas envie de retourner en Europe de sitôt», explique Cannavaro qui pense que les Européens doivent peut-être s’inspirer des Emiratis en matière de lois prohibitives. «La chose qui m’a impressionné, c’est l’absence de la délinquance, ça doit être liée à l’éducation des gens là-bas, mais ça doit aussi avoir un rapport avec les lois. En Europe, je trouve qu’on est un peu trop permissifs», dit-il. Cannavaro apprécie beaucoup la vie à Dubaï durant le Ramadhan. «Par respect aux gens, je mange peu le matin chez moi pour pouvoir partager l’ambiance nocturne avec les Emiratis en allant manger chez des amis parfois.» Même la scolarité de ses trois enfants n’inquiète pas outre mesure Cannavaro. «Ils sont incrits dans une école internationale où ils apprennent toutes les langues avec une heure et demie d’arabe par semaine. J’espère qu’ils apprendront bientôt à communiquer en arabe, ça sera une richesse culturelle pour eux», annonce-t-il fièrement.

«Boudebbouz devrait peut-être quitter la France»

Comme il fallait s’y attendre, la discussion a vite viré vers le foot, surtout le football algérien qui ne semblait pas étranger à Cannavaro. «Le football algérien me rappelle surtout un match de préparation de la Coupe du monde 90 entre l’Algérie et l’Italie. J’étais très jeune, mais je sais que nous avons eu beaucoup de mal à vous battre», se rappelle Cannavaro. «C’est tout ?» lui avons-nous demandé. «Non, je connais Boudebouz et je peux vous dire qu’il devrait peut-être quitter la France pour s’épanouir.» Pourquoi donc ? «A Sochaux, il a toute la famille et les amis à ses côtés et cela ne lui permet pas de se concentrer pleinement sur son métier. S’il part à l’étranger, il aura deux endroits à fréquenter : le terrain d’entraînement et son appartement, les potes ils seront loin.» Bon conseil que Boudebouz prendra sans doute en considération. Les Algériens du Calcio, il ne les connaît pas trop par contre. «Je connais Yebda parce qu’il a joué à Naples, mon équipe de cœur, et jusqu’à aujourd’hui, je ne comprends pas pourquoi il n’est pas resté après une saison aussi bonne», s’est-il interrogé. A Naples, il y a aussi son frère Paolo, mais à l’évocation du nom du frangin, Fabio est presque gêné : «Il a beaucoup souffert de la comparaison avec moi, mais depuis trois ans, il joue à un très bon niveau», dit-il assurant qu’il ne parle presque jamais football en famille. «Je parle football partout où je vais, c’est pour ça que je préfère déconnecter une fois à la maison», a-t-il ajouté. Donc pas de conseil pour le petit frère qui doit se débrouiller seul.

«Zidane a fauté en agressant Materrazzi, point !»

On ne pouvait pas discuter avec Fabio Cannavaro sans évoquer l’un des faits marquants de la finale de la Coupe du monde-2006 : le coup de tête asséné par Zinédine Zidane à Materrazzi. Même s’il savait que Zidane est adulé en Algérie, le capitaine de la sélection italienne de l’époque n’a pas voulu donner une réponse diplomatique. «Ce qu’a fait Zidane est regrettable, car on ne répond pas à des insultes courantes sur tous les terrains de football par une agression. Si à chaque fois, on réagit comme ça à une insulte ou une provocation, aucun match n’ira jusqu’à son terme. C’est d’autant plus regrettable que c’est l’un des meilleurs joueurs au monde et une personne très respectable qui l’a fait. Non, je ne peux pas justifier un tel geste», a regretté Cannavaro qui aurait souhaité jouer avec Zidane dans la même équipe pour lui dire combien il l’admire et pour lui dire aussi ce qu’il pense de son coup de boule. «J’ai rejoint la Juve, mais il était déjà parti. Je suis allé au Real quelques semaines après sa retraite et lorsqu’il en est devenu le directeur sportif, je n’étais plus là. C’est vraiment dommage, mais je n’oublie pas mon passage au Real pour autant, car j’ai pu évoluer aux côtés d’autres grands joueurs comme Raul, Ronaldo, Guti, Casillas… »

Piqué, Pepe et Thiago Silva, ses préférés

Lorsqu’on lui demande de nous donner les noms des meilleurs arrières centraux du monde, Fabio Cannavaro est confus : «Il n’y a plus de défenseurs centraux au sens propre du terme, car aujourd’hui tous les joueurs défendent et attaquent en même temps, mais j’ai un faible pour Gerard Piqué qui, malheureusement, ne joue plus à son meilleur niveau cette saison. J’aime aussi Pepe pour son engagement et Thiago Silva», a-t-il reconnu. Mais son modèle reste sans conteste l’ancien Napolitain Ciro Ferrara. «Il a été mon idole puis mon exemple depuis que j’étais tout petit, c’est un Napolitain comme moi, certes, mais j’aimais surtout son engagement à toute épreuve et sa hargne. Je crois même que j’ai beaucoup appris de lui», explique encore Cannavaro pour ensuite citer pêle-mêle d’autres défenseurs italiens, histoire de ne pas faire de jaloux. Le temps passait vite et les collègues du Buteur et d’El Heddaf commençaient à s’impatienter. Ils voulaient eux aussi voir leur invité et immortaliser l’évènement par des photos personnelles qu’ils exhiberont sur leur Facebook. C’était le moment donc de l’habituelle virée au siège de nos deux journaux où un accueil royal a été réservé à Cannavaro et ses assistants. Signature du livre d’or, explication de la manière de travailler du Buteur et d’El Heddaf, photo tous azimuts avec tout le monde et quelques secondes face à l’imprenable vue de la baie d’Alger.

«Alger me rappelle étrangement ma Naples natale»

Il ne restait plus de temps pour découvrir un peu Alger et lorsque nous lui avons proposé certains sites touristiques à visiter, Cannavaro n’a pas hésité à choisir d’aller à la Basilique Notre-Dame d’Afrique. «Cela me permettra de voir de haut toute la ville», dit-il. Une fois sur place, le Napolitain a ouvert grands les yeux pour s’écrier : «Mais ça me rappelle Naples, cette montagne-là, c’est le Vésuve, le port est presque identique, les petites maisons jonchées sur la montagne aussi, c’est incroyable !» L’endroit semble lui avoir plu. La preuve, c’est la première fois que Cannavaro a demandé à Claudio son assistant de le prendre en photo avec cette vue imprenable sur Alger. Il a par la suite demandé si la communauté chrétienne était importante en Algérie et si les chrétiens fréquentent l’imposante Basilique qui était en face de lui. La journée commençait à tirer à sa fin et il fallait bien ramener la star italienne à l’hôtel pour se changer, en prévision de la cérémonie du Ballon d’Or. «Je suis là pour ça, non ?», nous a-t-il répondu lorsque nous lui avons dit qu’il ne lui restait pas beaucoup de temps pour se préparer à la grande fête. Rendez-vous a été pris à 19h. A l’heure prévue, Cannavaro était dans le hall, tiré à quatre épingles et prêt à honorer de sa présence la 11e édition du Ballon d’Or algérien, devenu une institution en Algérie.

Arrivé à 19h 30 à la Coupole du complexe Mohamed Boudiaf, Cannavaro prend place au salon VIP où étaient déjà installés Abderrahmane Hachoud et Hocine Metref que nous lui avons présentés en tant qu’arrière droit et arrière gauche de la sélection. «Il y a de quoi composer une belle défense», a-t-il plaisanté. «Il manque juste un bon gardien de but», a remarqué un présent. «Non, quand la défense est bonne, elle n’a même pas besoin d’un gardien de but», a riposté Cannavaro en spécialiste. Avec l’arrivée de Mansouri, Kadir et les autres joueurs conviés à la fête du Buteur et d’El Heddaf, il y avait de quoi faire une très bonne équipe. Une équipe qui ne prendra pas de raclée avec Cannavaro derrière. Ça, c’est certain ! Après une courte discussion avec l’ambassadeur et le consul d’Italie à Alger, Cannavaro rejoindra sa table juste devant la scène et aux côtés d’une autre star mondiale : Rabah Madjer. La fête pouvait désormais commencer !

Une interview exclusive de 20 minutes

Après la magnifique cérémonie qui a duré trois heures, Fabio Cannavaro n’avait qu’une seule envie : tomber dans les bras de Morphée pour affronter le voyage du retour dans de meilleures conditions. L’interview exclusive qu’il nous a promis après la fête a été reportée au lendemain dans l’une des salles de l’hôtel El Djazaïr. Et comme Cannavaro est un homme de parole, il était encore une fois au rendez-vous pour une discussion de 20 minutes face à la caméra du Buteur et d’El Heddaf. Une interview que vous pourrez lire dans notre édition de demain. Cannavaro pouvait rejoindre l’aéroport Houari-Boumediène où il s’est plié gentiment à d’autres demandes de photos avec des douaniers et des policiers de l’aéroport toujours avec ce sourire qui a fait tomber la belle Monica Belluci. Arrivederci campione !