Face aux victimes civiles de plus en plus nombreuses en Syrie, le président de la République n’écartait pas, début juin, une intervention militaire dans ce pays.
L’opinion française est également majoritairement favorable à une solution armée, comme le démontre un sondage récent. Toutefois, une intervention dans ce pays est soumise à une résolution préalable des Nations Unies toujours bloquée par la Chine et la Russie. Malgré ces deux vetos robustes il peut être intéressant d’analyser les moyens militaires, qui pourraient être engagés, si une résolution était votée.
En préambule de cette analyse, il paraît nécessaire d’envisager quelques hypothèses crédibles afin de cerner au plus prés cette étude complexe. Parmi ces suppositions il est clair que toute intervention se ferait vraisemblablement au sein d’une coalition regroupant quelques nations européennes soutenues uniquement au plan logistique par des américains préoccupés davantage par leur désengagement d’Afghanistan et leur prochaine élection présidentielle. Par contre, des forces saoudiennes, qatariennes, émiriennes voire turques pourraient rejoindre cette coalition. Le poids politique mais aussi militaire de la Turquie ne serait pas neutre pour la réussite de cette opération qui dans ce cas serait dirigée sans nul doute par l’OTAN sachant que ce pays reste très attaché à l’Alliance.
Une autre présupposition importante mérite d’être retenue : aucune force terrestre occidentale, hormis quelques éléments de forces spéciales, ne devrait être envisagée quelles que soient d’ailleurs les capacités réelles de la rébellion armée syrienne. Les enseignements tirés des opérations en Afghanistan interdisent, de fait, pratiquement toute intervention terrestre menée par les occidentaux dans un pays musulman.
Ces hypothèses désormais posées, quels moyens crédibles pourraient être engagés ? A l’instar des opérations menées en Libye les forces maritimes et aériennes appuyées au sol par un nombre limité de forces spéciales devraient donc constituer la colonne vertébrale des capacités militaires de la coalition.
Les moyens maritimes de la force multinationale seraient chargés d’assurer l’embargo et de bloquer la façade méditerranéenne de la Syrie. La marine de guerre syrienne possède des sous-marins et quelques bâtiments de surface mais ne seraient pas de taille à s’opposer à une coalition très supérieure dans ce domaine. Par contre, les missiles anti-navires syriens, dont certains fournis tout dernièrement par la Russie, représentent une menace très dangereuse qu’il faudrait savoir brouiller ou anéantir rapidement. Cette menace sérieuse nécessiterait, de facto, de faire croiser le groupe aéronaval dont le(s) porte(s)-avions à une bonne distance des côtes syriennes.
Les moyens aériens, par leur souplesse et leur réversibilité devraient être également privilégiés. Leur mission consisterait tout d’abord à assurer la supériorité aérienne afin d’obtenir la liberté du ciel et interdire toutes les attaques sur les populations civiles menées par les avions et les hélicoptères de combat syriens . Malheureusement les forces anti aériennes syriennes sont nombreuses et efficaces. La destruction d’un avion de reconnaissance turc vraisemblablement par la DCA syrienne est explicite sur ce sujet. Dans ces conditions les forces aériennes de la coalition devraient, au moins dans un premier temps, se contenter d’une supériorité spatio- temporelle. L’Italie ou la Turquie sont certes dotés d’armements anti radar mais ces moyens seront ils suffisants face à des adversaires mobiles ? En clair, la coalition pourrait donc se retrouver dans le cas difficiles des opérations menées au dessus du Kosovo en 1999. Une solution alternative consisterait à demander aux Américains d’engager leurs missiles de croisière Tomawak mais aussi leurs avions de combat « furtifs » comme le F22 ?
Ces avions indétectables aux radars pourraient pénétrer au sein des défenses anti aériennes adverses détruire ces sites tout en renseignant en temps réel les appareils de combat « plus classiques » de la coalition sur les emplacements de ces défenses anti aériennes résiduelles afin d’aider à leur destruction. Les Américains sans s’engager réellement offensivement pourraient toutefois effectuer quelques missions de ce type pendant la première phase du conflit sachant que les engagements initiaux sont toujours très suivis au plan médiatique et politique. A noter que dans ces conditions cet engagement ne pourrait se faire que sous un commandement américain et donc vraisemblablement dans le cadre de l’OTAN.
La seconde mission dévolue aux forces aériennes de la coalition consisterait à effectuer de l’appui au profit des forces de la rébellion syrienne mais les forces terrestres de Bachar el Assad sont bien installées en ville et l’appui aérien en centre urbain devrait être délicat à mener pour les forces aériennes compte tenu des dommages collatéraux possibles sachant que les forces syriennes utilisent également des boucliers humains. Ces missions très sensibles nécessiteraient des armements adaptés que possèdent uniquement les britanniques. Dans ces conditions les interventions d’appui de la coalition seraient donc axées principalement sur les zones périurbaines et nécessiteraient le soutien de forces spéciales sur le terrain. La troisième mission reposerait sur la destruction des centres du pouvoir, de commandement et logistiques syriens. Moins visible cette mission d’attrition qui s’inscrit dans la durée est toutefois très efficace. L’édifice politico-militaire adverse désorganisé par des frappes très ciblées dans la profondeur du dispositif ennemi s’écroule, de fait subitement sans signes annonciateurs.
Toutes ces missions y compris navales nécessiteraient des moyens de renseignements précis en temps réel reposant sur des capteurs variés et des analyses affinées afin de débusquer des cibles très camouflées et bien défendues. Or dans ce domaine les forces européennes sont très démunies, comme l’ont démontré les opérations en Libye. Le manque crucial de drones performants, par exemple, a été largement souligné après cette intervention.
A noter enfin que les appareils de la coalition devraient être vraisemblablement basés à Chypre et en Crête voire en Turquie et que les avions de ravitaillement en vol apporteraient l’allonge indispensable pour réaliser toutes ces missions longues. Dans ce domaine, les forces européennes seraient, sans nul doute largement tributaire des moyens américains, comme ce fut le cas pendant toutes les dernières opérations aériennes d’envergure.
Que dire des moyens d’attaques offensifs de cyberdéfense qui pourraient perturber voire détruire les réseaux d’informations et de commandement syriens mais qui n’existent pas en Europe et dont seuls les Etats-Unis possèdent une véritable capacité.
En conclusion une intervention crédible en Syrie, limitée exclusivement à des forces navales et aériennes pour des raisons développées supra, serait vraisemblablement impossible au plan militaire sans les Etats-Unis voire la participation de la Turquie. Cette démonstration également met en exergue indirectement les limites des capacités d’intervention des forces armées européennes et plus particulièrement françaises qui possèdent des lacunes capacitaires dans tous les domaines cités dont la lutte contre les défenses anti aériennes et anti surface mais aussi les moyens de renseignements et de drones, d’armements précis en zone urbaine, de ravitailleurs et d’avions de transport tactique modernes ainsi que de capacités de cyber attaque… Concrètement, une intervention « en premier » comme celle effectuée le 19 mars 2011 par les Rafale pour sauver la population de Benghazi promise à un massacre face serait aujourd’hui impossible en Syrie. Espérons que nos décideurs seront en tenir compte au moment de la rédaction du prochain livre blanc et de la future loi de programmation !