Ce sont des scientifiques algériens en colère et humiliés de voir une institution du pays, en l’occurrence le ministère des Affaires religieuses, affirmer que le croissant lunaire a été « vu » à la veille de l’Aïd alors que c’est une impossibilité scientifique,
qui écrivent une lettre ouverte au président de la République et à d’autres autorités, aux scientifiques et intellectuels algériens et aux citoyens algériens « doués de raison ». Ces scientifiques n’acceptent pas la situation « incroyable » et impensable en « Algérie au 21e siècle » de voir des officiels du ministère des Affaires religieuses invoquer « haut et fort » l’observation « d’un croissant qui n’était pas dans le ciel ».
L’Algérie, écriventils, est le « seul pays musulman à avoir commis une telle offense cette année et de manière publique, insultant la science et l’intelligence du peuple ! ». Ces scientifiques sont en colère car ils pensaient que l’Algérie et son Etat ne pouvaient verser dans le charlatanisme et l’obscurantisme. Que l’Algérie était un pays qui avait une ambition élevée et que ses efforts en matière d’éducation – 1,4 million d’étudiants ! – devraient se traduire « à tous les niveaux de décision ».
Ils pensaient, ces scientifiques, qu’une situation « incongrue où l’Aïd El-Fitr est proclamé sur la base de ‘‘l’observation’’ d’un croissant inexistant ne devrait jamais avoir lieu » en Algérie. Sauf qu’elle a bien eu lieu. Et en direct, à la télévision nationale. Et les scientifiques ne veulent pas laisser passer cette insulte à l’intelligence.
Ils disent aussi bien un écoeurement qu’une inquiétude devant l’affaissement de la raison devant des formes de bigoterie moyenâgeuses. Les gens du moyen-âge avaient au moins l’argument du niveau limité des connaissances. Ce n’est pas le cas en 2011. Et disent, nos scientifiques, « l’Algérie mérite mieux que d’être traitée comme un quelconque pays archaïsant et en marge du progrès scientifique et humain ».
UN AFFRONT
Pour eux, il y a eu un « affront » fait à la « science et à la raison » quand une « institution de l’Etat, présidée par le ministre des Affaires religieuses en personne, se permet de décréter en direct, devant des millions de nos concitoyens et d’observateurs du monde, une contrevérité, bafouant les faits scientifiques qui avaient pourtant été communiqués à ces officiels ». Ils se demandent comment cette instance de l’Etat peut se permettre d’ignorer les données « certaines et établies » par le CRAAG qui « fournit les horaires des prières durant toute l’année au ministère et au peuple ».
Le CRAAG avait établi que le croissant « allait se coucher avant le soleil dans la partie nord de l’Algérie et que de manière générale le croissant sera inobservable en Algérie ». Les scientifiques, auteurs de la lettre ouverte, estiment, à juste titre d’ailleurs, que la question va bien audelà de savoir si on aurait dû célél’Aïd le mardi au lieu du mercredi. Ils expliquent qu’il n’y avait pas besoin de faire violence aux faits et argumenter sur la base d’un mensonge pour justifier la célébration de l’Aïd le mardi, il aura suffit d’« une approche jurisprudentielle cohérente, comme l’ont fait d’autres pays ». « Il s’agissait d’être conséquent avec soi-même et de respecter des faits, et ultimement de respect de la science, des experts, des instances nationales et internationales et des citoyens algériens ! », estiment les scientifiques. Ces derniers auraient même pu faire valoir que la religion musulmane ne tolère pas qu’on puisse affirmer une chose qui n’existe pas et que c’est aussi un manquement à l’obligation religieuse de vérité.
Les scientifiques notent que les Saoudiens n’ont pas retenu les témoignages d’observation du croissant sous l’horizon. « Son comité, formé de personnalités religieuses sans compétence scientifique particulière, a simplement argumenté que le croissant demeurant une minute au-dessus de l’horizon après le coucher du soleil, il était potentiellement visible de personnes dotées d’une super-acuité visuelle, même si cela est incompatible avec ce que nous savons en astronomie de la visibilité d’un croissant. Les autres pays arabes n’ont fait qu’emboîter le pas de l’Arabie Saoudite pour diverses raisons ».
L’ALGÉRIE « LANTERNE ROUGE »
Mais pour les scientifiques algériens, l’Algérie a fait « pire que pire que tous les pays arabes et musulmans », elle a « entériné l’observation d’un croissant sur la base d’un « miracle », d’un croissant sous l’horizon dans deux des wilayas citées dans le communiqué du Comité ! De ce fait, l’Algérie fait office de lanterne rouge par rapport au monde musulman, et son peuple de dindon de la farce, et cela nous ne saurions l’accepter ». Très remontés et à bon droit, les scientifiques réclament une commission d’enquête pour décider qui a commis cette faute « grave ». Elle doit également décider si les experts qui ont déclaré, tout comme le CRAAG, qu’il y avait impossibilité de voir le croissant « avaient raison ou non » et éventuellement les « sanctionner ». Avec une ironie décapante, ils estiment que si leur science n’est pas « fiable, que cela soit proclamé, que les lieux où ces observations miracles se font deviennent des hauts lieux de pèlerinage et que les universités et les centres de recherche soient fermés ! ».
Bref, ils estiment que les faits sont d’une extrême gravité. L’Etat, estiment-ils, « ne saurait s’absoudre de la responsabilité qu’une de ses instances entre en conflit flagrant avec les grands principes de la nation, qui a opté résolument pour des institutions modernes en accord avec le progrès humain universel, et s’appuyant résolument sur la science ». Les scientifiques estiment qu’une « rectification » officielle s’impose et qu’à défaut, ils ne sont pas « responsables de cette situation insultante ».