Une infrastructure au service du développement, Quelle vocation pour le port de Djen-Djen?

Une infrastructure au service du développement, Quelle vocation pour le port de Djen-Djen?

Le port de Djen-Djen est un élément-clé de la stratégie d’aménagement et de développement de la wilaya de Jijel

Le rôle du port de Djen-Djen créé dans un contexte donné et pour des besoins bien définis, est difficilement perceptible dans l’état actuel des choses. Son existence est le fruit d’une ambitieuse stratégie d’aménagement à Jijel, élaborée dès la fin des années 1970, mais qui n’a pas abouti au final.

Dès 1980, la wilaya de Jijel a bénéficié d’un programme de développement économique à caractère industriel inscrit dans le cadre de la politique «d’industrie industrialisante». Il s’agit d’un programme de développement dit «intégré», où l’Etat avait projeté la réalisation d’un complexe sidérurgique comme noyau de développement de la région, avec des infrastructures de base dites «d’accompagnement». Avec notamment un port, un aéroport, une centrale électrique, et un gazoduc. En parallèle, le secteur des services des industries de transformation, de l’agriculture, du tourisme, de l’éducation et de la culture, devait connaître un développement conséquent. Le complexe sidérurgique prévu sur le site de Bellara (commune d’El Milia), tant par sa taille que par le nombre d’industries que son existence aurait suscitées devait répondre aux attentes de la population en matière de création de postes d’emploi. Il devait répondre à une grande partie de la demande de main-d’oeuvre venant de la part de la population wilayale et environnante, puisque le nombre d’emplois industriels qui était de 5259 en 1985, devait atteindre 35.859 à l’horizon 2000, selon les hypothèses de croissance élaborées par le ministère du Plan, de l’époque. Situé à 10 km à l’est du chef-lieu de wilaya de Jijel, et à environ 40 km de Bellara, ce port tire son appellation du fait de sa proximité de l’embouchure de l’oued Djen-Djen.

Cette infrastructure d’accompagnement réalisée durant la période 1984/1991, devait répondre à une préoccupation majeure, qu’était la réception à l’importation des intrants (minerai de fer) nécessaires au fonctionnement de l’usine sidérurgique prévue à Bellara. Sa vocation de départ était donc principalement sidérurgique. Par ailleurs, du fait de sa conception relativement moderniste, elle devait aussi répondre efficacement aux nouvelles conditions et exigences en transport maritime international, puisqu’il peut accueillir des navires au tirant d’eau important allant jusqu’à 18 m de profondeur.

– La crise des années 1990 et l’arrêt du processus de développement au début des mêmes années, alors que les infrastructures accompagnant le projet sidérurgique étaient en voie d’achèvement, la stratégie de développement mise en place à Jijel a connu un important rebondissement, voire une remise en question. En cause, la réalisation du moteur de ce programme, qui n’est autre que l’usine sidérurgique, s’est vue interrompue, alors que l’assiette de terrain devant l’accueillir a été aménagée sur une superficie de 500 ha.

Des raisons différentes

Un climat de doute s’est installé concernant la suite à donner à ce processus amorcé une quinzaine d’années plus tôt et qui a nécessité d’importants efforts financiers au Trésor public. Les raisons avancées de part et d’autre, et qui auraient causé le retard du projet sidérurgique sont différentes. On évoque à titre d’exemple l’état du marché international et la baisse des cours mondiaux de l’acier, mais l’explication la plus plausible simple à première vue, serait celle liée à l’état des finances algériennes à partir du milieu des années 1980. La crise pétrolière provoquée par la chute vertigineuse des cours mondiaux des hydrocarbures a entraîné le pays dans des difficultés financières qui allaient durer longtemps et provoquer de profondes modifications concernant les plans de développement préalablement définis. L’Etat a orienté brutalement l’économie algérienne vers l’économie de marché et s’est désengagé du financement des projets à caractère économique, sur fond de privatisation des entreprises publiques.

La situation est d’autant plus critique à Jijel, que la stratégie conçue au départ représente un projet intégré, où chaque élément tient un rôle important, ce qui donne un système où l’ensemble des éléments fonctionnent dans un rapport d’interdépendance les uns avec les autres. Autrement dit, la non-réalisation de l’usine sidérurgique, qui est le coeur du projet de développement conçu pour Jijel, signifie tout bonnement l’arrêt du processus de développement de la wilaya et la sous-exploitation, voire la non-exploitation des infrastructures déjà réalisées. L’urgence de trouver une alternative à l’usine sidérurgique n’est plus à démontrer. Alors que l’objectif de départ, à savoir l’amorce économique et le développement de l’emploi dans la wilaya, reste en suspens, une autre problématique est venue se greffer à la première, elle concerne l’amortissement des infrastructures d’accompagnement.

Il fallait donc trouver un projet de substitution à l’usine sidérurgique, qui soit de la même envergure et compatible avec les autres infrastructures déjà réalisées, de sorte que le système que nous avons décrit auparavant soit fonctionnel, le tout en évitant de grands concours financiers à l’Etat.

Nouvelle vision pour le développement

A partir du milieu des années 1990, on a imaginé quelques scénarios aussi bien localement qu’au niveau central, une zone industrielle à Bellara avec un port franc à Djen-Djen, une zone franche commerciale à Bellara avec la mise en port franc d’une partie de Djen-Djen, etc. Ces scénarios semblent en apparence convenir parfaitement à la situation du territoire de Jijel. Mais dans le fond, ils ont tous la caractéristique d’être tournés vers le marché international, en plus de laisser l’initiative d’investissement aux entrepreneurs privés. Ces concepts très en vogue dans le marché mondial seraient-ils compatibles avec l’environnement économique et social en Algérie et à Jijel en particulier? La réponse est arrivée en 1997, quand a été décrétée la mise en place d’une zone franche industrielle d’exportation (Zfie) à Bellara. Des années plus tard, la zone franche ne trouvait pas de concessionnaire et le projet est tombé à l’eau. Pour les infrastructures accompagnant le projet sidérurgique, la situation est moins claire. Certains équipements, du fait de leur nature, ont pu s’intégrer dans le paysage local, voire national, et être amortis par des besoins naturellement grandissants dans tel ou tel domaine. C’est le cas par exemple de la centrale thermique qui, reliée au réseau de distribution national, participe à la couverture de la demande du pays en électricité. Il en va de même pour le gazoduc en provenance de la wilaya de Skikda, qui aujourd’hui alimente beaucoup de centres dans la wilaya en gaz naturel, et où la couverture du territoire de Jijel est en progression. Nous citerons aussi le cas de la route express Jijel-Constantine qui, sans la modernisation subie à la fin des années 1980, n’aurait pas pu absorber le surplus de trafic cumulé d’année en année. L’évolution du trafic est telle qu’aujourd’hui elle est, de nouveau, sujette à des travaux d’aménagement et d’élargissement. En revanche, d’autres infrastructures peinent à s’intégrer dans le paysage économique local. C’est le cas notamment du port de Djen-Djen et de la voie ferrée. Le fait que l’activité de ces deux derniers soit directement liée à celle de l’usine sidérurgique rend difficile leur reconversion et réduit les possibilités d’amortissement. Il est en effet plus facile d’imaginer l’amortissement d’une route empruntée par la majorité de la population avec un flux naturellement croissant de véhicules d’une année à une autre, que celui d’un port conçu notamment pour accueillir 2,5 millions de tonnes/an de minerai de fer, qui aurait servi de matière première à une usine sidérurgique qui n’existe pas encore. Ceci est aussi valable pour la voie ferrée réalisée principalement pour acheminer ce même minerai de fer importé via le port en direction de l’usine sidérurgique, ainsi l’écoulement en aval de la production en acier vers d’autres points dans le pays. Ceci est particulièrement vrai, quand on connaît la faiblesse de l’économie locale et de ses différents indicateurs. L’un comme l’autre, le port de Djen-Djen et la voie ferrée rencontrent aujourd’hui des difficultés de fonctionnement, et leur activité est totalement dépendante de l’économie régionale, voire nationale. Intrinsèquement, les retards dans la réalisation du projet sidérurgique renforcent l’interdépendance du port et de la voie ferrée d’une certaine façon, puisqu’il n’est plus question de trafic garanti par le fonctionnement de l’usine sidérurgique, mais plutôt de capacité concurrentielle pour drainer un flux de marchandises suffisamment important afin d’assurer la rentabilisation de ces deux infrastructures.

La lenteur du processus de réalisation du projet sidérurgique reste un moment crucial dans la vie économique à Jijel, puisqu’ elle projette ce territoire déjà fragile dans la sphère de l’économie de marché avant même le parachèvement de sa base économique. Le défi est de taille et demande une reconsidération, quant au choix de développement de départ. En tout état de cause, la non-réalisation d’un complexe aussi important que l’usine sidérurgique de Bellara, ne fait qu’accroître l’importance grandissante de la place occupée par le port de Djen-Djen dans la stratégie de développement de la wilaya, qui graduellement passe du rôle d’infrastructure d’accompagnement à celui de moteur de développement. L’amorce du développement économique à Jijel retardée par la concrétisation de ce projet, semble aujourd’hui reposer sur le dynamisme du port de Djen-Djen et sa capacité à générer une activité à la hauteur de son potentiel. Cela dénote un changement dans l’orientation de développement initialement conçue pour la wilaya. Celle-ci a évolué d’un développement intraverti axé sur l’usine sidérurgique et son effet d’entraînement local, à un développement extraverti basé sur le dynamisme de l’activité du port commercial et ses relations avec le reste de l’économie nationale.

Quels sont les atouts de Djen-Djen pour ce rôle qu’il est appelé à jouer?

Si, techniquement, il renferme une infrastructure qui lui permet de prétendre au rôle de moteur de développement local, son environnement lui permet-il de capter un trafic régional, voire national, à la hauteur de ses capacités?

Pour répondre à ces questions, la réalité de l’infrastructure de Djen-Djen est d’abord un élément-clé de la stratégie d’aménagement et de développement de la wilaya. Ses capacités relativement appréciables font d’elle un acquis certain. Mais actuellement, et dans le contexte économique local, ces mêmes capacités la laissent totalement dépendante de l’économie régionale, voire nationale. Le défi reste entier puisque, pour Djen-Djen, il s’agit de tirer profit de sa situation géographique et d’intéresser les pôles économiques qui entourent la wilaya de Jijel d’est en ouest (Skikda, Constantine, Sétif, voire Béjaïa). Pour cela, la mise à niveau de la qualité de service est indispensable. Mais au vu de ses capacités d’accueil, Djen-Djen devrait tirer profit de sa proximité de l’autoroute Est-Ouest qui passe au sud de la wilaya, pour élargir sa zone d’influence, puisqu’à travers ses ramifications cette infrastructure routière permet d’atteindre les quatre coins du pays, voire les pays frontaliers du Sahel. Il y va de même pour le réseau des chemins de fer qui se modernise et s’intensifie au niveau des Hauts-Plateaux et au sud du pays, avec la construction de nouvelles lignes ferroviaires, lieux d’émergence de nouveaux pôles économiques.

Dynamique économique

De leur côté, les autorités semblent avoir conscience de la nécessité de développer les activités du port pour que cette infrastructure puisse jouer son rôle comme outil d’aménagement structurant et ainsi créer une certaine dynamique économique croissante autour de l’activité portuaire, compte tenu du potentiel important du port de Djen-Djen. Son activité pourrait ainsi, dans une certaine mesure, pallier la faiblesse du secteur économique à Jijel. Cette faiblesse a fait qu’on a imaginé localement plusieurs projets et scénarios_concernant Djen-Djen, qui ont tous la caractéristique commune d’être tournés vers l’extérieur de la wilaya, voire l’extérieur du pays. A titre d’exemple, il a même été question d’instaurer une zone franche dans l’enceinte portuaire. Aujourd’hui la vision semble être plus claire et les vocations du port se dessinent à l’horizon. D’abord, une première vocation de port céréalier a émergé progressivement et semble aujourd’hui acquise avec l’augmentation du trafic de céréales, évalué actuellement à 1 million/t par an par l’administration du port de Djen-Djen.

La cadence est de 5000 t traitées par jour sans capacité d’ensilage. Pour l’écoulement des céréales, le port s’appuie sur le rail qui transporte la quasi-totalité des quantités traitées. Selon la même source, ce dernier a traité en 2010 environ 40% des céréales importées en Algérie. Ces capacités sont en train de se renforcer avec une unité de traitement des céréales en cours de réalisation dans l’enceinte portuaire.

Selon les services du port, il s’agit d’une concession de 10 ha accordée à l’entreprise les Grands Moulins du Sud basée à Biskra pour la réalisation d’un silo transcontinental en joint-venture avec un groupe émirati. Le silo est prévu pour le traitement de 300 000 t de céréales et il est envisagé un trafic de 2 millions de tonnes par an.

Conçu pour le négoce de céréales, ce projet, une fois finalisé, pourrait faire transiter par le port de Djen-Djen, la totalité des besoins de l’Est algérien en céréales. Il est à noter que cette unité est similaire à celle déjà installée et fonctionnelle au niveau du port de Djebel Ali, aux Emirats arabes unis. La deuxième vocation est encore au stade d’ambition. Elle vise à faire de Djen-Djen un port d’éclatement de niveau mondial. Selon les publications de l’administration portuaire, il est question de la réalisation d’un terminal de transbordement de conteneurs, capable de traiter deux millions d’unités par an. Sa gestion est confiée à une société émiratie spécialiste en la matière, et qui gérerait environ 45 terminaux de ce genre dans le monde.

Les travaux sont en cours pour l’aménagement dudit terminal à l’intérieur même du port, avec un terre-plein de 65 ha et des quais longs de 2000 mètres linéaires et profonds de 17 m. Les 65 ha seront gagnés entièrement sur la mer.

Il s’agit là d’un objectif stratégique. Dans un premier temps, à l’échelle nationale, la plupart des conteneurs qui débarquent sur les ports algériens arrivent d’abord en France, en Espagne, en Italie ou à Malte pour être acheminés ensuite en Algérie. La direction du port de Djen-Djen envisage de prendre le relais pour accueillir directement une part importante du trafic de conteneurs à destination de l’Algérie. A long terme, Djen-Djen ambitionne de tirer profit de ses importantes capacités d’accueil et de sa situation géographique pour s’imposer en tant que port d’éclatement reconnu mondialement pour le dispatching national et international des conteneurs. Dans ce sens, ce port compte devenir une porte ouverte sur la Méditerranée pour les pays du Sahel, via la transsaharienne.

Ces projets semblent être, au regard des données locales actuelles, presque utopiques. L’état de la concurrence sur le marché mondial et les niveaux de performance atteints dans les domaines du commerce international et de la gestion portuaire d’une part, les retards cumulés dans ce domaine en Algérie et à Jijel en particulier d’autre part, tendraient à freiner ce genre d’initiatives. Mais les décideurs semblent avoir trouvé une solution à ce problème, en s’appuyant sur le partenariat avec des multinationales spécialisées et bien introduites sur le marché international, autant pour le projet du terminal à conteneurs, que pour celui du silo à grain.

Mais il existe un handicap d’une toute autre nature et qui est plutôt intrinsèque à la région, puisqu’il s’agit de son niveau d’équipement. Car à ce jour, il n’existe pas de jonction directe entre Jijel et l’autoroute Est-Ouest. Hormis la RN 77 qui traverse les montagnes Sud de la wilaya et dont le tracé la rend inadéquate à un intense trafic de poids lourd, la seule liaison qui existe aujourd’hui emprunte le tronçon Est de la RN 43 puis la RN 27 pour transiter par le chef-lieu de la wilaya de Mila et enfin atteindre l’autoroute. Une liaison qui reste insuffisante car, malgré la modernisation qu’a subie la RN 43 sur sa partie Est, son élargissement suffirait seulement à absorber le flux de circulation des véhicules légers qui est en croissance rapide, et ne pourrait pas prendre en charge un trafic permanent de poids lourds à la hauteur des capacités d’accueil du port. Ce genre de trafic serait difficilement absorbable et causerait énormément de difficultés pour la circulation routière. Il engendrerait des coûts supplémentaires liés à la distance parcourue et au facteur temps. Ceci nous rappelle inévitablement le rôle que pourrait jouer le rail dans ce genre de projet, et ouvre la porte à des questions sur l’utilité de la voie ferrée à Jijel. Le développement du port de Djen-Djen se heurte donc à l’enclavement physique de la wilaya. En l’absence d’une liaison routière et ferroviaire qui serait à la hauteur des ambitions du port et qui assurerait de bonnes liaisons avec les pôles économiques ciblés, le succès de ces projets semble compromis dès le départ. La nécessité de réaliser une pénétrante autoroutière qui relierait Jijel à l’autoroute Est-Ouest, ainsi qu’une voie ferrée qui connecterait la wilaya au réseau national au niveau des Hauts-Plateaux, n’est plus à démontrer aujourd’hui.

Enfin, l’élément nouveau susceptible de changer la donne économique dans la wilaya, est l’annonce de la création le 7 janvier 2013 d’une usine sidérurgique à Bellara. Un partenariat algéro-qatari, qui, s’il venait à aboutir, produirait près de 5 millions de tonnes d’acier par an et créerait dans une première phase près de 2000 emplois directs. Ce projet, même s’il intervient dans un contexte différent, nous rappelle étroitement le premier scénario esquissé à la fin des années 1970 et dont la réalisation a été interrompu au début des années 1990. La concrétisation de cette association peut être considérée comme une réamorce de ce processus de développement avec tous les avantages et les progrès que la technologie aura enregistrés entre-temps.