L’informel touche pratiquement toutes les activités commerciales. Si les conséquences directes de ce phénomène sur le Trésor public sont connues, il en reste certainement à cerner d’autres qui impactent négativement sur la collectivité.
Une enquête de la Police judiciaire de la Gendarmerie nationale sur la vente illégale d’alcool démontre comment cette activité informelle mène à d’autres fléaux et crimes, tels que la consommation et la commercialisation de drogue, la violence, etc. L’enquête, réalisée sous forme de fiche analytique, fait ressortir une conjonction entre l’absence de contrôle et de régulation de l’activité de vente d’alcool, la drogue, la violence et d’autres délits. L’on remarque, à la lecture de l’enquête, que de nombreuses wilayas sont dépourvues de points de ventes légaux d’alcool.
Cette analyse est ressortie aussi dans les recommandations de la gendarmerie. On y lit ainsi que “le gel des licences d’exploitation des débits de boissons alcoolisées et des bars par les walis a créé une situation de blocage et a favorisé la création du commerce informel, augmentant l’ampleur de ce phénomène dans certaines villes et certains villages dépourvus de débits de boissons, comme les wilayas de Chlef, de M’sila, de Médéa, d’El-Oued et d’Aïn Defla”. L’enquête ajoute que les plus grandes quantités saisies ont été opérées “sur les voies de communication des localités dépourvues de points de ventes légaux”.
Prohibition
Si sur le plan religieux, la consommation d’alcool est prohibée par le texte, il n’en demeure pas moins que cette orientation musulmane est appuyée par des mesures administratives qui considèrent la consommation d’alcool comme un “délit”. La gendarmerie, à travers son enquête, a mis en évidence les exigences réglementaires en vigueur qui imposent aux débits de boissons de baisser rideau à 20h, aux bars de fermer à 22h et aux restaurants servant de l’alcool à minuit.
Les enquêteurs de la GN font remarquer que cette situation a empiré avec “les pétitions populaires des résidents protestant contre les nuisances que généreraient certains bars et débits de boissons”. Ils ajoutent qu’elles sont appuyées par “la médiatisation de quelques titres de presse connus pour leur ligne éditoriale”, ainsi que “le non-renouvellement d’agréments et le gel des autorisations d’ouverture de nouveaux bars et points de vente”. Résultats des courses : “Abandon de plusieurs commerçants de cette activité, laissant place aux points de vente informels.” “Cette situation reflète de manière implicite, précise l’enquête, une certaine prohibition de l’alcool” qui “profiterait aux barons de ce trafic informel, où 70% des alcools importés sont commercialisés et pourrait déclencher une hausse certaine de la consommation de drogue comme substituts”.
Des saisies en hausse
Les opérations de saisie, opérées par les GN durant les trois dernières années, ont révélé une augmentation constante. Les chiffres donnés révèlent qu’en 2012, 469 174 bouteilles ont été saisies contre 688 892 en 2013. En 2014, 1 666 423 bouteilles saisies. Ce qui représente une hausse de 141,90%. L’examen des affaires de lutte contre ce trafic a fait ressortir que l’activité de contrebande représente 6% des quantités saisies et les infractions fiscales avec un taux de 94%. La marchandise de contrebande “occasionnelle”, selon l’enquête, provient “du Maroc”. Elle est troquée “contre du carburant ou des produits alimentaires subventionnés, ou bien exportées frauduleusement dans certains cas vers la Tunisie en contrepartie de la friperie”. Quant à la vente clandestine et frauduleuse de cette marchandise, importée légalement ou produite localement, elle demeure très convoitée par des personnes de tout âge, notamment les chômeurs. Les chiffres de l’enquête illustrent l’ampleur du phénomène.
À Chlef et Mila, 293 affaires ont été traitées. 379 personnes ont été arrêtées à Chlef, 386 à Mila. 60 ont été écrouées à Chlef et 46 à Mila. À Chlef, la GN a saisi 19 521 bouteilles et 20 943 à Mila. Même topo à M’sila, Mascara, Sétif, Sidi Bel-Abbès, Tipasa, Aïn Defla, Aïn Témouchent, Jijel, Mostaganem, Tiaret, Oum El-Bouaghi, Blida, El-Oued et Médéa. Le nombre d’affaires traitées, de personnes arrêtées ou écrouées ainsi que les quantités saisies diffèrent d’une wilaya à une autre, néanmoins, les chiffres des saisies varient entre 11 000 et 323 000 bouteilles. L’enquête a fait remarquer que durant le 1er semestre de l’année en cours, il y a eu une fluctuation modérée en termes d’affaires traitées avec une légère baisse de personnes arrêtées.
Manque d’organisation
Au volet analyse du phénomène, la GN déplore “le manque d’organisation de ce secteur d’activité”. Cet état de fait a engendré, selon l’analyse, “l’implantation des dépositaires dans certaines wilayas dépourvues de bars et de détaillants”. Dans ces wilayas, relève la GN, “des dépositaires véreux importent des quantités dépassant largement la demande des points de ventes légaux pour recourir à des pratiques frauduleuses”. “Les lieux improvisés et improbables de consommation et de ventes illégales sont généralement fréquentés, non seulement par les repris de justice et les marginaux, mais aussi par des personnes vulnérables, notamment les mineurs et les femmes, lesquels sont exposés à d’autres types de crimes.” Il a été constaté aussi que les points de vente informels et les lieux de consommation improvisés constituent la source “d’autres faits criminels tels que la prostitution, le brigandage et les agressions sur les voies de communication”. Il est recommandé, afin de parfaire la gestion de ce secteur, estime la GN, “l’intervention des pouvoirs publics pour réglementer davantage les missions et attributions des différents intervenants”. Cela demeure, ajoute l’enquête, “largement souhaitable pour étudier et équilibrer la cartographie des lieux d’implantation des différents commerces concernant le secteur pour s’inscrire en droite ligne du programme du gouvernement qui vise à augmenter la production nationale et permettre au Trésor public de générer une manne financière”.
M. M.