Une diva méconnue du public algérien : Dihya, une des plus belles voix de la chanson chaouie

Une diva méconnue du public algérien : Dihya, une des plus belles voix de la chanson chaouie

Dihya est une grande voix. Sa complicité avec Messaoud Nedjahi a offert à la chanson chaouie des textes d’une rare beauté, qui racontent le pays chaoui, l’amour, l’identité, l’appartenance…, le tout porté par une musique aux accents de modernité.

A une époque, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, c’était mal vu, voire prohibé de chanter en sa langue maternelle, c’est-à-dire en chaoui, sous peine d’avoir plein de soucis et autres tracasseries ; cependant, ils et elles étaient une poignée à braver l’interdit. Parmi les francs-tireurs et redresseurs de torts, l’incontournable groupe les Berbères d’Oum El-Bouaghi, le groupe Thaziri de Salim Souhali, Messaoud Nedjahi et les deux artistes chanteuses Markunda Aurès et Dihya. Dihya, de son vrai nom Zohra Aïssaoui, est la fille aînée de Amar et Ourida. Née au village de Taghit en 1960, à quelques encablures du village rebelle T’kout. A l’âge de 8 ans, la petite Zohra quitte son Aurès natal pour s’installer avec sa famille en France, car son père était ouvrier chez un fabricant d’automobiles.

Comme tout Chaouia qui se respecte, elle emportait avec elle, dans ses bagages, ses souvenirs de petite fille et qui ne la quitteront jamais : chants chaouis, couleurs des Aurès, nom des lieux, contes pour enfants, fêtes auressiennes… En fait, un répertoire tout fait, tout prêt ; un répertoire des plus riches que Dihya n’a pas tardé à chanter, et de la plus belle manière, se faisant aider par son mari, l’auteur-compositeur mais aussi complice, Messaoud Nedjahi.

Sa complicité artistique avec Dihya a offert à la chanson chaouie l’une des plus belles voix, mais aussi et surtout des textes d’une rare beauté, qui racontent le pays chaoui, avec la plus grande fidélité. Les textes de Messaoud Nedjahi, aussi bien en tant qu’écrivain car il est romancier, que parolier de Dihya, ont servi et servent encore de support et référence aux jeunes générations. Vint ensuite le premier album de Dihya en 1980. Intitulé Eker Eker (lève-toi), cet opus se veut, dans son contenu, contre toutes formes d’oppression. Il rappelle étrangement mais magnifiquement l’inoxydable Get-up, Stand-up du roi du reggae, Bob Marley. Sans armes – sinon le talent – ni haine et encore moins de la violence, la diva chante un pays qu’elle a précocement quitté, qu’elle regrette. Amour, enfance, fête au village, séparation… autant de titres qui font dire aux mélomanes mais aussi aux spécialistes, à l’exemple de Uydir Salah, enseignant et chercheur, qu’“en plus des berceuses de Dihya, Eker Eker est un hymne à l’ancrage, l’enracinement, mais aussi une forme de peur de la perte et l’égarement de soi”.

Notre interlocuteur estime, en outre, que “si la chanson Ayache a Memmi (Ayache mon fils) fait partie du patrimoine, il n’en demeure pas moins que Dihya lui donne une dimension humaine beaucoup plus grande, car interprétée avec un immense amour, celui d’une mère”. Le chercheur semble ne pas être le seul à trouver dans les paroles de Dihya, aussi bien dans son premier album que dans le deuxième Usind Usind (1981), la nostalgie du pays et le désir profond d’y revenir.

Le journaliste et chercheur Noureddine Bergadi, qui a consacré bon nombre de ses articles et travaux à la chanteuse Dihya, est du même avis. Il ajoute, néanmoins, d’autres éléments “importants” : “Si Dihya n’est pas la première, elle est parmi les premiers chanteurs et artistes chaouis à avoir chanté l’appartenance et l’identité et de la plus belle manière, grâce à des textes aussi ingénieux que profonds. La chanteuse a su toucher le grand Aurès, car elle était et elle est toujours écoutée par tous les Auressiens. Elle a chanté l’amour (Ighzar Amellal, son village natal, l’histoire…) avec de belles paroles servies par des mélodies purement auressiennes.”

Dans son dernier album Dzaïr Essa (Algérie aujourd’hui), l’artiste est restée fidèle à une certaine tradition du chant chaoui : le retour à soi. Une subtile alchimie qui réussit à l’artiste. Par ailleurs, le plus regrettable dans le parcours de l’artiste reste le fait d’être inconnue ou méconnue par le large public algérien, à qui hélas on a volontairement ou involontairement présenté la chanson chaouie sur une facette plutôt folklorique, en omettant des artistes qui, dans les moments les plus difficiles, à l’exemple de Dihya, ont pris en charge ce même chant, qu’on a voulu à une époque étouffer et de nos jours édulcorer.

A ce sujet, le maître assistant qui prépare un doctorat sur la toponymie des Aurès, Djamel Nahali, nous a expliqué que “le chant de Dihya est comme les noms des lieux, d’ailleurs elle chante beaucoup la toponymie”. Selon lui, “les textes de son parolier Messaoud Nedjahi puisent dans le patrimoine, dans la mémoire collective. Elle ne chante pas pour passer le temps ou amuser les gens. Dihya, et c’est tout à son honneur, utilise un lexique plutôt auressiens dans le sens large, c’est-à-dire on peut l’écouter à T’kout ou à Souk Ahras. Elle a réussi à propager le chant, l’amour et l’identité”.