Une difficile semaine du roiFelipe VI : l’Espagne bloquée politiquement

Une difficile semaine du roiFelipe VI : l’Espagne bloquée politiquement

Jamais, depuis que son pays a tourné la page de la dictature de Francisco Franco mort en 1975, des élections n’avaient débouché sur une situation aussi confuse.

Les regards se tournent en Espagne vers le roi Felipe VI, chargé de désigner rapidement le prochain candidat à la présidence du gouvernement, une mission protocolaire qui pourrait lui permettre de prouver ses éventuels talents de médiateur dans une situation de blocage politique. C’est sans doute le grand test pour Felipe VI, 47 ans, chef de l’Etat de cette monarchie parlementaire européenne depuis juin 2014, fragilisée par les scandales ayant touché sa soeur Cristina, mise en cause dans une affaire de fraude fiscale et corruption, et son père Juan Carlos I dont les parties de chasse et les affaires de coeur ont fait couler beaucoup d’encre avant son abdication en 2014.

Le Parti populaire (droite) du chef du gouvernement sortant Mariano Rajoy a remporté le scrutin avec seulement 123 sièges sur 350 à la chambre basse et se retrouve sans majorité. Face à lui s’alignent les 90 élus socialistes et les 69 députés de la formation de gauche radicale Podemos et de ses alliés, décidés à lui barrer la route. Ciudadanos (centre, 40 députés), de son côté, veut rester neutre. Ainsi, un mois après les élections, la formation d’un gouvernement apparaît très complexe, faute de consensus, à droite mais aussi à gauche, Podemos et le Parti socialiste n’ayant pas à ce stade réussi à s’accorder. Jusque-là les résultats ne permettaient pas «les élucubrations, soit parce qu’un parti gagnait avec une majorité absolue soit parce qu’il disposait d’une majorité suffisamment large pour attirer des soutiens», explique le professeur de droit constitutionnel Antonio Torres del Moral. Du coup, ajoute-t-il, le roi n’avait pas à se poser de questions: il désignait le chef du parti en question. Mariano Rajoy prévoit que c’est sur lui que le roi jettera son dévolu, en tant que dirigeant du parti ayant réuni le plus de voix (28,72%). Mais en attendant, le roi respecte le protocole en menant cette semaine des entretiens avec les dirigeants de l’ensemble des partis. S’il désigne M. Rajoy, ce qui est très vraisemblable, le chef du gouvernement sortant tentera l’investiture au plus tard la première semaine de février, selon une source à la présidence du gouvernement. Pour l’emporter il devra obtenir une majorité absolue ou, lors d’un second vote, une majorité simple, impliquant au minimum l’abstention bienveillante de Ciudadanos (centre) et d’une partie des socialistes. En cas d’échec, commencera à courir un délai de deux mois pour d’autres candidats qui devront à leur tour être désignés par le roi.

Le contexte est d’autant plus compliqué que la monarchie est contestée en Catalogne (nord-est) par les séparatistes qui souhaitent créer une république indépendante et viennent de former leur gouvernement régional. «C’est un moment très délicat pour le roi car si les partis politiques ne lui apportent pas la solution en s’accordant, ils devra prendre des décisions», estime José Apezarena, biographe du souverain. «Sa liberté semble plus grande (…) il peut avoir un rôle actif en tant qu’intermédiaire ou négociateur», estime aussi le professeur Antonio Bar Cendón, dans une étude sur les nominations de chefs de gouvernement du pays.

Le jeune roi pourrait demander conseil à son père Juan Carlos I qui avait su piloter la transition entre le régime dictatorial de Francisco Franco et la démocratie. «Il n’a pas à prendre des décisions aussi dramatiques que celles de son père mais dans le climat actuel d’affaiblissement de l’image de la famille royale, s’il arrive à sortir de cette crise, ce serait un bon point» pour la monarchie, estime le professeur de Sciences politiques Jean-Michel de Waele, de l’Université Libre de Bruxelles. Dans tous les cas, le «roi peut avoir un rôle de facilitateur, sans être négociateur, estime M. de Waele. Il n’a pas beaucoup plus de marge de manoeuvre que le roi des Belges ou un monarque scandinave», estime-t-il. Hier, Felipe VI a essuyé un premier camouflet quand les représentantes du parti indépendantiste basque EH Bildu ont refusé de le rencontrer, estimant n’être pas ses «sujets».