L’affaire de l’intrusion nocturne d’un groupe d’individus, au nombre de six, au cœur de la cour d’Alger où de lourds dossiers, liés aux affaires corruption auraient fait l’objet de vol, dont certains titres de presse ont fait l’écho, demeure l’une des affaires des plus marquantes si elle venait à se confirmer, car, au-delà de son caractère gravissime, dans la mesure où elle concerne une institution souveraine, elle pousse à s’interroger sur le mode opératoire utilisé pour s’y être introduit aussi facilement.
Il est universellement connu que les infrastructures relevant de la justice sont supposées dotées de mesures de sécurité, aussi bien au plan logistique qu’humain, d’où déjouer l’ensemble des dispositifs mis en place, entre autres les caméras de surveillance, n’est pas un jeu pour amateurs et nécessiterait forcément une complicité à différents niveaux.
Par ailleurs, le système d’organisation de dossiers à la cour est tel que les éléments de ces dossiers sont reproduits en plusieurs exemplaires, dispatchés sur différentes structures d’où toute destruction de données du serveur devient insuffisante pour faire disparaître la trace d’un dossier.
Interrogé par nos soins sur cette scabreuse affaire, Fercha Kamel, avocat au barreau de Sétif, s’est montré plutôt catégorique, affirmant qu’«éliminer toutes les traces d’un dossier au niveau de la justice impliquerait une manipulation complexe car il faudrait arriver à détruire aussi les pièces archivées ailleurs, à commencer par ceux de l’information judiciaire dont les originaux restent au niveau de structures centralisant les enquêtes», et d’ajouter : «S’introduire à l’intérieur d’une cour pour faire sortir des outils de travail me paraît comme étant la plus sordide des inventions.»
Pour notre juriste, à supposer qu’il y a une complicité à un haut niveau serait une thèse peu crédible car elle suppose l’intervention de plusieurs acteurs relevant d’entités diamétralement différentes. «Il faut tout d’abord impliquer la partie sécuritaire qui a instruit le dossier, celui de l’enquête préliminaire, ensuite impliquer le corps de la police qui a en charge la surveillance des lieux et, enfin, une partie du personnel de la cour », dira-t-il, et de conclure : «Franchement, je considère qu’il s’agit là d’une fausse alerte dont l’objectif relèverait d’une double lecture, soit qu’elle est motivée par l’intention de discréditer la justice en lui collant une aussi lourde bavure, soit qu’elle vise à serrer la main de la justice à fin qu’elle anticipe le traitement de certains dossiers.» En tout état de cause, vraie ou fausse, cette affaire témoigne du mauvais état d’esprit qui ronge désormais notre société, car se tourner sur tout ce qui est institution étatique, dans le but de lui assener un coup de discrédit, serait, d’un côté, révélateur de la fragilité de l’Etat, et de l’autre, d’un manque de confiance avéré de la part de la population.
Les affaires de corruption, avec leur effet de médiatisation de la part de la presse écrite nationale ou internationale et au vu de la dimension qu’elles ont prise, ne pourraient pas être évitées par une simple disparition de dossiers judiciaires pendant en justice.
Sur ce même point, un cadre de la justice nous dira en substance : «Une affaire ébruitée aussi intensément comme l’ont été celles liées à la corruption ne peut pas être étouffée dans l’œuf en détruisant simplement des pièces, ce qui importe, ce sont les documents d’enquête, et pour cela, il faudrait attaquer avec un tank le commissariat, la brigade de gendarmerie où les bureaux de la sécurité militaire pour y parvenir».
par Zacharie S. Loutari