Comme par miracle, le bureau du mariage qui vivait au rythme d’une timide affluence, en pareille période hivernale, n’arrive plus aujourd’hui à contenir la ruée des jeunes couples, nouveaux mariés et prétendants à la hâte au fameux livret de famille, un document administratif attestant du lien sacré époux-épouse, devenu par la force des choses une clé, le passe de la porte d’un «appart», voire un ouvre-sésame.
Un toit sur la tête, les «quatre murs» ou la «tombe de la vie», trois expressions du besoin pressant d’un logement dont les échos mettent en transes les résidents des bidonvilles et des sites de l’habitat précaire concernés par les opérations d’éradication et de relogement. L’effervescence est à son comble dans les zones prises en charge par le plan de la résorption de l’habitat précaire (RHP).
Plus loin encore, le sujet du logement occupe les devants de la scène médiatique nationale et meuble toutes les discussions, plus que tout autre temps, dopé qu’il est par un effort de réalisation gigantesque de nouvelles cités à travers tout le territoire national.
L’espoir de bénéficier d’un logement est, ainsi, très grand pour la population des ‘’mal logés’’, un espoir qui s’est même gonflé avec ce recours accru aux astuces et aux méthodes tordues pour décrocher, pourquoi pas, plus d’un toit.
«Les gens ne se suffisent plus d’un logement», nous a confié un président d’association impliqué dans le contrat-programme, une action méthodique initiée par la wilaya de Constantine comme opérationpilote où le procédé paraît simple et efficace, en l’occurrence une implication direct des associations de quartiers dans le recensement global de la population des sites bidonvilles et attribution immédiate de bons d’évacuation vers des appartements encore en chantier.
«Le frère, le gendre et autres relations familiales sont invités à s’installer dans les maisons en ruine et dans les bicoques des bidonvilles avec bagages et progénitures pour figurer parmi les occupants nécessiteux du logement», nous a indiqué notre interlocuteur qui a préféré garder l’anonymat.
«Certains présidents d’associations ne dorment plus chez eux, d’autres ont été violemment agressés par les exclus des listes de bénéficiaires, leur reprochant d’être à l’origine de cette disqualification.
La pression subie par les associations de quartiers est énorme», nous a-t-il expliqué dans ce sillage. Les plus hautes autorités sont bien au courant de ces indus occupants des bidonvilles, qui viennent parfois de loin dans le dessein de bénéficier d’un logement.
Certains, attirés par l’appât du gain facile, et profitant de l’absence d’un fichier national du logement (finalisé, selon une récente déclaration du ministre de l’Habitat), ont un pied dans une wilaya et un autre dans une wilaya voisine.
Le Premier ministre Sellal avait, pour l’anecdote, répliqué à une femme venue réclamer un logement auprès de lui lors de sa dernière visite à Constantine, en lui disant : «Tu sais comment on prépare la «baklaoua ?».
Une façon bien à M. Sellal pour dire que la ville a été envahie par des opportunistes, venus de toutes les wilayas limitrophes et qui ne cherchent au bout qu’à obtenir un logement dans l’illégalité. Et en sus de ceux qui viennent d’autres wilayas et dont certains ont un pied-à-terre là-bas, il y a ces cas des nouveaux mariés, qui surgissent très nombreux sur la scène de la contestation après chaque opération de relogement.
Ces nouveaux mariés, abandonnés sur les lieux lors des récentes opérations d’évacuation, généralement des jeunes qui ont grandi dans les bidonvilles, et qui ont concrétisé leur mariage par acte administratif après le recensement final, «avec l’espoir d’être rajoutés à la liste des bénéficiaires », indiquent plusieurs témoignages des associations et des cadres de l’administration locale.
Les concernés, eux, revendiquent un droit, «j’ai le droit de me marier, et en tant qu’occupant des lieux, j’ouvre droit à un logement», s’exclament des jeunes fraîchement mariés, ou qui n’ont pas encore ramené la mariée chez elle, car il s’agissait pour la circonstance d’attester rapidement le mariage par un document administratif, on pensera à la fête après l’affectation vers un logement neuf.
Un président d’association relève qu’il y a des cas qui méritent une sérieuse réflexion, à l’enseigne de ces familles composées de six ou sept membres où les enfants ont dépassé l’âge de mariage pour trois et quatre d’entre eux, demeurés à l’état de célibat à cause de la crise du logement et qui ne trouvent pas meilleure occasion pour fonder un foyer.
«S’ils ne se marient pas tout de suite, ils ne pourront pas le faire demain, lorsqu’ils s’installeront à sept dans un F3», lance M. Hannache, membre du comité des sages de la vieille ville.
Celui-ci nous révèle qu’il existe des cas de célibataires «endurcis» dont l’âge atteint la quarantaine ou la cinquantaine, «nous plaidons pour qu’ils figurent parmi les bénéficiaires», soutiendrat- il, non sans reconnaître qu’il existe d’autres cas qui présentent effectivement un caractère «frauduleux». Certains témoignages rapportent que des couples ont divorcé pour que chacun des ex-conjoints s’accapare un appartement et le tour est joué pour vendre l’un et vivre ensemble dans l’autre.
Car, le divorce n’est prononcé que par une décision de justice, le couple continue toujours à vivre en très bonne entente sous un même toit. Cheikh Chemseddine, de passage à Constantine récemment, s’est tenu la tête entre les mains lorsqu’il a été sollicité pour accorder un avis religieux sur cette pratique. En tout état de cause, on assiste à un véritable «boom» des mariages dans les bidonvilles et autres sites d’habitat précaire.
Le relogement administratif ne prévoit pas d’affectation d’un quota spécial pour les jeunes, contrairement aux textes de la loi sur le logement social qui accordent un pourcentage exclusivement destiné aux jeunes en âge de mariage, chose qui pousse cette catégorie de la population à recourir au mariage de dernière minute afin de créer un foyer et prétendre conséquemment au logement.
Le chargé de la communication de l’APC de Constantine reconnaîtra l’existence du phénomène en question, sans nous confirmer en statistiques cette hausse des mariages, avouant sur ce registre qu’il n’a pas les chiffres exacts du nombre de nouveaux mariés dans la commune. Mais, on peut deviner, sur la base de la contestation traînée par ces opérations de relogement, qu’il en existe par dizaines des cas du genre.
A. Zerzouri