Un leader de longue date du GSPC et d’al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a parlé cette semaine, sous couvert de l’anonymat, de l’histoire de l’organisation en Algérie et de ses projets futurs pour le Mali.
« Les leaders d’AQMI révèlent leur véritable identité lorsqu’ils revendiquent un attentat, font passer un message ou expriment une position sur un sujet donné », a déclaré à Magharebia l’éditorialiste d’Alakhbar Sid Ahmed Ould Baba à propos de l’exceptionnel entretien que ce terroriste a accordé à son site web le 20 mai. « Les choses sont différentes lorsqu’ils parlent de stratégie et d’histoire. »
Cette apparition publique de ce responsable d’AQMI intervient un peu plus de quinze jours après la publication des documents et des lettres retrouvés dans le repaire d’Oussama ben Laden à Abbottabad, au Pakistan. Ces documents font apparaître des divisions au sein d’al-Qaida, des tensions avec les autres extrémistes, des appels du groupe à changer de nom, et d’autres dissensions internes.
Ces lettres de ben Laden témoignent de la fragmentation d’al-Qaida. Mais pour AQMI, l’organisation terroriste internationale était de toute façon un modèle à suivre.
La réconciliation en Algérie a placé cet affilié d’al-Qaida au Maghreb « dans une situation délicate », a reconnu ce terroriste.
Lorsque le GSPC algérien s’est rebaptisé al-Qaida au Maghreb islamique, « nous avons bénéficié d’une forte poussée », a-t-il expliqué. « C’était notre principal soutien dans la lutte contre le projet de réconciliation en Algérie. »
Son groupe a connu une réduction dramatique de ses effectifs, résultat du programme d’amnistie en faveur des terroristes repentis mis en place par Alger. Cette nouvelle affiliation a aidé le GSPC à recomposer ses rangs clairsemés.
Près de huit mille terroristes ont en effet bénéficié de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale en Algérie.
Hassan Hattab, le fondateur du Groupe salafiste pour le prêche et le combat (GSPC) fait partie des quelque quatre-vingts terroristes qui se sont rendus depuis l’entrée en vigueur de cette charte en 2006.
Sa « repentance » officielle a porté un sérieux coup au groupe terroriste algérien. Avant sa libération de prison il y a cinq mois, Hattab a publié plusieurs appels demandant à ses « frères » d’obéir à Dieu, de rejeter la violence et de choisir la voie de la réconciliation.
Confronté à la réduction de ses rangs, par suite de cette initiative algérienne, le GSPC s’est alors tourné vers Oussama ben Laden.
« Notre accession à l’organisation mère al-Qaida nous a ouvert la porte pour recevoir des recrues du monde entier ; cela a réduit l’impact du programme de réconciliation algérien », a dit ce terroriste àAlakhbar.
« Elle nous a donné une envergure mondiale et nous a permis de sortir du niveau national limité sur lequel nous opérions », a-t-il ajouté.
AQMI a certes bénéficié de son accession à al-Qaida, mais a souffert de la perte de ben Laden, a indiqué à Magharebia Sid Ahmed Ould Tfeil, spécialiste du terrorisme.
Les lettres de ben Laden révèlent en effet la portée de son statut de guide pour ses acolytes au Maghreb. Dans la lettre numéro 13 (sur les 17 rendues publiques le 5 mai), il conseillait à AQMI d’éviter les divisions et de suivre des plans de guerre efficaces.
Selon Ould Tfeil, « cela prouve que ben Laden n’a jamais été convaincu que la branche maghrébine avait atteint le stade de la maturité ».
« L’échec des forces islamiques algériennes à remporter les récentes élections législatives montre que le souvenir des années de feu, de plomb et de terreur est encore fortement ancré dans les esprits algériens », ajoute Ould Tfeil.
« Cela explique l’insistance mise par les Algériens sur la réconciliation, qu’ils présentent comme l’ennemi numéro un des groupes terroristes », poursuit cet analyste.
Dans son entretien, le leader terroriste explique que les soubresauts politiques et l’incertitude sécuritaire qui en a résulté ont permis à son groupe de s’implanter dans de nouvelles régions, comme le Mali.
Cette idée recoupe le message numéro 8 de ben Laden, dans lequel il affirme que ces révolutions ont constitué une occasion de prendre le contrôle de la situation. Ben Laden encourageait les militants à accentuer leurs efforts dans les médias dans les pays de la révolution et à avoir recours à de véritables tribuns « pour enflammer les esprits de la jeunesse ».
Mais les vieux outils de recrutement que sont les ouvrages et les discours en hommage aux « martyrs » ont eu moins d’impact sur les jeunes après les révolutions arabes, explique l’analyste et écrivain Said Ould Habib.
« Les jeunes croient plus dans les technologies modernes, comme Facebook et Twitter, que dans des panégyriques qui encensent les morts », déclare -t-il.
Pour toucher le coeur des jeunes, AQMI se devait de faire un effort particulier.
« L’un des objectifs prioritaires était de connaître les jeunes de la région, et de se familiariser avec la région elle-même », a expliqué ce leader d’AQMI dans cet entretien.
« La frontière algéro-malienne était une zone de contrebande connue », a-t-il affirmé, et il était donc facile d’y opérer.
Le terroriste reconnaît qu’AQMI a rencontré des difficultés majeures pour instaurer la confiance avec les populations locales et pour les inciter à « adhérer aux enseignements de l’Islam et expliquer la réalité des conflits avec les régimes en place ».L’organisation a atteint le Niger, puis le Nigeria, et se trouve aujourd’hui au Mali. Objectif : trouver des armes.
Selon l’analyste Abu Bakr al-Sedik Ag Hami, la grande question est désormais : qu’est-ce qui attend AQMI dans le nord du Mali ?
Il existe une divergence fondamentale, explique-t-il, entre ce que les habitants du nord du Mali sont prêts à accepter et l’idéologie d’al-Qaida et de ses affiliés. Comme l’indiquent clairement les lettres de ben Laden, l’une des priorités immédiates est de s’en prendre aux intérêts des pays occidentaux, où qu’ils se trouvent.
Or, l’Azaouad souhaite préserver les intérêts de ces pays ; et cela revient à déclarer la guerre à AQMI, souligne cet analyste.
« Le discours d’AQMI concernant son histoire fait très largement penser à celui d’un vieil homme qui n’a rien d’autre à faire que de se rappeler son passé glorieux », ajoute Ag Hami.
« Al-Qaida ne peut comprendre que le temps ne revient pas en arrière, que les pays du Sahel sont aujourd’hui plus immunisés que jamais contre al-Qaida, que les Maliens veulent vivre en paix, comme le reste des peuples de la région », ajoute-t-il.
« Et qu’ils feront donc tout ce qui est en leur pouvoir pour y parvenir. »