La Tunisie post-révolution est-elle entrain de basculer dans l’intolérance religieuse alors que le jeu politique ne s’est pas encore clairement décanté ? Difficile de croire Samir Dilou, un responsable du mouvement islamiste Ennahda, le grand favori de l’élection d’une assemblée constituante le 23 octobre, interrogé, à peine quelques heures après la tentative d’incendie, hier, du siège de la télévision privée Nessma, à Tunis.
Dans une déclaration à l’AFP, le membre du bureau politique du parti de Rached Ghannouchi, expliquait, à qui voulait l’entendre, que cette attaque n’était ni plus ni moins qu’un «acte isolé».
Jouant la carte de l’apaisement, à moins de quinze jours du premier rendezvous électoral depuis la chute de Ben Ali, le 14 janvier, il a affirmé qu’il «n’y avait pas à s’inquiéter». Si le leader du mouvement avait déclaré ne pas avoir l’intention de se présenter à la première présidentielle de son pays, son parti compte s’imposer le 23 octobre malgré la levée de boucliers des partis démocrates et républicains qui appellent à barrer la route à toute forme d’intégrisme.
Samir Dilou, conscient de la mauvaise publicité que peut entraîner un tel scénario, l’a condamné en appelant au calme et en s’inquiétant de «ne pas brouiller les cartes». Hier matin, le siège de Nessma TV, propriété des frères Karoui, a été pris d’assaut par près de 200 salafistes, en raison de la diffusion, vendredi, du film «Persepolis» et d’un débat sur l’intégrisme religieux.
Selon la version du ministère de l’Intérieur, les salafistes rejoints par une centaine d’autres personnes, se sont dirigées vers Nessma pour attaquer la chaîne. Les forces de l’ordre sont intervenues et ont dispersé les assaillants en procédant à quelque 30 arrestations dans les rangs des manifestants. «Après la diffusion de «Persepolis », il y a eu des appels sur Facebook à brûler Nessma et à tuer les journalistes», a raconté le président de la chaîne, Nebil Karoui.
La police protège désormais le siège de la chaîne. Plusieurs journalistes de Nessma ont fait part de leur vive inquiétude, certains craignant que les autres locaux de la chaîne en région soient également ciblés.
Rappelons que «Persepolis» est un film franco-iranien, réalisé par Marjane Satrapi, sur le régime de Khomeiny, en Iran. Adapté de la bande dessinée de la jeune femme iranienne installée en France, dans laquelle elle raconte son enfance en Iran après la révolution islamique, il a obtenu le prix du jury au Festival de Cannes en 2007. Une scène en particulier, la représentation de Dieu en vieux monsieur barbu, aurait suscité la colère des manifestants.
Cet incident, loin d’être isolé, est en fait un des épisodes des nombreuses «escarmouches » qui ont éclaté entre tenants du laïcisme et représentants d’un dogmatisme religieux incarné par le mouvement salafiste, dont le parti Tahrir n’a pas été légalisé.
Ainsi, samedi dernier, la faculté des Lettres de Sousse a été envahie par près de 200 personnes après l’interdiction faite à une étudiante portant le niqab de s’inscrire sur le campus. Les enseignants et le doyen ont appelé le ministère de tutelle à maintenir le refus du niqab à l’université et à lutter contre toute forme de fanatisme religieux.
A 14 jours des élections, Ennahda veut éviter tout amalgame avec les derniers incidents, le mouvement s’étant publiquement démarqué des salafistes après l’attaque, fin juillet, d’un cinéma de Tunis qui avait diffusé un film de Nadia El-Fani sur la laïcité. Le gouvernement tunisien s’était déjà exprimé, en juillet dernier, sur les actes de violence enregistrés en Tunisie, par l’entremise de Béji Caïd Essebsi, qui selon des observateurs avertis de la scène politique tunisienne avait visé le mouvement Ennahda.
Moncef Wafi