Un décret pointé du doigt : Les mines entre « la chkara et l’informel »

Un décret pointé du doigt : Les mines entre « la chkara et l’informel »

Les textes régissant l’exploitation des gisements miniers sont décriés par des investisseurs qui affirment, convaincus, qu’«ils sont faits sur mesure pour les copains et les grosses fortunes ». 

Ceux des investisseurs qui en parlent, se sont retrouvés face à un problème qui est créé, disent-ils, par le décret exécutif 2002-66 du 6 février 2002 fixant les modalités d’adjudication des titres miniers. Toutes « les entraves » dont ils parlent sont synthétisées dans le terme «adjudication » que ce décret impose aux investisseurs qui prétendent exploiter un gisement minier. «Celui qui veut investir dans ce secteur, une fois qu’il a choisi le site et le gisement, doit faire des études géologiques de faisabilité, de carottage pour évaluer sa durée de vie ainsi que sa rentabilité, le tout coûte beaucoup d’argent, mais une fois que le gisement est prêt pour être exploité, il est mis en adjudication, c’est-à-dire aux enchères parce que le décret en question l’impose, ce n’est pas juste, » nous dit Amir Nadir Chelali, gérant d’une société privée domiciliée dans la wilaya de M’Sila. Chelali se dit pourtant très satisfait de la rapidité avec laquelle il a obtenu son registre du commerce. « Je n’ai même pas passé une demi-journée pour avoir mon registre de commerce, ça été très rapide, c’est génial, » assure-t-il. Mais « l’après » registre, « c’est là où on fait face à des problèmes insensés, » dit-il. «Nous savons qu’avant 2002, le secteur des mines, précisément celui des carrières (sable, gypse, enduit…) était dans une anarchie totale, chacun faisait ce qu’il voulait puisque les sites étaient cédés au dinar symbolique, » affirme Chelali. Depuis 2002, les choses ont certes changé mais « en mal », dit-il. « Pour exploiter un site, la première étape est simple, il faut aller à l’ORGM (Office de la Recherche Géologique et Minière), il met à votre disposition une carte des gisements dans la wilaya qui vous intéresse, une fois le site choisi, c’est là où commence les problèmes, c’est à vous de financer les études nécessaires pour en connaître les caractéristiques et potentialités (durée de vie, rentabilité…) ; après que tout soit mis au point, la DMI (direction des mines) le met en adjudication et là c’est tout le monde qui peut prétendre l’acheter, pour peu qu’il a l’argent qu’il faut, » explique cet opérateur économique.

C’est d’ailleurs ce qui nous est confirmé par le responsable d’un bureau d’études privé. «L’investisseur qui veut exploiter un gisement minier non métallique (carrière) doit mettre le prix fort avant toute chose pour qu’il en évalue les potentialités, il doit faire des études économiques et géologiques qui coûtent près d’un milliard et pour toute réponse, les pouvoirs publics le mettent en adjudication ; c’est injuste après tant d’efforts de l’investisseur qui s’est chargé seul et avec ses propres moyens de sa prospection,» nous précise ce responsable. Sid Ali Azouni va plus loin.

L’ADJUDICATION « DE TOUS LES MAUX »

«L’adjudication pose un véritable problème puisqu’elle est imposée à tous les investisseurs qui prospectent un site mais aussi, tout le monde sait que les enchères sont en général orientées, il est vrai qu’elles sont par définition, au plus offrant, mais dans ce secteur, elle profite à ceux qui savent manipuler, en général les copains et les grosses fortunes ; parfois, on est face à un délit d’initié mais on n’y peut rien, » souligne-t-il.

Amir Nadir Chelali rappelle pour sa part, qu’il y a quelques temps, des opérateurs de Boussaâda ont manifesté publiquement leur désaccord avec cette règlementation mais rien n’a changé à ce jour. « Pourtant, le ministre de l’Industrie et des Mines a promis qu’il allait procéder à des changements dans le secteur des mines mais on n’a rien vu venir à ce jour, » regrette-t-il.

Nos deux interlocuteurs s’accordent à soutenir que «la loi doit changer, il serait plus judicieux que l’adjudication soit supprimée pour les mines métalliques (les carrières), ce qui va sûrement encourager et débloquer les investissements dans le secteur ou alors l’Etat doit prendre en charge les études de prospection. »

L’on note que la Sarl de Chelali a interpellé le ministre de l’Industrie et des Mines par un courrier qu’elle a déposée au siège du ministère. « (…). Nous voulons le plutôt possible construire notre usine de gypse qui fera travailler 160 personnes dans la wilaya de M’Sila, » assure son patron dans la lettre qu’il a adressée au ministre. « La rapidité d’obtention de notre registre de commerce rencontre une entrave qui est le décret exécutif 2002-66 du 6 février 2002 fixant les modalités d’adjudication des titres miniers, » lui dit-il. « Nous proposons son annulation qui ne doit concerner que les mines métalliques (…). Il est impossible pour nous ou pour n’importe quel opérateur sérieux de dépenser des sommes d’argent considérables pour localiser un gisement, faire des études appropriées, connaître tous les paramètres du site pour en finalité, voir nos efforts non pas récompensés par l’obtention du site comme il était le cas avant 2002, mais de le voir en adjudication. Nous pensons que la loi porte préjudice à la politique actuelle du gouvernement, » lit-on dans la lettre en question.

A la direction centrale des mines, les choses sont expliquées bien autrement. Son directeur, Bouârroudj affirme en premier, que «le décret 2002-66 du 23 Dhou El Kaada 1422 correspondant au 6 février 2002 fixant les modalités d’adjudication des titres miniers, est toujours en vigueur. »

LES EXIGENCES DE LA LOI

Il explique donc conformément aux textes en vigueur que «la règle est que l’exercice de toute activité minière, quelle que soit sa nature ou son ampleur, se fait obligatoirement à travers l’obtention d’un permis minier auprès de l’Agence nationale des activités minières (ANAM). » Mais précise-t-il, «avant d’autoriser des travaux y compris d’études, l’Office national de recherche géologique et minière (ORGM) exige au préalable le permis minier auprès de l’investisseur.» Le directeur des mines auprès du ministère de tutelle fait savoir que «dans l’absolu, les appels à adjudication sont lancés sur les périmètres inventoriés par les services géologiques et miniers. » Il se peut, par contre, ajoute-t-il, «qu’un opérateur soit intéressé par un périmètre non encore inventorié. Dans ce cas, il a la possibilité d’aller susciter l’adjudication en introduisant une demande de mise en adjudication. » C’est alors que « le site ciblé est mis en adjudication et c’est au plus offrant que revient le permis minier, » indique Bouârroudj. Il assure à cet effet qu’ «un opérateur ne disposant pas d’un permis minier ne peut en aucun cas engager des études spontanées sur un site donné. » Autrement, explique-t-il encore « nul n’est autorisé à mener des travaux de quelque nature que ce soit sur un site minier sans en être adjudicataire. » Les textes prévoient, rappelle le directeur central des mines que «lorsque un site est mis en adjudication, il l’est pour l’une des trois phases suivantes : prospection, exploration ou exploitation. » Il est bien noté que le site est mis en adjudication « une seule fois et non pour chaque nouvelle phase ». «Dans tous les cas de figure, un site n’est adjugé qu’une seule fois et l’opérateur ne paie que lors de la première adjudication, » dit ainsi Bouârroudj. «L’adjudication pour la prospection se fait lorsque les données sur le site sont faibles ou insuffisantes pour juger de son potentiel, » précise-t-il. « Si un potentiel est découvert, l’opérateur bénéficie du droit de découvreur et, moyennant un dossier administratif, il est autorisé à passer à l’exploration ou à l’exploitation sur la base d’un permis minier, » note-il.

Le directeur central prévient par contre que « l’opérateur qui intervient sur un site sans permis minier se met en infraction vis-à-vis de la législation en vigueur.»

POSSIBLE REVISION DE LA LOI MINIERE

Le patron de la société privée réagit aux propos de Bouârroudj et s’exclame « mais adjuger un site déjà que pour la prospection est une grosse entrave pour l’investissement, parce que ceux qui détiennent la chkara interviennent en premier pour l’avoir ! » Chelali interroge alors «comment voulez-vous qu’on participe à une adjudication qu’on sait acquise d’avance par les copains ou les grosses fortunes (ou les deux à la fois) ? » Il fait savoir que l’investissement qu’il compte lancer pour la production du gypse, des plaques au plâtre et des pièces détachées pour leur confection, va lui coûter près 160 milliards de centimes. « S’il faut que je compte avec l’adjudication, qu’elle soit pour la prospection, l’exploration ou l’exploitation, je n’irais pas loin, ça coûte trop cher, c’est pour ça qu’il serait plus intéressant pour les investisseurs que l’Etat mène la prospection.» Des opérateurs économiques nous affirment que « des sites sont achetés par les grosses fortunes mais maintenus fermés exprès pour après les ouvrir un par un juste pour vendre les produits exploités en vrac, sans pour autant que ceux qui les exploitent créent des sociétés industrielles ou lancent des investissements fiables et rentables pour l’économie nationale et la collectivité. » Ils interrogent : «pourquoi importe-on du marbre alors que le site de Canastel (Oran) est fermé ? Pourquoi l’activité à travers le pays emploie-t-elle seulement 4000 personnes, alors qu’il y a quelques années, on y comptait plus de 300 000 ? ».

En tout état de cause, nous apprenons que le ministre de l’Industrie et des Mines a demandé à ce qu’ «une évaluation suivie d’une réflexion soient engagées pour, nous dit-on, améliorer le cadre juridique d’exercice des activités minières. » L’on n’exclut pas « la possibilité de revoir de nombreux textes y compris la loi cadre (la loi minière) et ce dans le sens d’une plus grande facilitation de l’investissement dans le domaine des mines. » Il nous est assuré que « c’est un chantier qui devrait être ouvert au cours du 4ème trimestre de l’année en cours. C’est-à-dire avant la fin 2015. »