Les islamistes algériens veulent surfer sur la vague des révoltes arabes
Une victoire des islamistes aux prochaines législatives ne constitue nullement un danger pour la République.
Les Algériens ont essayé, au début des années 1990, l’islamisme dans sa version intégriste, populiste et radicale. Ils ont vécu, à la suite de l’arrêt du processus électoral en 1991, l’hégémonie des djihadistes dans les quartiers populaires et certaines campagnes. Aujourd’hui, 20 ans après, les islamistes sont donnés favoris pour remporter les prochaines élections législatives, prévues le 10 mai prochain. Grisés par la vague des révoltes arabes qui ont porté les islamistes au pouvoir, les islamistes algériens veulent surfer sur cette vague. Cependant, les constitutionnalistes et les observateurs politiques sont unanimes: la victoire des islamistes aux prochaines législatives ne constitue nullement un danger pour la République. Il y a, affirment-ils, des garde-fous dans la Constitution algérienne.
Les prérogatives du chef de l’Etat et enfin celles du Conseil constitutionnel, sont autant de barrières qui protégeront la République du péril de la vague verte. Cela dit, le chef de l’Etat a des pouvoirs pour dissoudre l’Assemblée si des dérives venaient à se manifester, comme promulguer une loi attentatoire aux principes de la Constitution, par exemple. Signalons également que les islamistes qui vont participer, cette fois-ci, aux élections n’ont aucune chance d’obtenir la majorité absolue vu qu’ils sont divisés et ruinés par des luttes claniques et de leadership. Cependant, ils bénéficieront au maximum d’une majorité relative. Il s’agit d’islamistes dits modérés liés au pouvoir. Aussi, faut-il le souligner, l’islamisme ne constitue plus aujourd’hui un projet politique et une soi-disant alternative entre le capitalisme et le communisme comme on pouvait l’appréhender dans les années 1980. La référence aujourd’hui n’est plus l’islam radical, mais l’AKP turc. «Le pouvoir pourrait être tenté de s’inspirer des résultats des scrutins en Tunisie et en Egypte où les islamistes ont obtenu une majorité relative pour faire émerger une majorité islamiste maison, en faisant croire qu’il s’agit d’une ouverture politique», a précisé Abdesselam Ali-Rachedi, dans une précédente interview accordée à L’Expression.
Par ailleurs, d’autres analystes relèvent que les Algériens savent, aujourd’hui, que les régimes islamistes sont devenus des dictatures.
Les Algériens, expliquent-ils, ne sont fascinés ni par les Frères musulmans en Egypte ni par les salafistes de l’Arabie Saoudite. Ajoutant que les islamistes ont perdu le monopole de la parole religieuse dans l’espace public, qu’ils avaient dans les années 1980 et 1990. Cela dit, les islamistes les plus radicaux ont quitté la scène pour le jihad international et ne sont plus là: ils sont dans le désert avec Al Qaîda au Maghreb islamique (Aqmi), au Pakistan ou dans la banlieue de Londres. Ils n’ont pas de base sociale ou politique. Le djihad global est complètement déconnecté des mouvements sociaux et des luttes nationales. Ainsi, à partir de 1995, ils ont connu la version soft de l’islamisme, celle des légalistes modérés.
Leurs élus, leurs ministres et leurs hauts responsables ont eu les mêmes pratiques détestables et proposé les mêmes recettes libérales antisociales. Les législatives de 2007, leur ont attribué 6% des inscrits accentuant une régression continue depuis 1989.
Par ailleurs, des experts des questions islamistes relèvent que la réislamisation sociale et culturelle (le port du voile, le nombre de mosquées, la multiplication des prêcheurs, des chaînes de télévision religieuses) s’est faite en dehors des militants islamistes. Elle a aussi ouvert un «marché religieux» dont plus personne n’a le monopole; elle est aussi en phase avec la nouvelle quête du religieux chez les jeunes, qui est individualiste, mais aussi changeante.
A ce sujet, Olivier Roy, professeur et directeur du programme méditerranéen de l’Institut universitaire européen de Florence, a souligné que les islamistes qui manifestent en Egypte sont précisément ceux qui manifestaient en Iran contre Ahmadinejad. Ils sont, développe-t-il, peut-être croyants, mais séparent cela de leurs revendications politiques: en ce sens, le mouvement est «séculier», car il sépare religion et politique. La pratique religieuse s’est individualisée. Et de conclure: «On manifeste avant tout pour la dignité, pour le respect: ce slogan est parti de l’Algérie à la fin des années 1990. Les valeurs dont on se réclame sont universelles».