Un ancien pilote de chasse français révèle devant le tribunal de Paris, L’Algérie voulait acheter l’avion Rafale

Un ancien pilote de chasse français révèle devant le tribunal de Paris, L’Algérie voulait acheter l’avion Rafale

L’appareil de l’avionneur Dassault n’a toujours pas trouvé de débouchés à l’exportation malgré des négociations avec l’Inde, le Brésil, le Maroc et les Émirats arabes unis.

La révélation a été faite dans le cadre très officiel du Tribunal de grande instance de Paris où deux ex-pilotes de chasse comparaissaient jeudi dernier pour “commerce d’armes de guerre en bande organisée” au Tchad sans avoir obtenu l’autorisation. Habib Boukharouba et Henri de Waubert de Genlis risquaient

500 000 euros d’amende et 10 ans de prison. Leur histoire, racontée par le Nouvel Observateur, quelques heures avant l’ouverture de leur procès, est emblématique des réseaux parallèles français en Afrique. Habib Boukharouba est reçu même à l’Élysée par le secrétaire général de la Présidence et par le chef d’état-major particulier du président.

Natif d’Oran, Habib Boukharouba est un ancien de la 33e escadre de chasse. Le quinquagénaire quittait l’armée en 1993 pour rejoindre l’industrie aéronautique. Après avoir multiplié des collaborations avec de nombreuses entreprises du secteur, il devient l’un des meilleurs vendeurs de Pilatus, une entreprise suisse qui produit des avions civils, équipés de turbines à hélices, réputés pour leur fiabilité et facilement militarisables. “Chez Pilatus, je suis devenu un vendeur star, j’ai vendu des appareils dans le monde entier”, dit Boukharouba à la barre.

Ce statut de vendeur star lui vaut une certaine liberté vis-à-vis de son employeur et l’amène à créer, en 2003, sa propre société de service aéronautique. Griffon Aérospace se spécialise dans l’entretien des Pilatus et la formation des pilotes.

Son complice, Henri de Waubert de Genlis, est issu d’une longue lignée de militaires, tous décorés de la Légion d’honneur. Il intègre l’armée de l’air en 1964.

Devenu lieutenant-colonel, il intègre le centre d’essai en vol et devient pilote d’essai sur mirage 2000. À la suite d’un accident qui l’empêche de voler, il quitte l’armée et part avec sa famille s’installer en Afrique du Sud. Il y fonde Aérosud, une société spécialisée dans la remise en état d’avions de chasse.

L’histoire qui les amène au tribunal commence en 2005 alors que M. Boukharouba vendait déjà à l’Algérie des avions affectés à la surveillance des frontières, selon le Nouvel Observateur. “J’ai été contacté par le conseiller du président (tchadien) Déby, qui avait été orienté vers moi par la Direction générale de l’armement”, annonce Habib Boukharouba devant le tribunal.

À l’époque, le régime de N’Djamena était à la peine face aux rebelles soutenus par le Soudan et conseillés par deux anciens proches d’Idriss déby dont ils connaissaient tous les secrets. Équipés de pick-up surmontés de tourelles de mitrailleuses, les rebelles ne pouvaient pas être défaits sans des avions de combat qui faisaient défaut au président Déby. “Les Tchadiens, explique Habib Boukharouba, voulaient remettre en état deux Pilatus, offerts par la France à la fin des années 80 dans le cadre d’un contrat de coopération et qui rouillaient en bout de piste sur l’aéroport de N’Djamena. C’était des Pilatus PC7 et un avion d’entraînement que l’on peut conditionner en bombardier.” Après plusieurs déplacements au Tchad, Griffon Aérospace signe un contrat de 12 millions d’euros avec le Tchad pour acheter un autre Pilatus et mettre les avions  au standard militaire. Il fallait également armer des hélicoptères russes en service dans les forces tchadiennes. En attendant les autorisations de vente délivrées par ma Direction générale de l’armement, Habib Boukharouba monte une véritable petite armée de l’air au Tchad et devient, note le Nouvel Observateur, “une sorte de chef d’état-major bis, grâce à une cinquantaine de techniciens, des Algériens en majorité, qui participent aux missions de bombardement et manipulent les instruments de visée et de navigations à infrarouge”.

“On ne peut pas penser un seul instant que notre mission au Tchad puisse se faire sans l’aval des forces françaises”, poursuit Boukharouba. “Les militaires français contrôlaient toute la chaîne de commandement tchadienne. Epervier, c’est 1 400 hommes, c’est le plus gros déploiement français en Afrique, le président Déby est lui-même encadré par la DGSE”, explique Habib Boukharouba devant la cour. “La DGSE suivait nos activités, elle nous avait donné un feu vert tacite”, plaide-t-il.

Son complice est sur la même ligne. “Quand je suis arrivé sur l’aéroport de N’Djamena, j’étais comme à la maison, la chaleur en plus. On était installé au cœur du déploiement français. Les ailes des avions tchadiens sur lesquels on travaillait touchaient celles des chasseurs français. C’était le groupe de chasse Alsace que j’avais moi-même commandé, pour moi, l’affaire était nette, carrée et légale.”

Les forces françaises vont d’ailleurs multiplier les coups de main, fournissant aux équipes de Griffon assistance technique et carburant.

Quelle est donc la clé de ce polar à l’africaine qui conduit au tribunal deux anciens militaires qui croyaient jouir de toutes les protections officielles. C’est Habib Boukharouba qui reprend la parole. “En 2007, j’ai rencontré l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major particulier du président Sarkozy. J’avais des informations à lui communiquer. Comme je suis bien introduit en Algérie, je lui ai dit que les Algériens voulaient acquérir des chasseurs Rafale. Un gros contrat de 40 appareils ! Mais ils mettaient deux conditions : un assouplissement de la politique française sur le Sahara Occidental et ils ne voulaient pas d’Alexandre Djouhri parmi les intermédiaires. Mes ennuis ont commencé là.” Homme d’affaires d’origine algérienne, Alexandre Djouhri a tissé des réseaux dans le monde politique. Il est connu pour ses liens avec Dominique de Villepin et surtout Claude Guéant. Conclusion de Habib Boukharouba : “En parlant en haut lieu du contrat des Rafales, j’ai marché sur ses plates-bandes, on me le fait payer aujourd’hui.” Le ministère public a requis contre lui 18 mois de prison avec sursis et 350 000 euros d’amende. Des peines d’un an avec sursis et

150 000 euros d’amende et 8 mois avec sursis ont également été requises contre Henri de Waubert. Le jugement sera rendu le 18 octobre prochain.

A. O