Douze mois après que les Algériens eurent mis le bulletin dans l’urne, avec un taux d’abstention de 57,1 %, pour renouveler la composante de l’Assemblée populaire nationale, il y aurait sans doute peu d’enthousiasme pour pouvoir dénicher des changements profonds dans la vie institutionnelle du pays.
Si, avant les élections, la rue s’est surtout faite l’écho du rehaussement du nombre de députés, passant de 389 dans l’ancienne législature à 462 dans la nouvelle Assemblée, ce qui retient l’attention de la vox populi depuis quelques semaines, ce sont les augmentations des salaires des députés pour »couvrir » leurs frais de restauration et d’hébergement.
On parle d’un relèvement de cent mille dinars. Dans ce genre de situation, qui, parmi les citoyens et la société civile, peut rester de »marbre » et accepter de gaîté de cœur une telle »générosité » de l’État pour une institution élue au moment même où le front social s’enflamme partout et dans tous les secteurs ? Une institution devenue budgétivore et dont les Algériens attendent toujours des actes et des gestes politiquement significatifs et socialement porteurs. L’on se souvient de la vacance politique et institutionnelle de l’été dernier, juste après l’annonce des résultats des élections législatives. Ramadhan, chaleur infernale, feux de forêts, coupures d’électricité et d’eau, coupure de routes par des barricades, et…rumeurs sur la santé du président de la République.
Un an après, les caricaturistes s’en donnent à cœur joie pour décrypter le »sens » de l’augmentation du traitement salarial des députés, dans un contexte qui n’est pas très loin de celui de l’été 2012. À deux mois du Ramadhan, la mercuriale s’envole et la hantise de la rupture des services publics refait surface. Aux délestages de l’énergie électrique de l’année passée, le gouvernement a essayé de remédier avec l’installation de nouveaux transformateurs.
Paradoxalement, dans certaines wilayas, les oppositions au passage de nouvelles lignes éclectiques se sont multipliées de la part de citoyens au point de requérir parfois, l’utilisation de la force publique. Une grande partie des projets prévus dans ce sens ne sont pas encore lancés.
La similitude avec l’année passée prend un peu plus de relief avec la maladie du président de la République. Les informations contradictoires qui se relayent dans les journaux, les sites internet et…dans la rue, évoluent nécessairement en rumeurs. Si l’on peut concéder que la présidence avait, le premier jour, joué »franc jeu » en annonçant l’accident vasculaire de Bouteflika et son transfert dans un hôpital parisien, la suite a laissé planer quelque flou (sortie de l’hôpital, nombre de jours nécessaires à sa convalescence et lieu de passage de cette convalescence). Ce qui a donné du grain à moudre à des organes d’information aussi bien nationaux qu’étrangers.
Une constitution décriée depuis 1999
Paradoxalement, et par une certaine ironie de l’histoire, au moment même où deux grandes institutions politiques du pays (présidence et Assemblée nationale) font parler d’elles sur un ton d’interrogation pour la première, et sur un ton de scepticisme pour la seconde, une commission « technique » planche sur la rédaction d’une nouvelle Constitution pour le pays ; une révision constitutionnelle dont l’axe principal, le joyau, est justement de recadrer et d’ajuster la relation entre ces deux institutions, pour consacrer le régime politique du pays (présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire).
L’autre paradoxe, sans doute, est celui-ci : le président Bouteflika avait clairement et publiquement, dès sa prise de fonction en 1999, remis en cause la Constitution et avait souhaité un autre texte qui consacrerait une certaine »homogénéité » entre l’institution présidentielle et l’institution parlementaire.
Il faut entendre par là, comme il a eu à le préciser lui-même à l’époque, que, le président, élu sur la base d’un programme, devrait être libre de désigner son gouvernement comme il l’entend, indépendamment de la composante de l’Assemblée nationale. Il lui siérait très mal qu’un Premier ministre vienne »interférer » dans un programme présidentiel choisi par le peuple.
Dans le contexte du rapport de force prévalant à l’époque- y compris la donne de l’institution militaire- Bouteflika fera contre mauvaise fortune bon cœur ; il a su manœuvrer, après l’épisode de la « rébellion » du Premier ministre Ahmed Benbitour, pour se donner une assise politique incarnée par le triumvirat de l’Alliance présidentielle (FLN, RND et MSP). À l’ombre de ce conglomérat politique, qui n’eut de ligne de conduite que la défense du programme du président de la République, Bouteflika procédera à une révision constitutionnelle en novembre 2008, consistant principalement à allonger le nombre de mandats présidentiels.
Ce qui va lui permettre de se représenter pour la troisième fois aux élections présidentielle d’avril 2009. Le président de la république lancera, quelques mois plus tard, le troisième plan quinquennal (2010-2014) dans un moment d’euphorie sur le plan interne, et de crise financière à l’échelle mondiale. 286 milliards de dollars sont mis sur la table, dont une partie ira financer les restes à réaliser de l’ancien programme (2005-2009) grevé de multiples réévaluations.
À la fin 2010, le Printemps arabe est venu greffer de nouvelles incertitudes quant au schéma de gouvernance du pays. Le pays connaîtra une semaine d’émeutes en janvier 2011.
La commission parlementaire qui a enquêté sur cette révolte dite de »sucre et de l’huile » n’a pas pu révéler grand-chose. C’est le Premier ministre, Ahmed Ouyahia qui expliquera et déplorera face à la télévision que le pays est »pris en otage par la maffia de l’informel et de l’import-import ». Lors des manifestations postérieures, prévues chaque samedi à la Place du 1er mai à Alger, Ouyahia se montra serein en déclarant que « ceux qui peuvent faire sortir les jeunes dans la rue l’on fait en janvier dernier » ; façon de minimiser le poids de ceux qui, sans doute inspirés par des cercles du pouvoir réel, ont pris »le train en marche ».
Les luttes politiques en sourdine, souvent loin des institutions officielles, opposant clans et coteries à l’ombre d’une rente distributive allant toujours crescendo, s’aiguisèrent davantage et eurent raison de certains responsables de l’exécutif présentés comme étant des »hommes du président ». Après l’été 2012, caractérisé par un effarant vide politique et une kyrielle de rumeurs, ce fur l’ »inamovible » Ahmed Ouyahia qui sera dégommé de son poste de Premier ministre, au profit de Abdelmalek Sellal, un « technocrate » reconnu pour sa loyauté au président et sa »bonhomie ».
Caricaturale vacuité
À partir de septembre 2012, les événements politiques s’accélèrent dans une atmosphère de campagne électorale pour les élections locales (APW et APC) et de tension redoublée sur le front social. Le gouvernement suspend les opérations de distribution de logements sociaux ; décision »sage » dans une campagne électorale décidée à faire feu de tout bois.
Les secrétaires généraux des deux plus grands partis politiques du pays (RND et FLN), constituant l’essentiel de l’ossature de l’Alliance présidentielle, tombent. Le MSP, qui a commencé à prendre ses distances de l’ancienne Alliance, vit des moments difficiles avec la création de nouveaux partis issus de ses entrailles. Quelques mois plus tard, le parti change de main pour passer dans une aile dite »radicale », celle incarnée par Mokri.
Cette atmosphère politique, obérée par confusion inédite, est également alourdie par l’éclatement de plusieurs affaires de corruption révélées par les parquets italiens et canadiens. Ces affaires mettent en causes un personnel algérien, ayant des responsabilités politiques et de gestion, proche des grands cercles de décision. Pendant plusieurs mois, les révélations dans la presse se succèdent en cascades ou en affaires gigognes, au point de donner le tournis au plus placide des observateurs, sachant que les montants cités se montent parfois en milliards de dollars.
C’est à ce moment précis que le pays- après avoir neutralisé le terrorisme interne- fera face aux conséquences de la guerre au Mali. Le site gazier de Tiguentourine fut attaqué en janvier 2013 pour déboucher sur une sanglante prise d’otages.
Dans le même périmètre géographique, c’est-à-dire dans les wilayas du Sud, montera un front social d’une ampleur inédite. Un front contre le chômage, la hogra et les disparités de développement. Abdelmalek Sellal-ancien chef de daïra à Tamanrasset- sera mis à rude épreuve. En multipliant visites et promesses, il n’a pu, pour l’instant, offrir que des postes de…policiers aux jeunes du Sud. Le reste prendra le temps qu’il faudra ; le temps que le schéma des investissements créateurs d’emplois, soit rééquilibré et que le volet formation soit sérieusement pris en charge.
Sur le plan politique, l’on se retrouvera, depuis l’automne 2012, devant une pyramide politique sérieusement ébranlée. Sa métamorphose peine, jusqu’à ce jour, à déboucher sur une nouvelle architecture et sur un nouveau personnel qui fassent le poids. La scène politique nationale crie sa vacuité au moment de la rédaction de la nouvelle Constitution par un cabinet restreint, et au moment aussi, où il ne reste que onze mois à l’échéance présidentielle d’avril 2014.
À ce vide politique, se joint la maladie du président de la République ; ce qui est fait pour neutraliser toute forme de conjecture et tétaniser le peu d’acteurs qui restent encore sur la scène.
Dans toutes étapes cruciales, voire dangereuses, de la vie de la Nation, qu’a été le rôle des députés de l’Assemblée populaire nationale, si l’on excepte la participation politiquement intéressée de certains d’entre eux aux manifestations des jeunes du Sud (Ouargla et Ghardaïa) ? Est-on fondé à ajouter foi à cette caricature, parue la semaine passée dans la presse, qui présente les députés ovationnant l’adoption de la nouvelle Constitution, suite à l’octroi des nouvelles primes d’hébergement et de restauration aux représentants du peuple ?
Par Saâd Taferka