Un An après le printemps arabe,Libye : un pays sous la coupe réglée des seigneurs de la guerre, Tunisie : Marzouki, l’alibi démocratique des islamistes

Un An après le printemps arabe,Libye : un pays sous la coupe réglée des seigneurs de la guerre,  Tunisie : Marzouki, l’alibi démocratique des islamistes

Le cœur n’y est pas. La démocratie, le pluralisme, les libertés ne sont pas au rendez-vous. Un an après le début du soulèvement populaire, soutenu par l’Otan, qui a entraîné la chute de Kadhafi, la Libye est sous le règne des amis de Bernard-Henri Lévy, les seigneurs de la guerre, pompeusement présentés par ce dernier comme les nouveaux «Massoud».

Rien qu’à Tripoli, pas moins de 123 milices armées font régner leur loi. Les affrontements entre milices, les arrestations arbitraires, la torture rythment le quotidien des Libyens. Même ceux qui ont rallié la «révolution» en plein soulèvement ne sont pas épargnés. C’est le cas de Omar Brebech, ancien ambassadeur, doyen de la Faculté de droit de Tripoli, arrêté par une milice, «la brigade des 10 martyrs », dont le corps défoncé a été retrouvé sur une décharge publique, les ongles arrachés ! D’autres, comme Khelifa Haftar, chef d’état-major de la nouvelle armée libyenne, laquelle n’existe que sur le papier, dont le convoi a été arrosé par des milices, a dû démissionner avant de se réfugier dans son fief tribal ! Pire, Amnesty international a fait état de 6 000 détenus, dont certains morts sous la torture, de 200 jeunes femmes violées, après avoir été séquestrées par ces chefs de guerre – disons-le au risque de choquer — en mal de chair fraîche ! Bien plus, la chasse aux migrants africains, accusés d’avoir servi Kadhafi, se poursuit.

Dans ce chaos, deux hommes émergent. D’un côté, Abdelhamid Belhadj, l’ancien djihadiste adoubé par Ben Laden, soutenu et armé par le Qatar et médiatisé par Al- Jazeera, qui vient de créer le Mouvement pour le changement islamique, dont les hommes roulent dans des 4-4 blindés rutilants payés par les Qataris, mais dont l’autorité ne va pas au-delà du centre de Tripoli. De l’autre, Abdellah Nekar et ses milices de Zentane, chef du Conseil des révolutionnaires de Tripoli, dont les troupes tiennent une partie de la ville. Quant au CNT, cette présumée autorité, désignée ou élue dans des conditions opaques (la Libye était encore au trois tiers contrôlée par Kadhafi), censée gouverner le pays, son autorité reste théorique. Pour preuve, son appel aux milices à déposer les armes et intégrer la nouvelle armée libyenne avant le… 20 décembre est resté lettre morte ! En fait, en prévision de l’élection de l’Assemblée constituante en juin prochain, chacun de ces seigneurs de guerre entend peser sur la situation. A l’arrière-plan, dans ce pays où le tribalisme, sur fond d’islamisme salafiste, structure le champ politique, les Toubous, ethnie vivant à cheval sur la Libye et le Tchad, sont la nouvelle cible des «Thouars». Selon le Rassemblement national des Toubous, les «Thouars» acheminés par avion auraient commis le 16 février dernier un massacre dans l’oasis de Koufra, tuant plus de 60 Toubous. Le tout dans un contexte d’une économie fragilisée où seul le pétrole continue de couler car l’Otan a veillé à préserver la Libye utile. Le reste, elle s’en fout !Pour conclure, par ces temps de paresse intellectuelle, afin qu’on ne nous accuse pas de regretter le guide libyen, sodomisé avec une baïonnette avant d’être exécuté, ce dernier est le premier responsable de cette situation, ne serait-ce que parce qu’il avait le temps, avant qu’il ne soit trop tard, de se retirer du pouvoir, d’ouvrir le champ politique et médiatique et épargner à son pays la situation qu’il connaît aujourd’hui. Or, à l’image de Néron observant l’incendie ravageant Rome en l’an 64, Kadhafi était persuadé que l’incendie qu’il avait provoqué allait se retourner contre ses ennemis !

H. Z.

Tunisie : Marzouki, l’alibi démocratique des islamistes

Mustapha Benjaafar, le président de l’Assemblée constituante, a ouvert jeudi les travaux de mise en place des commissions chargées de la rédaction de la nouvelle Constitution. Ces commissions devraient être à pied d’œuvre dès lundi prochain mais dans un contexte où les islamistes, notamment les salafistes du Hizb Ettahrir, nouveaux acteurs de la scène politique, vont tout faire pour peser sur les travaux de l’Assemblée constituante afin de remettre en cause l’héritage bourguibiste, notamment le statut personnel et, partant, imposer leur choix de société. En tout cas, une chose est certaine, la situation en Tunisie n’évolue pas dans le sens souhaité par les acteurs de la révolution du 14 janvier 2012 ! Bien au contraire, ce sont ceux (les islamistes), restés en marge du mouvement populaire, qui sont en train de tirer les marrons du feu.

En effet, outre les multiples agressions et pressions contre les femmes, qui ne portent pas le voile islamique, les démocrates et les intellectuels, l’occupation des universités pour imposer le port du niqab, le boycott organisé des cours animés par des femmes non voilées, voilà que le gouvernement d’Ennahda ouvre les portes de la Tunisie aux pires penseurs de l’islam politique. L’Egyptien Wajdi Ghonim en est un. Dans une série de conférences, qu’il a animées dans plusieurs villes tunisiennes, le prédicateur égyptien a soutenu sans être remis à sa place que «la Tunisie est le premier pays qui a fait la révolution et il sera inch’Allah le premier pays qui appliquera la Charia islamique». «Les gens en Égypte et en Tunisie ont voté pour la religion, ils veulent l’Islam, ils veulent la religion», a-t-il poursuivi avant de fustiger les femmes qui pratiquent le sport dans une tenue vestimentaire indécente, et de s’écrier : «Tunisie, Tunisie islamique ! Non, non à la laïcité !» Pire, alors que le gouvernement tunisien a naturellement observé un pieux silence, le chef de l’Etat, Moncef Marzouki, qui avait traité le prédicateur égyptien de «microbe», s’est rétracté : il lui a même présenté ses excuses à la grande satisfaction des barbus locaux ! La Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) s’est émue du silence du gouvernement. Un collectif d’avocats, de personnalités et l’association tunisienne des femmes démocrates ont déposé plainte contre le prédicateur, d’autres exigent du gouvernement l’interdiction des mosquées et lieux de prière à des fins politiques. Une démarche bien tardive parce qu’ils auraient dû initier et imposer cette interdiction avant les élections. S’est greffée à ces inquiétudes l’arrestation de trois journalistes, dont le rédacteur en chef et le directeur général Nassreddine Ben Saida du quotidien arabophone Ettounissia, pour avoir publié à la Une du journal une photo d’un nu (une femme), jugée contraire à la morale et portant atteinte aux bonnes mœurs. Face à ce développement inquiétant de la situation, les partis démocrates et de gauche ont enfin réagi en formant une alliance pour barrer la route aux islamistes. Des marches de protestation, rassemblant des milliers de personnes, ont eu lieu à Tunis. Mais il est à craindre, dans un contexte de fragilisation de l’économie tunisienne, d’un chômage touchant plus de 20% de la population, que ces réactions ne soient quelque peu tardives. Moncef Marzouki, homme intègre, sincère, dont l’engagement démocratique n’est pas à mettre en doute, ne pourra pas longtemps tenir le rôle d’un président servant d’alibi à une islamisation rampante de la société tunisienne. Les salafistes, qui agissent sous l’ombre bienveillante d’Ennahda, se font de plus en plus bruyants. De ce fait, viendra le temps où le chef de l’Etat tunisien devra trancher tant il est impossible de concilier les contraires.

H. Z.