Un Algérien bien né

Un Algérien bien né

Mets-toi à l’aise, mon ami, et contemple, avec moi, ce prodigieux spectacle.

N’est-ce pas qu’il fait un temps merveilleux ? Pour un peu, des pâquerettes, forçant leur sève, poussant leurs tiges, soulèveraient le goudron malade de l’autoroute qui passe à un jet de pierre d’ici.

Distingues-tu, l’ami, cet homme vêtu du costume fluorescent des éboueurs ? Hé bien ! Il est chargé d’entretenir quelques kilomètres de cette autoroute que tu as d’ailleurs empruntée pour venir me rendre visite.

Il s’impatiente. Il attend qu’on lui livre sa cargaison. La voilà, précisément, qui arrive, l’estafette de livraison.

Notre homme accuse réception de quatre grands sacs vert pistache.

Maintenant, l’ami, ouvre bien les yeux et regardons ensemble ce qu’il va faire.

La silhouette fluorescente ne perd pas son temps. Elle se saisit promptement de la marchandise et fonce tout droit vers l’entrée du quartier où sont alignées, à vingt mètres de mon balcon, une dizaine de poubelles remplies à ras bord.

Un quart d’heure, montre en main, suffit à cet Algérien bien né, pour sélectionner avec prestance les ordures légères. Il les fourre dans ses chouaris en plastique qu’il s’en va ensuite, d’un pas nonchalant, déposer, selon des espacements étudiés, sur les abords de l’autoroute.

C’est fini. Les cinq kilomètres d’autoroute qu’on l’avait chargé de nettoyer sont maintenant propres. Vous pouvez aller vérifier, si le cœur vous en dit.

Voyons ce qu’il va faire à présent.

Le voilà qui traverse la chaussée, enjambe un parapet et s’adosse au tronc de son palmier préféré. Je suppose qu’il est heureux, heureux de s’être, encore une fois, payé la sale tête de ses chefs.

Et maintenant, l’ami, que penses-tu qu’il va faire du restant de sa journée ?

– Il va compter les voitures qui vont et viennent…jusqu’à la retraite.

…A moins qu’une branche vermoulue de son palmier lui tombe sur la tête et fasse jaillir dans sa cervelle l’idée de faire comme les autres : griller la mer sans retour. »