L’Ukraine place son armée en état d’alerte maximale, renforce la protection de ses centrales nucléaires et de ses sites stratégiques, décrète la mobilisation de ses réservistes âgés de moins de 40 ans et annonce la fermeture de son espace aérien à tout appareil non civil.
« C’est pour assurer la sécurité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine après la violation par la Russie des accords bilatéraux, notamment concernant la flotte de la mer Noire », explique Andriï Paroubiï, le responsable du Conseil de sécurité nationale et de défense.
« Nous sommes au bord du désastre », affirme le Premier ministre ukrainien. Les députés demandent la présence d’observateurs internationaux près de ses centrales nucléaires et font appel à l’Otan pour assurer la sécurité de l’Ukraine. Raison de ce branle-bas de combat : la Douma, le Parlement russe, a donné son feu vert, samedi dernier, à Vladimir Poutine pour le « recours sur le territoire de l’Ukraine aux forces armées russes jusqu’à la normalisation de la situation politique dans ce pays ».
Selon plusieurs médias, Moscou, qui a envoyé un renfort de 6.000 hommes à ses 20.000 soldats déployés déjà en Crimée, a pris le contrôle de fait de cette région russophone, où il dispose d’une flotte dans le port de Sébastopol. « Toute tentative d’attaquer des installations militaires sera de fait une agression armée directe contre nos pays, et la responsabilité en sera imputée à l’armée et aux dirigeants russes », annonce Oleksander Tourtchinov, le président ukrainien de transition, estimant que les Russes ont violé l’intégrité territoriale de son pays et déclaré la guerre à son pays. « Ce que fait la Russie en Ukraine viole les principes de la Charte des Nations unies. Cela menace la paix et la sécurité en Europe », déclare juste avant le début d’une réunion de crise, à Bruxelles, Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l’Otan. « La Russie doit cesser ses activités militaires et ses menaces », dit-il.
Deuxième « guerre froide » ?
Pris de court par la décision russe, les dirigeants occidentaux ne savent plus quoi faire. Certains optent pour le rappel de leurs ambassadeurs à Moscou. D’autres annoncent la suspension de leur participation au G8 prévu en juin à Sotchi. Les Etats-Unis, qui ont reçu une demande de protection de Kiev conformément à un accord signé avec les Russes en 1994 sur la souveraineté ukrainienne, exigent du pays de Poutine qu’il retire ses forces déployées en Crimée et s’abstient de toute interférence s’il ne veut pas « s’exposer à un isolement international » et à un impact profond sur les relations de Moscou avec Washington, voire à une exclusion du G8.
Comme réponse à ces menaces, Moscou, qui estime qu’il s’est donné le droit de « protéger ses intérêts et les populations russophones » en cas de « violences » dans l’Est de l’Ukraine et en Crimée, opte pour une guerre médiatique. Tous ses médias appellent à faire front contre « les fascistes qui ont pris le pouvoir à Kiev » avec, selon certains, un coup de pouce de mercenaires occidentaux « de différents pays, comme les Etats-Unis et l’Allemagne », témoigne un jeune Russe sur Russie 24, une chaîne d’informations. Selon les analystes, la situation actuelle en Ukraine est la plus dangereuse en Europe depuis l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 1968. Pour eux, l’Occident qui n’a pas pu empêcher en 2008, Moscou de mener une guerre éclair en Géorgie en s’appuyant sur les séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud et l’Ukraine, doit réaliser que la Crimée est entre les mains de la Russie.
« Le défi, disent-ils, c’est d’empêcher Poutine de prendre le contrôle de l’est de l’Ukraine ». Comment ? Poutine, qui veut déstabiliser Kiev et la dissuader de se rapprocher de Bruxelles, compte retourner cette crise à son avantage. Comment ? En se repositionnant dans l’est de l’Ukraine au nom de la protection de ses compatriotes et transposant cette crise ukrainienne en Crimée, la seule région où la minorité russe est majoritaire et où un référendum qui pourrait avaliser une rupture avec l’Ukraine est prévu le 25 mai prochain.
Du pain béni pour la flotte russe qui est abritée par Simféropol, la capitale de cette République autonome. Au-delà de l’aspect linguistique, cette région garantit à la marine russe un accès rapide aux « mers chaudes » : en premier lieu, à la Méditerranée mais aussi à l’océan Indien. Bruxelles abritera aujourd’hui une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne. Si la crise persiste, on évoque dans la capitale belge la possibilité d’un sommet européen des chefs d’Etat et de gouvernement, la semaine prochaine. Le monde replongera-t-il, de nouveau, dans une deuxième « guerre froide » ?
Djamel Boukrine