La police turque a fait usage ce samedi matin de gaz lacrymogènes aux abords de la place Taksim, dans le centre d’Istanbul, pour disperser plusieurs centaines de personnes au deuxième jour de violentes manifestations contre le gouvernement turc.
Après un long face-à-face avec des manifestants qui tenaient une barricade dans l’avenue Istiqlal, une artère piétonne et commerçante qui mène à la place Taksim, les forces de l’ordre ont tiré une salve de grenades lacrymogènes pour disperser la foule. D’autres incidents ont été signalés un peu plus tôt dans la matinée dans le quartier de Besiktas, lorsqu’un groupe de manifestants venus de la rive anatolienne de la mégapole turque a traversé un pont sur le barrage et a été dispersé par la police, ont rapporté les médias turcs.
Des milliers de Stambouliotes ont passé la nuit dans la rue à défier la police et ses grenades lacrymogènes après la violente répression d’un rassemblement dirigé contre un projet d’urbanisation controversé, qui a viré en protestation contre le gouvernement islamo-conservateur.
Dans plusieurs quartiers du centre d’Istanbul, de nombreux groupes de manifestants ont déambulé jusqu’à l’aube armés de casseroles pour battre la chamade contre le gouvernement du Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, souvent encouragés par les riverains depuis leurs balcons et leurs fenêtres, a constaté l’AFP. «Tayyip, regarde combien on est, face à toi», ont scandé les protestataires dans le quartier résidentiel de Cihangir, sur la rive européenne de la métropole turque. Parmi eux, Özkan, un jeune étudiant en philosophie, est particulièrement remonté contre le Premier ministre et son cabinet. «Des salauds de fascistes», clame-t-il. Pas seulement à cause du déracinement prévu de 600 arbres dans un parc de la place Taksim, toute proche, pour y construire un centre commercial, un projet à l’origine du mouvement de contestation, dont la répression hier vendredi a fait de nombreux blessés. «Les arbres, c’est juste la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les gens en ont ras-le-bol de tout ce que ce gouvernement leur fait», commente le jeune homme, s’indignant du vote la semaine dernière d’une loi restreignant la consommation et la vente d’alcool. Comme un geste de défi, certains manifestants avancent dans les rues bière à la main. «Ils veulent transformer ce pays en un Etat islamiste, ils veulent nous imposer leur vision en prétendant respecter le cadre démocratique», s’insurge une autre manifestante, une femme d’une trentaine d’années qui refuse de donner son nom mais dit travailler dans le cinéma. Dans d’autres quartiers comme Beyoglu et Besiktas, toujours dans le centre européen d’Istanbul, la confrontation avec les forces de l’ordre est plus musclée.
«J’ai 62 ans, et jamais je n’ai connu un tel espoir», affirme Mücella Yapici, architecte, «j’ai de l’espoir pour la démocratie et pour la fraternité dans notre pays». A ses côtés, un jeune militant, tout en muscles et en tatouages, parlant sous le couvert de l’anonymat, se prend à rêver : «Il y a eu un printemps arabe, moi j’espère que c’est le début du printemps turc». Issu de la mouvance islamiste, M. Erdogan est régulièrement accusé par les milieux pro-laïcité de dérives autoritaires et de vouloir «islamiser» la société turque.
R. I./AFP