La designer Zeynep Fadillioglu a dessiné les formes de la mosquée Sakirin, inaugurée vendredi.
Dans la ville aux mille minarets, la dernière-née des mosquées porte une empreinte résolument féminine. Dehors, avec sa coupole et ses formes architecturales courbes, l’édifice est tout en rondeur. À l’intérieur, des versets dorés du Coran ondulent le long des murs en verre, enveloppant les fidèles dans un cocon. Érigée sur la rive asiatique d’Istanbul, la mosquée Sakirin, qui a été inaugurée vendredi dernier, constitue une première en Turquie : commanditée par une riche famille turco-saoudienne, elle a été conçue par une femme.
Signe que le symbole est d’importance, Emine Erdogan, l’épouse du premier ministre, et Ali Bardakoglu, le président de la direction des affaires religieuses, ont assisté à la cérémonie d’ouverture. «À ma connaissance, dans le reste du monde, jamais une telle tâche n’a été confiée à une femme, raconte la responsable de l’ouvrage, Zeynep Fadillioglu. J’ai pleuré quand le projet m’a été proposé.»
Auparavant, cette designer turque de 53 ans était surtout connue pour avoir réalisé les intérieurs de restaurants chics, à Istanbul ou à Londres, et de villas huppées. Et son mari possède plusieurs hauts lieux des soirées stambouliotes, comme la très sélecte Brasserie, dans le quartier de Nisantasi. Pour sa mosquée, à la tête d’une équipe d’architectes «essentiellement féminine», Zeynep Fadillioglu a fait travailler côte à côte des artistes contemporains et des spécialistes de l’art ottoman islamique. «Au début, j’ai eu quelques préjugés mais en fait tout s’est très bien passé», reconnaît ce pur produit de la haute bourgeoisie républicaine. Avec humour, elle raconte que les critiques sont surtout venues de ses amies farouchement laïques.
Un espace féminin lumineux
Sa préoccupation principale a donc été de doser harmonieusement avant-garde et tradition. «Je veux que les gens s’approprient le lieu, qu’ils s’y sentent en paix, explique-t-elle. Il fallait innover tout en évitant de créer un objet artistique non identifié qui les aurait effrayés.» Un moment, elle s’est demandée si le mihrab – la niche qui indique la direction de La Mecque -, de couleur turquoise et en forme de coquillage, n’était pas trop osé. «Mais le mufti (dignitaire religieux) a adoré.»
Sa grande fierté est la place réservée aux femmes. Zeynep Fadillioglu a voulu un endroit lumineux et ouvert. «Dans certains coins d’Anatolie, la section des femmes est reléguée à côté des toilettes, critique-t-elle. Une telle ségrégation n’existait pas à l’époque du Prophète.» La Turquie a accordé très tôt des droits aux femmes : celui de voter, obtenu en 1934, de divorcer ou d’avorter…
Mais un islam patriarcal ralentit encore l’émancipation d’une partie des Turques. L’architecte d’intérieur espère donc que la mosquée Sakirin constituera un exemple d’harmonie à suivre dans un pays où les affrontements entre nationalistes et conservateurs, au sujet de la place que la religion doit occuper dans l’espace public, secouent régulièrement la vie politique.