La présence de huit ministres de l’ère Ben Ali au sein du gouvernement Ghannouchi n’a pas été appréciée par les Tunisiens, qui sont de nouveau sortis dans la rue hier pour manifester leur rejet de ce cabinet de transition, avec le soutien de la Centrale syndicale, qui en précipite la chute avec le retrait de ses trois ministres.
Sous les cris “le nouveau gouvernement ne représente pas le peuple et doit tomber. Non au RCD”, les Tunisiens ont fait part hier de leur rejet de la nouvelle équipe gouvernementale de Mohamed Ghannouchi, qui leur rappelle trop l’ère Ben Ali, selon les manifestants. Ils sont soutenus dans leur revendication par la Centrale syndicale, UGTT, qui a joué un grand rôle dans les manifestations ayant précipité la chute du président Zine El Abidine Ben Ali.
Selon son porte-parole, Ifa Nasr, la direction de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) qui, hier, tenait une réunion extraordinaire près de Tunis, a pris la décision “de ne pas reconnaître le nouveau gouvernement”. Elle a appelé ses trois représentants au gouvernement à s’en retirer, a ajouté ce porte-parole, soulignant que ceux qui s’y refuseraient ne représenteraient qu’eux-mêmes.
Répondant à cet appel, les trois ministres lui appartenant ont démissionné du gouvernement de transition formé la veille, à la demande de leur organisation, a annoncé à l’AFP l’un d’eux, Houssine Dimassi. “Nous nous retirons du gouvernement à l’appel de notre syndicat”, a déclaré M. Dimassi qui avait été nommé la veille ministre de la Formation et de l’emploi. Dans les rues de Tunis, la police a violemment dispersé un millier de manifestants, parmi lesquels des islamistes, hostiles à la présence de membres de l’équipe du président déchu, Ben Ali, dans le gouvernement de transition formé lundi. La police a appelé les manifestants à se disperser, conformément à l’état d’urgence en vigueur qui interdit les rassemblements de plus de trois personnes, avant de tirer des gaz lacrymogènes.
Rompant avec la retenue lors d’une manifestation similaire organisée lundi, les forces de l’ordre ont aussi fait usage de leurs matraques pour disperser la foule.
Les manifestants, une centaine au départ, se sont d’abord dispersés dans les rues latérales de l’avenue Bourguiba pour échapper aux gaz lacrymogènes, avant d’y revenir plus nombreux, provoquant une nouvelle intervention très musclée de la police. “RCD assassin”, et “On peut vivre seulement avec du pain et de l’eau, mais pas avec le RCD”, ont scandé les manifestants, dénonçant le parti du président déchu Zine El Abidine Ben Ali. “Nous refusons ce gouvernement criminel qui veut voler la révolte de notre peuple. Nous voulons un gouvernement qui représente vraiment le peuple. Nous dénonçons les partis de l’opposition fantoche qui sont maintenant au gouvernement”, a déclaré un manifestant. Les manifestations se sont ensuite étendues à plusieurs autres villes du pays. Environ 5 000 personnes ont manifesté à Sfax, la métropole économique du pays, où l’imposant siège local du RCD, le parti du président Ben Ali, avait été incendié par des manifestants, il y a quelques jours. Une autre manifestation a rassemblé “des milliers de manifestants” à Sidi Bouzid d’où est partie à la mi-décembre la révolte populaire contre le régime autoritaire du président Ben Ali.
Une marche de protestation ayant rassemblé un millier de personnes s’est produite à Regueb, à 37 km de Sidi Bouzid, selon un autre correspondant. Un rassemblement de 500 personnes, regroupant notamment des avocats et des syndicalistes, s’est tenu à Kasserine, autre bastion de la “Révolution du jasmin”. Défendant la composante de son cabinet, le Premier ministre Mohammed Ghannouchi dira sur la radio Europe1 que les ministres qui avaient servi sous le régime Ben Ali et qui ont été maintenus dans le gouvernement tunisien ont “les mains propres” et ont toujours agi pour “préserver l’intérêt national”.
Il justifiera ses choix en affirmant : “ils ont gardé leur portefeuille parce que nous avons besoin d’eux dans cette phase de construction démocratique, avec la préparation d’élections dans les six mois”, a affirmé le chef du gouvernement, soulignant le “grand enjeu de la sécurité” dans cette période de transition.
À signaler que le mouvement islamiste tunisien Ennahda a indiqué hier par la voix d’un de ses porte-parole à Paris qu’il “n’aura pas de candidat à la présidentielle” prévue dans six mois en Tunisie mais veut participer aux législatives, estimant qu’“il n’y aura pas de transition démocratique sans Ennahda”. “Rached Ghannouchi ne sera pas candidat, Ennahda n’aura pas de candidat à la présidentielle”, a affirmé à l’AFP Houcine Jaziri. Notons enfin que le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) tunisien a été exclu hier de l’Internationale socialiste.