L’an I du « printemps arabe » se décline en crise. De l’Egypte, procédant à la suspension de la commission constituante, à la Tunisie de Ghannouchi en ébullition constante, la désillusion mine le processus de réformes démocratiques aux couleurs de l’islamisme triomphant et néanmoins contesté.
A Tunis, précisément dans le mythique boulevard Bourguiba, la répression a changé de camp. La main lourde d’Ennahdha s’est abattue, en ce « lundi noir », sur le peuple des diplômés-chômeurs criant leur désarroi lors des manifestations pacifiques jugées illégales par le ministère de l’Intérieur. La fête commémorative de la « révolution du Jasmin » a aussi tourné au cauchemar : les acteurs du changement victimes du retour de la répression.
« C’est depuis cette avenue que les Tunisiens ont chassé un dictateur, et maintenant le gouvernement voudrait les empêcher d’y manifester », s’insurge le secrétaire général de la Voix de la volonté, Attaya Athmouni. Le « point de non retour » se drape de l’indignation de la société civile qui compte, parmi les victimes de l’assaut des forces anti-émeutes, des membres de la constituante durement molestés, des journalistes bousculés, des personnalités maltraitées et des responsables de la société civile interpellés. Pour l’avocate Radia Nasraouie, le constat d’échec est frappant.
« Ce gouvernement ne trouve pas de solution aux problèmes des Tunisiens, par contre, pour tabasser, il n’a pas perdu la main », dit-elle. Mais, la politique de « deux poids deux mesures » qui profite aux salafistes en démonstration de force incessante, jamais réprimée, a été vilipendée. Cette duplicité s’interprète comme une volonté de confiscation de la « révolution du Jasmin » par ceux-là mêmes « que la révolution a amenés au pouvoir et qui nous empêchent aujourd’hui de manifester », tonne l’ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, Mokhtar Trifi.
La crise de confiance a fait vaciller le camp de la majorité. Entre le silence radio adopté par Rached Ghannouchi et les justifications du porte-parole du ministère de l’Intérieur, Khaled Tarouche, sur le recours à la force pour « éviter les pires affrontements », le désordre à gauche caractérise la position d’Ettakatol qui se contente de demander l’ouverture d’une enquête et d’identifier « les civils douteux » qui ont participé à la répression des manifestants, en faisant allusion aux « milices d’Ennahdha » désignés du doigt par de nombreuses personnalités.
« La Tunisie est en convalescence mais certains veulent son naufrage », juge le président Moncef Merzougui condamnant « une violence inacceptable » et renvoyant dos à dos les manifestants et les forces de l’ordre. « Il est insensé de demander à un gouvernement qui a 90 jours de dégager », a précisé Merzougui qui conforte le credo d’Ennahdha appelant, par la voix de Ghannouchi, à « (lui) donner sa chance ». Face à la coalition au pouvoir, le front républicain se met en place pour prendre la dénomination du « Parti républicain » constitué du PDP (Parti démocrate progressiste) de Maya Jribi (16 sièges à l’Assemblée), d’Afek Tounès (4 sièges) de Yassine Ibrahim, et de petites formations tels Al-Irada (La Volonté), Al-Karama (La dignité), le mouvement Biledi (Ma Patrie) et le Parti pour la Justice Social-Démocrate.
« Notre programme sera de lutter contre le fléau du chômage, de lutter pour l’égalité et le respect des droits fondamentaux des Tunisiens, et d’enraciner notre identité », a déclaré la chef du PDP Maya Jribi, élue secrétaire générale, mobilisée pour faire barrage à l’hégémonie d’Ennahdha.
Larbi Chaaboun