Un islamiste à la tête du prochain gouvernement en Tunisie ? Le parti islamiste Ennahda, devenu la première force politique tunisienne, a choisi mercredi son secrétaire général Hamadi Jebali comme candidat au poste de Premier ministre du nouveau gouvernement que doit former l’Assemblée constituante. L’opposition démocratique pose déjà les lignes rouges à ne pas transgresser.
« Le secrétaire général du parti qui remporte la majorité aux élections, dans toutes les démocraties du monde, occupe le poste de chef de gouvernement », relève Hamadi Jebali dans une interview accordée à l’agence tunisienne de presse TAP.
L’Instance supérieur indépendante pour les élections (ISIE) s’emploie toujours à dépouiller et vérifier les suffrages exprimés aux élections constituantes de dimanche, premier scrutin démocratique organisé depuis le début du « printemps arabe ».
Mais Ennahda, en se fondant sur ses propres chiffres, dit avoir obtenu plus de 40% des 217 sièges de l’Assemblée constituante qui rédigera la future Constitution du pays et nommera donc un nouveau gouvernement de transition avant des élections prévues fin 2012 ou début 2013.

Les lignes rouges
Les résultats partiels déjà diffusés par les autorités attestent de l’avance prise par le parti qui se réclame d’un islam modéré: à ce stade, Ennahda est assuré de 53 sièges. Son premier concurrent, le Congrès pour la république de Moncef Marzouki, n’en obtient que 18.
« Les lignes rouges, c’est encore une fois les libertés publiques, les droits de l’homme, les droits de la femme, de l’enfant, et sur ça on ne pactisera jamais, jamais », a-t-il prévenu.
Les élections de dimanche, dix mois après l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, un marchand de légumes qui devait déclencher un vaste soulèvement populaire, trouveront un écho dans d’autres pays – l’Egypte et la Libye au premier chef – aujourd’hui aux prises avec des transitions difficiles entre répression et démocratie.
Ennahda, qui s’applique à rassurer les tenants de la laïcité et le monde des affaires, inquiets à la perspective d’une accession des islamistes au pouvoir, n’exclut pas que le poste de chef de l’Etat soit proposé à l’actuel chef du gouvernement de transition, Béji Caïd Essebsi.
Pas touche au tourisme
Rachid Ghannouchi, chef de file du parti islamiste rentré au pays en 2011 après 19 ans d’exil, a rencontré mercredi des responsables de la Bourse de Tunis afin de leur assurer que le gouvernement issu de la révolte du « printemps arabe » serait favorable aux milieux d’affaires.
« Le secteur du tourisme fait partie des réalisations auxquelles nous ne toucherons pas », a déclaré de son côté Hamadi Jbeli.
« Serait-il logique d’handicaper un secteur stratégique comme le tourisme en interdisant l’alcool ou le port de maillots de bain ? Il s’agit de libertés individuelles aussi bien pour les Tunisiens que pour les étrangers », a ajouté le secrétaire général d’Ennahda.
L’arabe c’est notre langue
Sur Express FM, M. Ghannouchi a insisté pour mettre en avant l’identité arabe de la Tunisie, « une affaire nationale qui concerne tout le monde, pas un seul parti ». « Notre langue, c’est la langue arabe. On est devenus franco-arabes, c’est de la pollution linguistique », a-t-il déploré, alors que le parler dialectal tunisien mélange le français et l’arabe, le français étant encore largement pratiqué depuis l’indépendance, en 1956.
La victoire d’Ennahda est un tournant spectaculaire pour un mouvement qui avait pour seul choix la clandestinité sous le régime de Zine ben Ali (1987-2011) et dont plusieurs centaines de partisans croupissaient en prison, dont Hamadi Jebali.
M. Jebali, 62 ans, est l’un des cofondateurs d’Ennahda. Originaire de Sousse (Centre-Est), cet ingénieur de formation et ancien journaliste est un interlocuteur privilégié des chancelleries occidentales. Opposant de longue date à l’ex-président, il a passé seize ans en prison, dont dix à l’isolement, sous l’ancien régime.
Aucun mouvement islamiste n’a conquis le droit de gouverner dans la région depuis la victoire électorale du Hamas en 2006 dans les territoires palestiniens.
Avec Reuters et AFP