La contestation sociale qui agite la Tunisie depuis la mi-décembre prend désormais une tournure préoccupante. L’armée tunisienne s’est déployée mercredi 12 janvier à Tunis, alors que le nombre de victimes oscille entre 21 et 50 morts. Les Etats-Unis critiquent l’usage excessif de la force et appellent à une solution pacifique. C’est la plu grave crise que connait la Tunisie depuis l’arrivée au pouvoir du président Ben Ali en novembre 1987.
Le président tunisien Zine el Abidine Ben Ali a limogé son ministre de l’Intérieur et ordonné « une enquête sur des actes de corruption » présumée concernant des responsables publics, a annoncé mercredi le Premier ministre.
Il a également ordonné la libération de toutes les personnes détenues depuis le début des troubles en Tunisie, a ajouté Mohamed Ghanouchi devant la presse.
Des renforts militaires visibles autour de la maison de la radio-télévision
L’armée tunisienne s’est déployée mercredi à Tunis où la tension est montée au lendemain d’affrontements entre la police et des manifestants qui ont éclaté dans la nuit dans la banlieue ouest populaire, a constaté l’AFP.
Des renforts militaires, soldats en armes, camions, jeeps et blindés, ont fait leur apparition dans Tunis pour la première fois depuis le déclenchement des affrontements que connaît la Tunisie depuis quatre semaines. Ces renforts étaient postés à des carrefours du centre de Tunis et à l’entrée de la cité Ettadhamen (Solidarité) où des dégâts d’une nuit de violences étaient visibles.
Emeutes à l’ouest de de la capitale
Un blindé tout feu allumé et des soldats en armes étaient positionnés à l’entrée de ce gros faubourg où des carcasses de voitures et d’un bus incendiés n’avaient pas encore été enlevées, près du siège de la Délégation (sous-préfecture) attaqué la veille.
Des bris de verre et des pneus brûlés jonchaient la route de Bizerte qui traverse les cités Ettadhamen, Intilaka et El Mnihla, des quartiers populaires qui se succèdent, dans l’ouest de la capitale.
Dans Tunis, outre des renforts importants de police et unités d’intervention spéciales, deux véhicules de l’armée et des soldats en armes montaient la garde sur la place reliant les avenues de France et Habib Bourguiba, face à l’ambassade de France et à la grande cathédrale de Tunis. Cette place avait été la veille le théâtre de manifestations étouffées par la police.
Limogeage du chef d’état-major de l’armée de terre qui a refusé de donné ordre de tire
Des renforts militaires étaient également visibles autour de la maison de la radio-télévision dans le quartier La Fayette, et d’autres sur la place du Passage, terminus du tramway qui fonctionnait. La circulation automobile était presque normale, de rares bouchons en banlieue étant provoqués par la pluie.
Les stations de radios nationale et privées diffusaient leurs programmes normalement, la radio gouvernementale revenant largement sur les mesures prises par le président Zine El Abidine Ben Ali pour désamorcer la crise déclenchée par des manifestations contre le chômage dans le centre-ouest et qui s’est propagée dans la plupart des régions du pays.
Ce déploiement militaire intervient alors que des sources de l’opposition font état dans le même temps du limogeage du chef d’état-major de l’armée de terre, Rachid Ammar. Ce général aurait refusé de donner l’ordre aux soldats de réprimer les émeutes qui se sont propagées dans le pays et exprimé des réserves sur un usage excessif de la force. Il aurait été remplacé par le chef des renseignements militaires Ahmed Chbir. Toutefois, ces informations n’ont pas été officiellement confirmées
5O morts selon les syndicats, 21 selon les autorités
Le bilan humain des violences en Tunisie est toujours incertain. Le gouvernement a admis mardi soir le chiffre de 21 personnes tuées à Thala et Kasserine, tandis qu’un syndicaliste avait évoqué dans la journée plus de 50 morts dans les trois derniers jours. « Ceux qui ont parlé de 40 ou 50 morts doivent produire une liste nominative », a rétorqué le ministre tunisien de la Communication, Samir Laabidi. De son côté la Fédération internationale des ligues de droits de l’homme (FIDH) a assuré disposer d’une «liste nominative» de 35 tués, tout en confirmant que le bilan total devait effectivement avoisiner les 50 morts.
Washington : « Nous sommes inquiets quant aux troubles et à l’instabilité »
Dans un entretien accordé mardi soir à la chaîne al-Arabiya basée à Dubaï, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a appelé le gouvernement tunisien à œuvrer à une « solution pacifique » pour faire cesser les troubles sociaux qui secouent le pays.
« Nous sommes inquiets quant aux troubles et à l’instabilité » qui touche la Tunisie, a déclaré Hillary Clinton en se disant également préoccupée par la réaction du gouvernement, qui a malheureusement provoqué la mort de certains jeunes protestataires. Nous ne prenons pas partie, mais nous espérons qu’il y aura une solution pacifique. Et j’espère que le gouvernement tunisien pourra trouver une telle solution », a-t-elle ajouté. Hillary Clinton a appelé Tunis à « se concentrer sur la création d’emplois pour les jeunes ».
La Tunisie dirigée d’une main de fer par Ben Ali depuis 23 ans
Les Etats-Unis avaient fait part mardi de leur préoccupation face à des informations selon lesquelles les forces tunisiennes feraient un « usage excessif de la force » envers les manifestants. Le département d’Etat américain avait déjà convoqué jeudi dernier l’ambassadeur de ce pays, Mohamed Salah Tekaya, pour lui exprimer son inquiétude et demander le respect des libertés individuelles.
L’ambassadeur des Etats-Unis à Tunis, Gordon Gray, a de son côté été convoqué lundi par le gouvernement tunisien qui s’est dit « surpris » par les commentaires de Washington sur la crise sociale en Tunisie. « Nous regrettons que l’ambassadeur américain ait été convoqué », a dit Hillary Clinton, soulignant que les relations des Etats-Unis avec la Tunisie comportaient « beaucoup d’aspects très positifs ».
La Tunisie est dirigée d’une main de fer par le président Ben Ali, 74 ans, depuis son accession au pouvoir en novembre 1987.