Tunisie, Larayedh succède à Jebali

Tunisie, Larayedh succède à Jebali

Hamadi Jebali a pris le risque d’attiser les tensions et d’aggraver la crise politique et institutionnelle en Tunisie. Il a refusé de diriger un nouveau gouvernement « voué à un échec prévisible ».

La raison ? « Mon initiative d’un gouvernement apolitique est la meilleure solution pour sortir la Tunisie de la crise », dit-il, convaincu que son bras de fer avec Ennahdha, dont il est le SG, lui a façonné, dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, une image, celle d’un homme apte à s’affranchir des considérations partisanes et à privilégier l’intérêt suprême de la nation. Ali Larayedh, 57 ans, le ministre de l’Intérieur sortant, lui succédera. Le président tunisien, Moncef Marzouki, a approuvé hier, sa désignation par le Conseil de la choura d’Ennahdha, le parti majoritaire à l’Assemblée nationale constituante (89 des 217 sièges).

Avec une mention en sus : « former le plus rapidement possible un gouvernement, car le pays ne supportant pas d’attendre davantage », dixit Adnène Mancer, le porte-parole de la Présidence. Selon Mohamed Kerrou, professeur de politique comparée à l’université de Tunis-El Manar, le choix de « cet ancien prisonnier politique sous le régime de Zine El Abidine Ben Ali », parmi les autres candidats (Nourredine Bouheiri (Justice), Abdellatif Mekki (Santé), Mohamed Ben Salem (Agriculture), Ali Abdelkarim Harouni (Transports) ne serait pas si mauvais. « Ali Larayedh a, comme Hamadi Jebali, le sens de l’Etat. Il a été à l’épreuve du pouvoir, il a la responsabilité de la sécurité intérieure du pays et, même s’il a commis des bavures, il a été le premier à parler de guerre contre les mouvements salafistes », explique-t-il.

D’autres se demandent si ce « faucon » tiendra compte, quand il s’attellera à la formation de son cabinet, de l’engagement pris par Ghannouchi de « bâtir une coalition mélangeant techniciens et politiques, la plus large possible », pour sortir le pays de la crise politique sans précédent dans laquelle il est plongé depuis l’assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février ou de la mise en garde du Premier ministre sortant. Selon ce dernier, seul un gouvernement neutre est à même de sortir le pays de la crise. Les plus politiques se demandent quel comportement adoptera le successeur de Jebali avec les laïcs et les « progressistes ».

Curieusement, après deux semaines de silence, le désormais ex-ministre de l’Intérieur consent à « livrer » des informations sur l’assassinant de Chokri Belaïd. « Des suspects ont été arrêtés », dit-il, sans donner la moindre précision sur l’identité des assassins et des parties commanditaires aux Tunisiens et à la famille du défunt qui accusent son parti d’être responsable du meurtre. Me Faouzi Ben M’rad, porte-parole du comité de défense de Chokri Belaïd, dément les déclarations du ministre de l’Intérieur.

« Aucune arrestation n’a été enregistrée dans cette affaire », dit-il, annonçant une manifestation mercredi prochain devant le ministère de l’Intérieur. Outre la crise politique et cet assassinant, la Tunisie fait face aux frustrations sociales qui dégénèrent souvent en violence et à une poussée dangereuse mais « tolérée » de la mouvance islamiste jihadiste et des brigades de protection de la révolution. Une cache d’armes a été découverte mercredi près de Tunis et deux policiers ont été blessés, jeudi, dans un échange de tirs avec des salafistes retranchés dans une mosquée à Sidi Bouzid, le berceau de la révolution tunisienne.

Djamel Boukrine