Après moi le déluge ! L’expression, d’une brûlante actualité, s’applique tant pour la Tunisie que pour l’Egypte pour désigner l’état de déliquescence dans lequel sont plongés ces deux pays, suite à la contestation populaire contre les régimes en place.
Les dirigeants tunisiens et égyptiens semblent vouloir poser à leurs peuples respectifs le dilemme du prisonnier : l’autoritarisme ou le chaos. Hosni Moubarak et, avant lui, Zine El-Abidine Ben Ali ont fait valoir l’épouvantail de la violence, mais à quel degré s’arrête ce leurre stratégique de la peur de l’inconnu et où commence l’escroquerie politique ?
Il est clair que la contestation socio-politique en Tunisie et en Egypte a abouti à des changements tangibles pour le premier cas et perceptible pour le second, mais une remarque s’impose. Ces deux pays, présentés jadis comme des havres de paix et de stabilité, sont devenus des zones de chaos et de non-droit, où la vendetta et les règlements de compte précipitent les deux sociétés dans l’anarchie et l’inconnu.
Car au-delà des revendications souvent légitimes des peuples tunisien et égyptien, la fuite en avant dans la violence interpelle les observateurs de la situation. En Tunisie, par exemple, la principale revendication a été réalisée : le départ du président Ben Ali et de sa belle-famille. Autant dire la décapitation de l’ancien système. Que ce passe-t-il dans ce pays ? La population continue de manifester et/ou de réclamer violemment la démission de tel ou tel responsable.
Dernier exemple en date, les violences qui ont ravagé la ville de Kef, dans le nord du pays. Environ un millier de personnes, selon une source au ministère de l’Intérieur tunisien, s’étaient rassemblées samedi pour dénoncer le chef du commissariat de la ville, accusé d’abus de pouvoir. Ils ont jeté des pierres et des cocktails Molotov dans le commissariat. Les policiers ont tiré, selon eux, pour les empêcher d’entrer à l’intérieur du bâtiment, faisant deux morts.
Le ministère de l’Intérieur a arrêté le chef de la police locale, suite à ces événements. Le même jour, à Sidi Bouzid, d’où est partie la «révolution des jasmins», deux policiers ont été arrêtés. Ils sont soupçonnés d’avoir provoqué un incendie qui a ravagé leur commissariat, tuant deux jeunes hommes qui se trouvaient en détention pour état d’ébriété sur la voie publique.
Ces deux faits, d’apparence banale, renseignent sur le degré de déliquescence dans lequel est plongée la Tunisie. Le pouvoir central à Tunis a mis plusieurs jours pour déloger les manifestants de l’entrée du palais du Gouvernement.
Ces centaines de Tunisiens réclamaient le départ des figures de l’ancien régime, à leur tête le Premier ministre Mohammed El-Ghanouchi. Alors, dynamique révolutionnaire ou chaos orchestré par des parties intéressées par l’instabilité de ce pays ?
L’anarchie qui a suivi la fuite de Ben Ali a montré un nouveau visage de la Tunisie.
En un mois et demi de troubles, 219 personnes ont été tuées et 510 autres blessées. Des centaines de millions de dollars de dégâts matériels ont été enregistrés. Le tourisme, qui contribue à hauteur de 6 % au PIB du pays, a chuté de 40 % en janvier 2011 par rapport à la même période de l’année passée.
C’est dire le recul du pays en un laps de temps réduit. Certes, sur le plan politique, les Tunisiens ont fait un grand bond en avant en instaurant un système réellement multipartite qui garantit la liberté d’expression, mais sur le plan économique et social, un effort considérable doit être entrepris pour recoller les morceaux.
L’Egypte n’est pas mieux lotie. Les manifestations anti-Moubarak et les contre-manifestations ont plongé le pays dans l’incertitude totale avec, en prime, des atermoiements européens et américains sur la nature du changement en Egypte et le maintien ou non du président égyptien.
Approche graduelle ou radicalisme «révolutionnaire» ? L’équation est à plusieurs inconnues. La première option apparaît comme la plus plausible, tant elle préserve les acquis des peuples sans les jeter dans un chaos qui profiterait en fin de compte à ceux qu’ils honnissent ou à certaines parties outre-mer.