Tout est parti de l’immolation du jeune Mohamed Bouazizi, vendeur à la sauvette, giflé par une policière. Et la localité de Sidi Bouzid devait être le berceau de la révolution du jasmin.
Emeutes, révoltes, suicides, mais aussi détermination du peuple tunisien, ont fini par avoir raison du clan des Ben Ali qui a régné pendant 23 ans sur le pays, mais qui a dû le fuir un certain vendredi 14 janvier 2011.
Ce sont deux vidéos tournées dans l’après-midi et la soirée du 14 janvier sur la célèbre avenue de la capitale tunisienne. Elles ont fait pleurer les Tunisiens et concentrent toute la folie de ce jour historique. L’une montre le violent tabassage d’un manifestant devant le ministère de l’Intérieur, l’autre le bonheur à l’état brut d’un homme après l’annonce du départ de Ben Ali. «Vive le peuple tunisien ! Vive la liberté ! Gloire aux martyrs ! Ben Ali s’est enfui ! Ben Ali s’est enfui !» Il est 19H10, Tunis est sous couvre-feu, mais un homme titubant de joie déboule sur l’avenue Bourguiba déserte et hurle pendant près d’une demi-heure à s’en arracher la voix.
«J’étais dans un état second, euphorique, saoul de liberté», raconte à l’AFP Me Abdennaceur Aouini, 41 ans. L’avocat a participé dans la journée à la manifestation monstre sur l’avenue, la dernière avant la fuite du président tunisien. «Il faut comprendre ce que représentent l’avenue Bourguiba, le ministère de l’Intérieur, ces endroits interdits. C’était un vrai rêve de manifester à ces endroits, j’ai compris qu’il se passait quelque chose», se souvient-il. Des milliers de gens, hommes et femmes, hurlent «Dégage» devant le ministère. «Nous, les avocats, les militants, on a découvert ce jour-là cette foule tunisienne que nous ne connaissions pas, civile, déterminée, moderne», raconte encore Me Aouini. Lorsqu’il entend, à 19H00, l’annonce télévisée du départ de Ben Ali, l’avocat a l’impression de respirer «une énorme bouffée d’oxygène après des années de coma».
Un an après, Kerim Tarrouche, lui, lance un regard indéchiffrable en direction du ministère de l’Intérieur, un triste et massif bloc de béton entouré de barbelés depuis la révolution. «Je n’étais pas revenu si près», affirme à voix basse à l’AFP le jeune cadre commercial, au chômage depuis le 14 janvier 2011 pour des «problèmes de santé». La vidéo le montre, arraché des autres manifestants par des policiers en noir et brutalement frappé, à coups de pieds, de matraques, alors qu’il essaye de se protéger la tête de ses mains. Emmené à l’intérieur du ministère, il est finalement relâché et se rend dans les studios de la radio Mosaïque FM, pour témoigner. Il s’évanouit et se réveille dans une clinique, où on lui apprend que son tabassage a été filmé et circule sur internet. Le 14 janvier 2011, l’indéboulonnable Zine El Abidine Ben Ali fuyait la Tunisie après 23 ans de règne, premier despote arabe chassé par son peuple. Un an plus tard, il fait partie du passé pour un pays confronté à l’urgence sociale et à des défis démocratiques majeurs. Enfui piteusement du pays le 14 janvier, dans des circonstances encore mal déterminées, le président déchu a trouvé refuge en Arabie saoudite avec son épouse Leïla. Une page de l’histoire de la Tunisie a été, ce jour-là, définitivement tournée.
R. I. / AFP