L’ancien opposant Moncef Marzouki, qui a connu la prison et l’exil sous l’ère Ben Ali, a été élu lundi à la tête de l’Etat tunisien, pays précurseur du « printemps des peuples arabes ».
Cet homme de 66 ans, respecté par beaucoup de ses concitoyens en raison de son opposition implacable au « raïs de Carthage » en fuite, a réuni sur son nom 153 voix sur les 202 exprimées au sein de la nouvelle Assemblée constituante. Il fera office de contrepoids laïque à l’influence des islamistes vainqueurs des élections législatives de novembre.
Il était le seul candidat pour ce poste d’une durée d’un an, le temps que la Constituante rédige une nouvelle Loi fondamentale et que se tiennent de nouvelles élections. « Je promets au peuple tunisien d’œuvrer pour le pays de toutes mes forces », a déclaré le nouveau chef de l’Etat après son élection. « Je représente un pays, un peuple, une révolution. Vive la Tunisie ! »
Il a ajouté : « Je dis aux membres (de cette assemblée) qui m’ont accordé leurs suffrages : merci pour votre confiance. Et à ceux qui n’ont pas voté pour moi, je leur dis : votre message a été reçu (…) Je sais que vous allez me demander de rendre des comptes. » Le poste de chef de l’Etat est le deuxième personnage politique le plus important dans la Tunisie post-Ben Ali après celui de Premier ministre, qui ira à l’islamiste Hamadi Jebali, dont le parti Ennahda (Rennaissance) a remporté les législatives.
Médecin de formation, Marzouki est un défenseur des droits de l’Homme qui a été incarcéré en 1994 après avoir défié l’autocrate de Carthage lors d’une élection présidentielle. Il avait été remis en liberté quatre mois plus tard lorsque son cas avait fait l’objet d’une campagne internationale en sa faveur. Il a par la suite été contraint de s’exiler en France. Marzouki était revenu dans son pays trois ans avant la « révolution de jasmin » qui a renversé le 14 janvier 2011 Ben Ali, au pouvoir depuis plus de 23 années. Invoquant le harcèlement des autorités, il avait dû reprendre le chemin de l’exil deux mois après. Il était rentré à Tunis, où il avait reçu un accueil populaire triomphal à l’aéroport de Carthage quelques jours seulement après la fuite de l’autocrate en Arabie saoudite.
Dans la nouvelle configuration tunisienne, le poste de chef de l’Etat est doté d’attributions limitées — son titulaire détermine la politique étrangère du pays en consultation avec le Premier ministre. Il détient le titre de commandant en chef des forces armées, bien que toutes ses nominations militaires doivent être prises là aussi en consultation avec le chef du gouvernement. Ce fut aux termes d’un accord au sein de la troïka majoritaire (les islamistes d’Ennahda avec 89 élus et les deux partis de gauche Congrès pour la République et Ettakatol, respectivement 29 et 20 sièges), que le dirigeant du CPR Moncef Marzouki a accédé à la magistrature suprême. Agé de 66 ans, cet opposant historique au régime de Zine el Abidine Ben Ali, qui a vécu 10 années en exil en France, devrait ainsi réaliser son rêve. Moncef Marzouki avait annoncé sa candidature à la présidence de la République deux jours après la chute, en janvier, de l’ex dirigeant.
Rester fidèle à la mémoire des martyrs…
Après son élection, il devra prêter serment la main sur le Coran et jurer d’œuvrer à l’établissement d’un Etat de droit et de rester fidèle «à la mémoire des martyrs, aux sacrifices consentis par les Tunisiens au fil des générations et aux objectifs de la révolution». Il nommera dans la foulée le chef du gouvernement, le numéro 2 d’Ennahda Hamadi Jebali, qui devrait former son équipe et la soumettre à l’approbation de l’Assemblée d’ici la fin de la semaine, selon la presse tunisienne.
La cérémonie de passation des pouvoirs avec le président intérimaire Fouad Mebazaa, qui a dirigé la Tunisie depuis la chute de Ben Ali, devrait avoir lieu au palais présidentiel de Carthage, en banlieue nord de Tunis, mardi ou mercredi. Symboliquement, Moncef Marzouki aurait souhaité être à Carthage le 10 décembre, date de la Journée internationale des droits de l’Homme, avait-il récemment confié à l’AFP. Mais il aura dû patienter deux jours de plus, l’Assemblée n’ayant adopté la constitution provisoire que samedi à minuit. Ce texte, qui régit l’organisation des pouvoirs pendant la période transitoire jusqu’aux prochaines élections générales, a été voté par 141 voix contre 37 et 39 abstentions, après cinq jours de débats intenses et houleux. Son adoption constituait le préalable à l’élection du président et la formation du gouvernement, attendues dans un contexte de grave crise économique et sociale. Le texte définit notamment les prérogatives des trois «têtes» de l’Etat: le président de la République, le chef du gouvernement et le président de la Constituante (Mustapha Ben Jaafar).
Il peut être démis
de ses fonctions par deux tiers des élus
Ces attributions ont été âprement discutées, les islamistes ayant été accusés de vouloir donner tout pouvoir au chef du gouvernement et de mettre en place un régime parlementaire pur. Selon le texte adopté, le chef de l’Etat est le chef suprême des forces armées et définit la politique étrangère en concertation avec le Premier ministre. Il promulgue et publie les lois votées par la Constituante, nomme et révoque les hauts gradés et le Mufti (autorité religieuse) en concertation avec le chef du gouvernement. Il peut être démis de ses fonctions par deux tiers au moins des élus.
La désignation anticipée de Moncef Marzouki a suscité des grincements de dents en Tunisie. «Aujourd’hui, élection du président dont le nom, comme au bon vieux temps, est connu d’avance», ironisait une caricature en une de La Presse de lundi dernier
Par : RI/ le monde