Plusieurs milliers de manifestants ont dénoncé mardi à Tunis et en province la présence à des postes-clés de ministres du président déchu Ben Ali dans le gouvernement de transition formé lundi, également critiqué par la gauche et la mouvance islamiste.
La puissante centrale syndicale tunisienne UGTT, qui a joué un grand rôle dans les manifestations ayant provoqué la chute du président Zine El Abidine Ben Ali, a affirmé qu’elle ne reconnaissait pas le nouveau cabinet.
L’Union générale des travailleurs tunisiens a appelé ses trois représentants au gouvernement à s’en retirer, a indiqué son porte-parole, Ifa Nasr, soulignant que ceux qui s’y refuseraient ne représenteraient qu’eux-mêmes.
Des milliers de manifestants sont par ailleurs descendus dans les rues en province et à Tunis pour protester contre la composition du nouveau gouvernement.
Dans la capitale, la police a violemment dispersé un millier de manifestants, parmi lesquels des islamistes.
Des Tunisiens avaient lancé sur internet des appels à manifester à Tunis mais aussi à Sousse dans la région de l’ex-dictateur et à Sfax, la deuxième ville du pays (centre-est).
« Le dictateur est tombé, la dictature pas encore! Il faut que les Tunisiens achèvent la mission », écrivait un Tunisien sur le réseau social Facebook.
« Attention au détournement de la révolution », mettait en garde un autre internaute.
Après une nuit calme, marquée par une brève fusillade dans le centre-ville, Tunis grouillait à nouveaux de passants et de véhicules mardi matin, mais de nombreux policiers avaient été déployés en prévision de manifestations.
Un leader islamiste du mouvement Ennhada (interdit), Sadok Chourou, était en tête du rassemblement à Tunis. « Le nouveau gouvernement ne représente pas le peuple et doit tomber. Non au RCD », le Rassemblement constitutionnel démocratique de Ben Ali, a-t-il déclaré à l’AFP, sur l’avenue Habib Bourguiba.
La police a appelé les manifestants à se disperser, conformément à l’état d’urgence en vigueur qui interdit les rassemblements, avant de tirer des gaz lacrymogènes. Rompant avec la retenue lors d’une manifestation similaire organisée lundi, les forces de l’ordre ont aussi fait usage de matraques.
« RCD assassins », ont scandé les manifestants. « On peut vivre seulement avec du pain et de l’eau, mais pas avec le RCD », chantaient-ils.
« Nous refusons ce gouvernement criminel qui veut voler la révolte de notre peuple. Nous voulons un gouvernement qui représente vraiment le peuple. Nous dénonçons les partis de l’opposition fantoche qui sont maintenant au gouvernement », a expliqué un manifestant.
Les ministres ayant servi sous le régime Ben Ali et maintenus dans le gouvernement tunisien ont « les mains propres » et « une grande compétence », s’est défendu mardi le Premier ministre Mohammed Ghannouchi sur la radio française Europe 1.
« Ils ont gardé leur portefeuille parce que nous avons besoin d’eux dans cette phase » de construction démocratique, avec la préparation d’élections dans six mois, a affirmé le chef du gouvernement, soulignant le « grand enjeu de la sécurité » dans cette période de transition.
Il a aussi affirmé avoir eu « l’impression » que Leïla Trabelsi, la femme du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, dirigeait le pays à la fin du règne de l’ex-homme fort de Tunis.
L’ex-première dame et son entourage sont accusés de s’être arrogés les richesses du pays en usant alliances, corruption, menaces et prébendes, selon des experts.
Lundi, Mohammed Ghannouchi a formé un gouvernement d’union nationale de 24 membres, dont trois chefs de l’opposition légale, huit ministres de l’ancien gouvernement et des représentants de la société civile.
L’équipe sortante y conserve les postes clés de l’Intérieur, la Défense, les Affaires étrangères et les Finances notamment.
Le chef du gouvernement a aussi annoncé la « liberté totale d’information », la libération des prisonniers d’opinion, la levée de l’interdiction d’activité des organisations de défense des droits de l’homme et la légalisation de tous les partis politiques qui le demanderont.
Le nouvel exécutif a été formé trois jours après la chute du régime de Ben Ali, contraint vendredi à l’exil en Arabie Saoudite par un mois de révolte populaire, la « Révolution du jasmin », au cours de laquelle, selon le gouvernement, 78 personnes ont été tuées et 94 blessées.
La France comme d’autres pays « n’avait pas vu venir les évènements » en Tunisie, a déclaré mardi la ministre française des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie.