Une heure à vol d’oiseau. C’est le temps nécessaire pour que l’histoire s’écrive résolument dans un pays, pendant que dans l’autre, on se contente du vague souvenir glorieux d’un soulèvement populaire automnal, finalement habilement avorté, puisque le régime répressif et arrogant de l’époque ne semble avoir été ébranlé ni par Octobre 88, ni en Avril 2001 et encore moins un certain 5 Janvier 2011. Et ce, malgré les émeutes qui ont touché plusieurs villes du territoire national.
Alors des questions se posent. Est-ce que le pouvoir algérien, contrairement au tunisien, serait plus souple, plus enclin à s’adapter à toute forme de rébellion, tel un élastique étranglant avec ténacité, une liasse de billets sans jamais craquer/céder ?
Ou, est-ce que le peuple algérien, plus flexible qu’un bon gymnaste de niveau olympique, est capable de se tordre dans tous les sens jusqu’à s’en déformer totalement, à en oublier sa véritable morphologie ?
L’un dans l’autre, il y a beaucoup trop de souplesse dans l’air: un pouvoir totalitaire capable de manœuvres acrobatiques et un peuple amorphe dont le seul regret est de ne plus avoir le monopole d’une histoire révolutionnaire soustraite par ces « insolents » de Tunisiens.
Alors on brandit tel un titre exclusif Octobre 88, pourtant déjà bien loin : 23 ans, c’est une génération. Cette génération, faute d’avoir assisté à ce soulèvement, dont le seul lot de consolation est le titre et non le résultat, assistera plutôt en janvier 2011 à la destruction efficace voire définitive – et surtout par le peuple – d’une dictature réputée violente et brutale ; non que le pouvoir algérien ait quelque chose à envier au régime tunisien.
Pourtant, le ras le bol est là; pourtant, les libertés sont bafouées; pourtant, l’Algérie ne parvient pas à prospérer malgré ses richesses; pourtant les perspectives sont toujours aussi floues; pourtant la population semble étranglée par une économie précaire tandis qu’on se targue de notre excédent de devises, de nos dettes remboursées. Et enfin, en moins d’une semaine, 4 personnes s’immolent en Algérie, sans que vraiment on s’en insurge grâce à notre souplesse et notre capacité à banaliser tout acte, tout geste dont la portée devrait faire écho et qui devrait avoir pour unique conséquence une mobilisation forte et résolue.
La conscience politique des Tunisiens a fait que moi, Algérienne, je puisse retenir un nom et une géographie, Mohamed Bouazizi, ce jeune dont le corps a brûlé à Sidi Bouzid car en lui, l’espoir d’un changement s’était consumé. C’est ainsi que la raideur tunisienne a opéré. Il fallait être ferme, déterminé. Il ne fallait pas que le sacrifice de Mohamed Bouazizi fasse partie des faits divers. Mais plutôt un fait de l’Histoire.
Oui, une heure de vol pour relier Tunis à Alger, et en une heure, un pan de l’histoire du Maghreb a été écrit par un petit pays de 10 millions d’habitants capables d’une spectaculaire cohésion.
Et si notre Histoire à nous ne retenait par une tragique ironie que cette déclaration de notre ministre de l’intérieur Daho Ould Kablia qui, interrogé sur les toutes dernières manifestations de colère des jeunes algériens, a répondu : « Le seul sport qui les intéresse, c’est la rapine, le vol » ?