Après le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, l’actuel ministre des Transports, Amar Ghoul, et les anciens ministres Mohammed Bedjaoui et Abdellatif Benachenhou, c’est au tour de deux généraux d’être cités dans cette affaire qui, décidément, n’en finit pas de livrer de nouvelles révélations.
Il s’agit du général Hassan, ex-coordinateur de la lutte antiterroriste, et du général Abdelli.
Au troisième jour du procès, Medjdoub Chani est à nouveau appelé à la barre pour la suite de son audition qui a duré toute la matinée d’hier. Chani est revenu sur les circonstances de sa rencontre avec l’ex-directeur des nouveaux projets de l’Agence nationale des autoroutes. “Je n’ai jamais cherché à voir Kheladi, c’est lui qui m’a appelé. Je m’en fous de lui. Ce que je cherchais, c’était de rencontrer le ministre des Travaux publics”.
Devant le juge d’instruction, il déclare qu’il a fait la connaissance de Kheladi Mohamed par l’intermédiaire du général Hassan. Il précise qu’il l’a rencontré à plusieurs reprises notamment au siège de sa société, Oriflamme, à Dély-Ibrahim, rencontres durant lesquelles ils ont discuté des problèmes bureaucratiques que rencontre le projet de l’autoroute. Kheladi lui aurait parlé, lors de l’une de ces occasions, de son fils malade qu’il voulait traiter en Chine. “Kheladi s’est ensuite retourné contre moi. Il est parti en Chine et a tenté de faire pression sur la société chinoise pour être reçu les menaçant de ne pas leur payer leur dû. Ils m’ont appelé et je leur ai dit de ne pas le recevoir car il n’était pas en mission.” Quant au colonel Khaled, Medjdoub soutient qu’il l’a connu en 2006 par le biais de son chef hiérarchique, le général Abdelli.
Sur le fond de l’affaire, Chani maintient qu’il est entré en scène après la signature du contrat de l’autoroute Est-Ouest lors d’un Conseil interministériel. “Je n’ai rien à voir avec ce contrat. J’ai joué un rôle dans les garanties bancaires qui sont des garanties de bonne exécution. C’est-à-dire qu’on ne peut les obtenir qu’après la signature du contrat.” Le juge lui demande s’il a été payé pour cela. Chani réplique : “Je suis consultant international. Je ne travaille pas pour rien.”
Le procureur intervient pour rappeler à Chani qu’il a reçu plusieurs virements de la part du groupe Chinois Citic sur le compte de l’une de ses sociétés dont 1 million et demi de dollars. Ce dernier élude le pourquoi de ces virements et rebondit sur un autre registre. “J’aurais voulu que le parquet général d’Alger agisse comme celui de Luxembourg et ouvre une enquête sur les actes de tortures que j’ai subis au DRS. J’ai été torturé, mes droits n’ont pas été respectés et j’ai été obligé de déposer une plainte aux Nations unies. Normalement, ce dossier devait se terminer chez le juge d’instruction”. Il poursuit : “J’ai été présenté chez le juge à minuit. Il a ouvert la fenêtre et je le comprends parce que je puais. Lorsque j’ai demandé, lors de ma détention chez les services, de l’eau pour me laver, ils m’ont promis qu’ils allaient me ramener de l’eau chaude. Mais au final, ils m’ont interrogé à genoux, face au mur et ils m’ont uriné dessus.”
“Je préfère mourir en homme que de vivre en cafard”
À ce moment-là, Chani, en larmes, annonce qu’à la fin de son audition, il entamera une grève de la faim illimitée. “Je préfère mourir en homme que de vivre en cafard”, lance-t-il au juge.
Après une suspension d’audience d’une heure et demie, le procès reprend avec l’audition de l’ex-secrétaire général du ministère des Travaux publics, Mohamed Bouchama. Il tient d’abord à déclarer que le projet de l’autoroute Est-Ouest “est un vieux rêve réalisé grâce à la décision du chef de l’État de le financer”. D’emblée, il situe les responsabilités. “Le ministre, c’est la politique. Le SG fait tourner le ministère et s’occupe de tout ce qui est technique”. Bouchama explique qu’avant de lancer ce projet, il fallait amender la loi sur les expropriations, changer le statut de l’Agence nationale des autoroutes qui a été désignée comme maître d’ouvrage et évaluer les besoins en matières premières. Selon lui, pour ce projet, il y avait plusieurs offres. Une de l’ordre de 630 milliards de dinars, une deuxième de 779 milliards de dinars et une troisième de 944 milliards de dinars.
C’est le ministre des Finances qui a signé l’avis et le projet a été attribué aux consortiums chinois et japonais avec un montant de 944 milliards de dinars. Alors que l’ANA avait opté pour la deuxième offre de 779 milliards de dinars. Concernant le mini Conseil ministériel qui aurait été tenu en présence de Pierre Flacone et Boussaïd dit Sacha, Bouchama répond que c’était une rumeur pour faire capoter le projet.
Chani, Bouchama l’a rencontré la première fois dans le bureau de Hamid Melzi au Club-des-Pins. “Je faisais mon marché à Aïn Benian quand Melzi m’a appelé pour me demander de les rejoindre. Il m’a présenté Chani comme un ami qui a peur que les entraves bureaucratiques nuisent au projet”.
“N’avez-vous pas cherché à comprendre en qualité de quoi il vous a parlé de ce contrat”, lui demande le procureur. Bouchama réplique : “On était dans le bureau du directeur de la résidence d’État. Celui qui héberge tout le gouvernement”. Pour Bouchama, lever les entraves administratives et créer un environnement propice à la réalisation de ce projet dans les délais faisaient partie de son travail.
Sur les cadeaux qu’il a reçus de Chani, il s’explique : “Il était venu avec un petit sac dans la main. J’étais gêné. Pour lui, c’était une manière de faire la promotion de son entreprise. Et je lui ai demandé de ne plus me mettre dans l’embarras. Les cadeaux que je reçois des entreprises et institutions publiques sont plus beaux et plus chers que ceux de Chani.” Durant son audition, l’ex-SG du ministère des Travaux publics charge Kheladi et l’accuse d’agir contre lui par pure vengeance. Parce qu’il a demandé à Amar Ghoul d’enlever à Kheladi la délégation de signature pour le projet de l’autoroute qu’il lui a accordée en partant faire sa omra. “J’ai dit à Ghoul que cette procédure est illégale”. Par la suite, Kheladi serait parti en Chine pour enquêter sur Bouchama et le ministre. “J’ai été incarcéré parce que j’ai fait mon travail”, lâche Mohamed Bouchama.
Kheladi détaille le taux des commissions
Il poursuit : “Kheladi a même fait un rapport qu’il a refusé de remettre au juge d’instruction en disant qu’il ne le remettrait qu’au général Hassan.” Bouchama affirme que pour ce projet, il veillait au respect des délais et des montants fixés et que les problèmes dont lui a fait part Chani, il les connaissait déjà. C’étaient des problèmes de visa, d’explosifs et autres que les différents ministères œuvraient déjà à régler. Chani avait déclaré qu’il avait également remis une grosse somme d’argent en coupure de 1 000 dinars à Bouchama avant de se rétracter.
“Le dispositif de surveillance au ministère des Travaux publics permet de connaître jusqu’aux couleurs des sous-chemises. Il y avait jusqu’à 20 caméras de surveillance installées au ministère. La Police judiciaire avait les moyens de tout vérifier alors pourquoi me salir ainsi”, s’interroge l’ex-SG de Amar Ghoul.
Les auditions se poursuivent avec Kheladi par qui le scandale de l’autoroute a éclaté. Il parle de corruption de grande ampleur : “Je vais vous dire exactement le montant : 1 milliard de dollars de corruption en 2005. Après 2005, le montant de la corruption était de 5 milliards de dollars.”
Il entre dans les détails : “Sur le montant du projet, 20% étaient réservés à corrompre. 4% pris par Chani et Mohamed Bedjaoui provenant des contrats de l’autoroute.
Kouidri et Ghoul ont aussi des commissions. J’ai fait mon enquête et remis toutes les informations au DRS qui a fait son travail et informé le président de la République.” Kheladi dit avoir obtenu une partie de ces informations par Sacha qui avait des conflits d’intérêts avec Flacone et Chani. Le juge lui demande comment il justifie la présence des téléphones dans son coffre, dont un contient des communications entre lui et des Chinois. Kheladi répond qu’il a été floué par le vendeur qui lui a refilé un appareil usagé. “Pour les autres, je les ai pris chez moi ainsi qu’un ordinateur parce que, après avoir fait éclater l’affaire de corruption, Ghoul a ordonné de fermer tous les bureaux.” Reprise du procès ce matin.
N.H.