Le président américain, qui a agi de manière contraire aux lois internationales en procédant l’enlèvement de cet homme soupçonné de terrorisme, voulait peut-être se débarrasser d’un témoin gênant, puisque les accointances du sieur Abou Anas avec la CIA sont de notoriété publique.
Et, pour ne rien arranger du tout, voilà que c’est l’ambassadeur US en Libye en personne qui se fait convoquer et tirer les oreilles par un régime libyen bien résolu à ne pas se laisser marcher sur les pieds.
Une crise politico-diplomatique majeure donne l’air de poindre à l’horizon. Au lendemain de la convocation de l’ambassadeur américain à Tripoli pour lui exiger des explications sur l’agression US dont avait été victime ce pays, Tripoli donne l’air de ne pas vouloir laisser passer l’incident, et encore moins se laisser marcher sur les pieds.
En effet, le porteparole du Congrès général national libyen (CGN), la plus haute autorité politique du pays, a annoncé dans un communiqué que son institution enjoint Washington de lui remettre «immédiatement » Abou Anas al-Libi, un chef présumé d’Al-Qaïda que les États-Unis ont capturé à Tripoli par des forces spéciales entrées sur le territoires libyen sans autorisation, ce qui constitue une violation flagrante du droit international.
Selon ce communiqué lu par le porteparole, Omar Hmidan, le CGN a mis en exergue «la nécessité de la remise immédiate du citoyen libyen», qualifiant l’opération américaine de «violation flagrante de la souveraineté nationale.» Le texte voté au Congrès souligne également la «nécessité de permettre aux autorités libyennes et à sa famille d’entrer en contact avec Abou Anas al-Libi et de lui garantir l’accès à un avocat.»
De leur côté, les États-Unis ont cherché à se justifier, dimanche. Selon le secrétaire d’État, John Kerry, ces opérations ont été «appropriées et légales.» Violer la souveraineté territoriale d’un État indépendant, et enlever un citoyen certes recherché, mais pas encore condamné, seraient donc des actes légaux selon Washington.
Il est à se demander dès lors comment réagiraient les Américains si les Libyens déterminaient l’identité de l’ordonnateur de cet acte de piraterie caractérisé, quand bien même ce serait Obama, et montaient une hardie opération-commando afin de l’enlever sur le territoire US, afin de le transférer vers la Libye pour le garder au secret, le torturer, et peut-être même l’éliminer physiquement.
Qualifiant la capture d’Abou Anas al-Libi, samedi 4 octobre, d’«enlèvement», le gouvernement libyen a affirmé ne pas avoir été préalablement informé et avoir «contacté les autorités américaines pour leur demander des explications», tout en rappelant qu’il était lié à Washington par un «partenariat stratégique.»
Le fils du responsable d’Al-Qaïda enlevé, Abdallah al-Raghie, a pour sa part affirmé que le gouvernement libyen était impliqué dans l’enlèvement. «Ceux qui ont enlevé mon père sont des Libyens. Leur apparence est celle de Libyens et ils parlaient le dialecte libyen», a dit le jeune homme à des journalistes devant la maison familiale.
Tripoli a formellement démenti avoir donné son autorisation à ce raid, même s’il semble évident qu’il n’a pas pu être mené sans agents locaux. Selon les médias américains, l’opération a été menée par des Navy Seals, forces spéciales américaines célèbres pour le raid qui a conduit à la mort d’Oussama Ben Laden, assistés par le FBI et la CIA.
Un responsable américain a indiqué à l’AFP qu’Abou Anas avait été transporté à bord d’un navire de guerre de l’US Navy se trouvant dans la région, où il était actuellement interrogé. Sans faire référence à ces déclarations, le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, a expliqué dimanche qu’Abou Anas, recherché pour des attentats meurtriers commis en 1998, était désormais «détenu par les États-Unis.»
Abou Anas est dans «un lieu sûr, à l’extérieur de la Libye», avait auparavant indiqué un autre responsable américain selon lequel l’opération «a été approuvée par le président Obama». Abou Anas al-Libi, de son vrai nom Nazih Abdul Hamed al- Raghie, figurait sur la liste des personnes les plus recherchées par le FBI, avec une récompense promise de 5 millions de dollars. Il a été membre du Groupe islamique de combat libyen (Gicl) avant de rejoindre Al-Qaïda.
Il était recherché par les États-Unis pour son rôle dans les attentats meurtriers de 1998 contre les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya qui avaient fait plus de 200 morts.
Kamel Zaïdi
UN EX-AGENT DE LA CIA
Le président Obama a donné ordre d’enlever Abu Anas al-Libi (de son vrai nom Nazih Abd al- Hamid al-Raghie), le 6 octobre 2013 en Libye. Une équipe de la Delta Force y est parvenue sans faire de victimes.
Même à supposer qu’al-Libi soit une cible légitime pour les États-Unis, comme l’a déclaré le secrétaire d’État John Kerry, cet enlèvement constitue une violation du droit international et de la souveraineté de la Libye. En 1995, ce jihadiste, qui avait rejoint Ossama Ben laden au Soudan, participa à une tentative avortée d’assassinat du président égyptien, Hosni Moubarak.
Il se réfugia à Doha, au Qatar. En 1996, les services secrets britanniques (à la fois le MI5 et le MI6) financèrent une cellule d’Al-Qaïda pour assassiner le leader libyen, Mouammar el-Kadhafi [1]. Anas Al-Libi servit d’intermédiaire à la transaction et obtint ainsi l’asile politique au Royaume-Uni. Il vécut à Manchester jusqu’à son inculpation, en 2000, aux États-Unis.
En 2000, il avait été accusé par le Tribunal du district sud de New York d’avoir procédé en 1993 au repérage photographique qui aurait permis d’attaquer cinq ans plus tard les ambassades US de Daar es-Salam et Nairobi, le 7 août 1998, tuant 12 Américains ainsi que 214 autres personnes et faisant plus de 5 000 blessés, tous non-américains.
Lorsque la «Liste des suspects les plus recherchés par le FBI» est créée en octobre 2001, il y figure et une récompense de 5 millions de dollars est offerte pour sa capture. Diverses sources assurent qu’il fut détenu en Iran de 2003 à 2010, date à la quelle il retourne en Libye.
Cependant, le 6 juin 2007, Amnesty International affirme qu’il est en réalité détenu dans une prison secrète de la CIA. En décembre 2010, le représentant de la Libye à l’ONU indique qu’Al-Libi et sa famille sont de retour dans son pays dans le cadre d’une paix négociée par Saif el- Islam Kadhafi, sous contrôle US. Avec d’autres membres d’Al-Qaïda et sous l’autorité d’Abdelhakim Belhaj, émir national fondateur du GICL, aujourd’hui «ami intime» des Occidentaux, à commencer par les Américains.
Al-Libi participe, à partir de février 2011 (c’est-à-dire trois mois plus tard), aux opérations de l’Otan en Libye, aboutissant au renversement de la Jamahiriya et au lynchage de Mouammar el-Kadhafi. Un des fils d’al-Libi est assassiné en représailles par les nationalistes en octobre 2011.
Enlevé par le secrétariat US à la Défense à Tripoli le 6 octobre 2013, Abu Anas al-Libi a été, selon le New York Times, transféré à bord de l’USS San Antonio, en mer Méditerranée, pour y être «interrogé» en dehors de la protection du système pénal US. Il pourrait «éventuellement » être remis dans quelques semaines ou mois à la Justice américaine.
L’USS San Antonio est un navire de débarquement dont les cales ont été transformées en prison secrète par l’US Navy. Les détenus y sont interrogés selon un programme basé sur les techniques du Dr. Martin Seligman.
L’objectif n’est pas d’obtenir des aveux, mais de conditionner les victimes. Officiellement, le président Barack Obama a fait fermer les prisons secrètes US et a interdit l’usage de la torture. Les États-Unis n’avaient pas revendiqué d’enlèvement contraire au droit international depuis celui d’Ahmed Abdulkadir Warsame, en Somalie, le 19 avril 2011, lequel ne fut rendu public que deux mois plus tard.
K. Z.