A chaque nouvelle rentrée scolaire, des centaines de nouveaux bus sont alloués à un certain nombre de communes afin de faire face à une demande de plus en plus accrue. Lors de la rentrée 2013-2014, à titre d’exemple, 5372 bus ont été mis à la disposition de 1108 communes. Mais en dépit de ce soutien appuyé de l’Etat, des milliers d’élèves font toujours face à d’énormes difficultés pour rejoindre leurs établissements scolaires.
Le problème du manque de transport scolaire se pose essentiellement pour des enfants issus de familles démunies et habitant des villages reculés, contraints de faire de l’auto-stop, d’aller à pied ou à dos de mulet qui sont utilisés comme moyen de transport scolaire, notamment dans certaines localités de l’est et de l’ouest du pays. D’autres, et ils sont nombreux, sont contraints de monter dans des camions et des tracteurs pour aller à l’école, souvent entassés et exposés à tous les dangers. Les différents organes de la presse privée (journaux et chaînes de télévision) en font régulièrement des sujets de reportage, sans que cela «secoue» les responsables concernés afin de venir en aide à cette couche fragile de la société.
Le discours des pouvoirs publics sur la nécessité de garantir une scolarisation obligatoire à tous les enfants algériens jusqu’à l’âge de seize ans se trouve ainsi contrarié par une réalité des plus amères. Des parents assistent impuissants au supplice infligé à leur progéniture, se contentant d’interpeller les autorités locales pour leur venir en aide. «Comment voulez-vous que nos enfants étudient convenablement, alors qu’ils marchent plus de 3 kilomètres pour arriver à l’école ? La fatigue de ce marathon s’ajoute au poids de leur cartable et à la peur d’être agressés. Et ce sont souvent les enfants issus de familles démunies qui en souffrent, car les autres font appel à des transporteurs privés !», se désolent des parents d’élèves dans la localité de Sidi-Ghilès, à Tipasa. «Dans ces haouchs, chaque année plusieurs élèves abandonnent l’école, en raison de l’absence de transport scolaire. Pourtant, on est qu’à quelques kilomètres de la capitale !», regrettent des parents d’élèves aux haouchs Bouroumi, Fabre et Maurice, à l’ouest de Blida. Nos interlocuteurs n’arrivent pas à trouver d’explication à cette grave défaillance. «Dans un pays aussi riche que le nôtre et où les responsables du secteur de l’éducation évoquent à chaque fois la nécessité d’assurer le transport scolaire, annonçant des enveloppes faramineuses allouées à cet effet, nos enfants continuent de souffrir comme si nous étions au XVe siècle !».
Fatigue, peur et météo !
Durant la saison des grandes pluies, le déplacement des élèves vers leur établissement devient encore plus pénible. Ils sont contraints de sortir de chez eux dans l’obscurité, d’emprunter des chemins semés d’embûches et de dangers, et ne rentrent à la maison qu’après le coucher du soleil. Ils sont aussi exposés au froid et à la pluie, arrivant souvent mouillés et grelottant à leur établissement scolaire. Pour protéger leurs affaires, ils doivent souvent couvrir leurs cartables de sacs en plastique imperméable. Mais parfois, ce couvert est déchiré surtout lorsqu’il y a du vent, ce qui rend leur quotidien encore plus pénible. «Nous craignons déjà l’arrivée de l’hiver, durant lequel notre souffrance s’accentue.
Nous arrivons à l’école mouillés et, le pire, est que nos salles de classe ne sont pas pourvues de chauffage ! En cette période, nous détestons l’école et nous nous absentons beaucoup», avouent certaines élèves, habitant à Khemis El-Khechna, dans la wilaya de Boumerdès. «Craignant pour ma santé, mes parents me conseillent de rester à la maison lorsque la pluie est abondante. Ils veulent bien que je réussisse à l’école, mais ils m’expliquent que mon bien-être est prioritaire», avoue Houssam, 10 ans, habitant à Bounouh, au sud de Tizi Ouzou. Parcourir plus de quatre kilomètres pour arriver à l’école n’est pas chose aisée et représente même une menace pour la santé de ces milliers d’enfants, dont le seul tort est d’habiter dans des villages isolés.
Et la responsabilité incombe, il faut le souligner, aux autorités locales qui n’ont pas pourvu ces localités de moyens de transport. Avec le fléau de la violence à l’égard des enfants, qui ne cesse malheureusement de prendre de l’ampleur dans notre société, la peur envahit aussi bien les élèves que leurs parents. «Lorsqu’un enfant en bas âge quitte la maison à 7 heures du matin et rentre à 18 heures en hiver, peut-on attendre à ce qu’il réussisse dans sa scolarité ? Psychologiquement, ces enfants sont déjà instables, de peur d’être agressés ou enlevés. Nous, aussi, la peur ne quitte jamais nos esprits. Il faut que les autorités publiques prennent des mesures urgentes afin de mettre un terme à cette situation pénible !», rouspètent des parents d’élèves. «Ici, des dizaines d’élèves quittent l’école chaque année en raison de ce problème de transport. Si l’Etat veut réellement assurer une scolarité convenable à tous les enfants, comme le soulignent régulièrement les hauts responsables, il faut absolument parer à cette grave défaillance. Dans les villages enclavés, les parents ont généralement de faibles revenus et ils ne peuvent, alors, louer des taxis pour emmener leurs enfants à l’école !», insistent nos interlocuteurs. Si les élèves mènent une vie des plus pénibles, leurs parents aussi souffrent le martyre, en assistant impuissants à cette situation. Seule la mise en place d’une stratégie globale visant à annihiler cette lacune est à même de soulager ces derniers et, surtout, assurer une meilleure scolarité et de bons résultats pour la jeune génération issue des localités isolées.
Les filles, première victimes !
Si le déplacement, à pied ou à travers divers moyens, à l’école peut être supporté par les garçons, ce n’est nullement le cas pour les filles. Ces dernières font souvent les frais de l’incapacité des autorités à assurer un réseau fiable de transport scolaire à travers toutes les localités du pays, car elles finissent par abandonner leur scolarité. Les parents leur imposent de «revenir à la maison», à contrecœur certes, car ils craignent pour leur sécurité. «Personnellement, j’ai une fille qui était excellente à l’école primaire. Elle a réussi son examen de fin de cycle avec mention excellente, mais j’étais obligé de lui imposer d’abandonner ses études à cause de l’absence de bus de ramassage scolaire. Elle a même attrapé une dépression nerveuse, car elle tenait à réaliser son rêve de devenir médecin. Maintenant, elle a fini par accepter son destin.
Elle m’en veut beaucoup, mais Allah Ghaleb, j’ai fait cela pour son bien avant toute autre considération», avoue, sur un ton d’amertume, Tahar, originaire de Aïn Lebel, dans la wilaya de Djelfa, et qui exerce comme maçon dans une entreprise publique à Alger. «Si j’avais les moyens de lui payer un taxi en aller-retour, je l’aurais certainement fait. Un jour, elle va comprendre que la faute n’incombe pas seulement à son père, mais surtout à ces responsables qui n’ont pas pu assurer le transport scolaire, en dépit des moyens colossaux, dont dispose notre pays», poursuit notre interlocuteur. C’est dire que pour assurer une scolarité convenable à tous les élèves, il faut réunir tous les paramètres. Car, la faille dans un volet mène à hypothéquer l’avenir des élèves…
L’une des causes du décrochage scolaire
Le transport scolaire demeure une tache noire pour le secteur de l’éducation nationale et pour les collectivités locales qui en ont théoriquement la charge. En dépit des moyens mis en place, le transport scolaire n’est pas encore assuré au profit de tous les élèves, ce qui crée un sentiment de dégoût, prélude à l’échec scolaire dans de nombreux cas. Plus grave encore, cette lacune est à l’origine de l’abandon des études par une partie des élèves, notamment les fillettes, dans certaines régions enclavées du pays. Certaines wilayas du pays occupent depuis plusieurs années les dernières places dans le classement concernant les résultats des examens de fin de cycle des trois paliers du système éducatif national (primaire, moyen et secondaire).
Il est vrai que le manque d’encadrement pédagogique y est pour beaucoup dans cette situation, mais les conditions pénibles du déplacement des élèves vers leurs écoles, les retards, les absences dues aux mauvaises conditions climatiques et l’attitude de ces élèves à rater les cours de l’après-midi afin de rentrer chez eux avant le coucher de soleil constituent également un facteur de poids. Toutes les études spécialisées menées sur l’assimilation pédagogique démontrent, en effet, l’importance de la sérénité et du bien-être, qui permettent «une présence totale d’esprit» des apprenants. Les responsables du secteur de l’éducation et les autorités locales sont, sans nul doute, au courant de cela, mais n’arrivent, malheureusement, pas à mettre en place toutes les conditions nécessaires. Bachir Hakem, enseignant de mathématiques au Lycée Lotfi d’Oran, et syndicaliste au sein du Conseil des lycées d’Algérie (CLA), soutient amplement cette thèse. « Pour venir à bout de la déperdition scolaire et qu’aucun élève ne doit quitter les bancs de l’école avant la neuvième année moyenne, il faut assurer la disponibilité des cantines, et ce, plus spécialement dans les Hauts-Plateaux et dans le sud du pays où les distances sont importantes au point où beaucoup d’élèves, en l’absence de moyens de transport, sont obligés d’interrompre leur scolarité», nous a-t-il affirmé à propos.
Il faut doter, à ses dires, tous les établissements de cantines et de revenir au système d’internat dans les collèges et les lycées. « Par ailleurs, tous les élèves et surtout les plus démunis doivent bénéficier de structures d’internat, notamment dans les régions isolées », a-t-il insisté, soulignant que le transport doit être utilisé uniquement pour rapprocher les élèves de leur établissement qui ne doit pas dépasser 15 km c’est-à-dire à 15 mn de leur domicile. Quant aux régions éloignées, des internats doivent être ouverts aux élèves dans chaque commune. Car l’élève ne doit pas venir fatiguer en cours dès la première heure à cause du transport.