«Les révoltes arabes qui ont lieu ou celles en cours sont spontanées»
«La bataille démocratique n’est pas finie dans le Monde arabe. Elle vient à peine de connaître ses premiers pas.»
Les Arabes, qu’ils soient du Moyen-Orient ou de l’Afrique du Nord, n’ont pas encore tiré les leçons des guerres intervenues en Afghanistan et en Irak. Des guerres conduites par les Etats-Unis d’Amérique et son bras armé l’Otan.
C’est du moins ce qui ressort de la conférence-débat animée, hier, au Centre de recherche sécuritaire et stratégique (Crss) à Ben Aknoun (Alger), par le Libanais Anis Nakache, président du Réseau stratégique (Amman). S’exprimant sur «les transformations politiques dans le Monde arabe», qui ont eu lieu et/ou sont en cours, Anis Nakache a soutenu que «les révoltes arabes qui ont lieu ou celles en cours sont spontanées, venues d’exaspérations et de colère des peuples dont les indépendances ont été confisquées», a-t-il expliqué, avant de relever que cela pourrait devenir une révolution le jour où celles-ci auront un leader, des mécanismes organisationnels et un projet de société, une pleine organisation. Bien au contraire, a-t-il fait remarquer, les soulèvements des peuples arabes sont des mutineries conduites par le peuple, soutenu, dans certains pays, par l’armée.
Selon le conférencier «les peuples arabes n’ont pas, au début de leurs révoltes, cherché à prendre le pouvoir de leurs régimes, mais ils demandaient, plutôt à leurs dirigeants, des changements démocratiques où leurs revendications peuvent se traduire correctement sur le terrain». Néanmoins, la chute des dictateurs et tyrans arabes a été revendiquée, a-t-il dit, à la suite de l’entêtement de ces dirigeants à se maintenir mordicus, au pouvoir, mais aussi et surtout du fait de l’intervention des forces armées de certains pays aux côtés des peuples. De tels constats ont été faits, a précisé Anis Nakache, aussi bien en Tunisie qu’en Egypte, contrairement à la Libye, le Yémen et la Syrie.
En Tunisie et en Egypte, les forces armées, ayant sous leurs ailes les tyrans – qui voulaient donner au pouvoir une nature dynastique et héréditaire, des ambitions politiques démesurées – ont attendu le moment opportun pour se démarquer des vieux tyrans et passer au renouvellement des dictatures, forgées selon les nouvelles orientations locales, régionales et internationales. Et d’ajouter: «Les régimes de dictature aussi bien au Machrek qu’au Maghreb n’ont pas fonctionné comme des remparts contre le tout-religieux et le sous-développement qui sont à l’origine des foyers de tensions, se déclenchant l’un après l’autre, emportant sur leur chemin des dictateurs, que l’on croyait indétronables». «C’est dans la compétition démocratique qu’on pourra trouver la place respective de l’Etat civil et du religieux, susceptibles d’assurer une stabilité et l’avènement de la démocratie», a noté le président du Réseau stratégique
L’Occident, un acteur important dans le Monde arabe
S’agissant des positions et des stratégies mises en oeuvre par l’Occident et à sa tête les Etats-Unis d’Amérique, il faut dire que le Monde arabe subit un processus d’afghanisation. Outre les slogans, cousus et décousus, scandés par les rues arabes, en l’occurrence «Nous voulons le départ du régime», les peuples arabes ne proposent pas une alternative de sortie de crise. Abondant sur le même sujet, Me Laïb Shoubaïla, professeur de sciences politiques et relations internationales, à l’université d’Alger, a relevé qu’il faut renouveler les élites dans le Monde arabe. Catégorique, elle fera remarquer que «les élites arabes se sont distinguées par leur absence et leur peu d’implication dans les révoltes». Ces élites devaient donc traduire les revendications des peuples en projets de société alternatifs aux vieux régimes, au recyclage des régimes. Pour elles, cette passivité des intellectuels n’est pas fortuite ou due à l’inexistence des cerveaux féconds dans le Monde arabe. Mais, elle est plutôt, le résultat d’une répression atroce subie par les intellectuels arabes, depuis les indépendances.
Cela dit, souligne le professeur Laïb, les intellectuels arabes ont payé le prix fort aux dictatures. Des journalistes, des écrivains, des politiciens, des psychologues ont été assassinés ou forcés à l’exil. Mais soyons honnêtes, a-t-elle ajouté, certains intellectuels ont accepté ces pouvoirs dictatoriaux et ils les ont servis de l’intérieur comme de l’extérieur. Intervenant lors des débats, Mahmoudi Abdel Kader, professeur de sciences politiques, a indiqué que les évènements dans le Monde arabe sont animés par trois acteurs principaux.
La rue représentée par les jeunes révoltés sans perspectives politiques alternatives, les piliers des régimes en place et enfin les puissances occidentales, principaux animateurs des révoltes arabes. Néanmoins, la place de l’Occident est plus manifeste, car elle se positionne en qualité de «chef d’orchestre dans le brasier arabe». car, le soutien de l’Occident pour les révoltes arabes s’est fait selon des orientations et des intérêts stratégiques arrêtés au préalable.
Le projet du Nouveau Moyen-Orient lancé par l’administration de George W. Bush est en marche. «Le projet réalise des avancées considérables et donne l’impression que l’on assiste réellement à l’application de la théorie des dominos, chère aux néoconservateurs occidentaux», a déclaré pour sa part, M.M’hend Berkouk, directeur du Crss, et d’explqiuer: «La démocratie ne peut avoir une temporalité rapide après un demi-siècle de dictature. On ne peut pas en demander plus à des sociétés dont les élites politiques et intellectuelles ont été assassinées, réduites au silence, à la clandestinité, poussées à l’exil. L’histoire ne fait que commencer».
S’agissant de l’islamisme en Tunisie, en Egypte ou ailleurs, incarné par des milliers de prisonniers politiques et de réseaux sociaux, qui construisent l’appareil politique du mouvement islamiste, Anis Nakache a synthétisé par le fait que les islamistes entretiennent la mémoire et la résistance auprès de leurs peuples, des années durant. C’est la raison pour laquelle, selon lui, ils ont constitué les appareils politico-militaires, héritiers du pouvoir, après les indépendances.
D’où, leur montée en puissance comparativement aux jeunes formations démocratiques. Les islamistes représentent, donc, un capital symbolique très fort face au pôle démocratique en constitution. Résultat: «La bataille démocratique n’est pas finie, elle vient, à peine, de connaître ses premiers pas.»