Transformations économiques et sociales Un accompagnement politique aléatoire

Transformations économiques et sociales Un accompagnement politique aléatoire

Dans les efforts déployés par le gouvernement et les syndicats dans le sens de la reconquête des valeurs du travail, du rattrapage du niveau de vie des populations et d’une certaine paix sociale, les interférences politiques ne sont jamais absentes et les parasitages d’une désuète « agit-prop » trouvent, de façon presque naturelle, leur terrain d’expression dans une réalité sociale aussi nébuleuse que complexe.

C’ est le constat qui se dégage depuis que le pays est entré dans une espèce d’  »insoumission sociale » qui s’étale sur plus de deux années. Si des revendications légitimes se sont exprimées et portées à la connaissance des pouvoirs publics, cela n’exclut pas qu’il y ait aussi de la surenchère entretenue par une certaine tendance, de la part du gouvernement, à faire dans la facilité.

Cette dernière est permise par cette embellie financière arborée à tout bout de champ, mais qui risque de jouer de mauvais tours pour le pays. Après un certain rempli, la facture alimentaire vient de connaître une nouvelle envolée au cours du premier semestre de l’année en cours.

Bien que des investissements colossaux aient été réalisés dans le secteur de l’agriculture, avec des subventions publiques historiques, les résultats tardent à se mettre à la hauteur des dépenses consenties. « Il faut que l’on travaille (…) Nous savons que parmi nos tares, il y a la corruption et le népotisme. Nous travaillerons pour les éliminer », a déclaré la semaine passée le Premier ministre, Abdelmalek Sellal à Souk Ahras.

Il est vrai que parmi les facteurs les plus puissants qui ont contribué à ravaler au plus bas les valeurs du travail, la corruption généralisée a joué un grand rôle. Un rôle qui dissuade des grands efforts, de l’abnégation et de l’honnêteté. Le Premier ministre annonce la tenue d’une nouvelle tripartite en septembre prochain. La énième, est-on tenté de dire.

Il se trouve que, jusqu’à présent, la série des tripartites tenues depuis l’année 2008, n’ont fait qu’avaliser la « générosité » du gouvernement à augmenter les salaires des travailleurs, et principalement des fonctionnaires de l’État. Une seule tripartite, en 2011, a été consacrée pour étudier les problèmes des entreprises et rééchelonner les dettes fiscales et sociales de certaines d’entre elles. Et encore, ses résultats, d’après les organisations patronales, demeurent fort mitigés.

Les engagements pris n’ont pas tous été honorés par les pouvoirs publics. La tripartite que Sellal prépare pour septembre 2013, sera une réunion « élargie ». Elle regroupera, les membres du gouvernement, les syndicats, les chefs d’entreprise et les institutions financières.

Cette tripartite sera exclusivement axée sur la politique de l’entreprise, la stratégie industrielle et les voies et moyens à mobiliser pour diversifier et faciliter les investissements productifs.

Dans cette optique, le gouvernement ne fait pas mystère de sa volonté d’aider les entreprises publiques existantes, d’en créer peut-être de nouvelles et d’aller vers un partenariat public-privé (PPP). Déjà, la loi de finances complémentaire (LFC) 2013, actuellement à la phase de finalisation, comportera un certain nombre de mesures urgentes allant dans ce sens.

Donc, au-delà de certaines  »concessions » sociales, dictées par la pression de la rue et, sans doute aussi, par la conjoncture politique, le gouvernement compte réorienter le gouvernail vers le cap d’une nouvelle politique économique basée sur la production, seule à même de pouvoir créer des emplois et de la valeur ajoutée, et qui aura des répercussions sociales des plus bénéfiques (lutte contre le chômage et l’inflation, amélioration du niveau de vie, prise en charge sociale des franges les plus fragiles de la population).

 »L’Algérie doit récupérer sa base industrielle. C’est le but que nous poursuivons et que nous atteindrons bientôt », rassure Abdelmalek Sellal.

IL N’Y A D’YEUX QUE POUR LES PRÉSIDENTIELLES

S’agissant du climat des affaires, on sait que le ministère de l’Industrie, de la Petite et Moyenne entreprise et de la Promotion des investissements, a élaboré, par le truchement d’une commission technique spécialisée, de nouvelles règles qui devraient encadrer l’acte d’investissement, aussi bien pour les nationaux que pour les partenaires étrangers.

La tripartite de septembre sera l’occasion, pour le gouvernement, d’en exposer les éléments de détail devant les partenaires sociaux et les établissements financiers. Ce qui relève sans doute du paradoxe dans l’actualité économique et sociale de notre pays, est cet effacement des partis politique dans l’espace de discussion et d’intermédiation.

Aussi bien dans les grèves, sitin et protestations de rue initiés par les travailleurs, que lors des déplacements du Premier ministre, avec son staff gouvernemental, dans les wilayas, la population semble contrainte de se situer face au gouvernement et aux démembrements de l’État (wali et chef de daïra) sans présence d’une  »zone tampon » qui reviendrait normalement à la véritable société civile et aux partis politiques.

Le Premier ministre sème alors, à tout va, promesses, boutades, conseils et…analyses. Les partis politiques, dont le nombre a brouillé les noms et les initiales, choisissent, pour ceux qui disposent encore d’un certain personnel, de convoquer le week-end des réunions organiques ou des mini-meetings regroupant quelques citoyens curieux et des journalistes.

Pour parler de quoi ? Pour aborder quel problème ? Dans ce genre de  »cénacle », l’on a d’yeux que pour des sujets jugés  »vraiment politiques ». Élections présidentielles, régulières ou anticipées, alliances (comme ce fut le cas la semaine passée dans le camp islamiste) pour une telle échéance, révision constitutionnelle,…

En se situant à mille lieues des préoccupations immédiates de la population (chômage, cadre de vie, inflation, préparation du mois de ramadhan,…), les partis politiques algériens ne devraient pas s’étonner de la respectable distance qu’ils sont en train d’installer entre eux et les citoyens-électeurs.

La frénésie de la recherche d’une place au soleil au sein du pouvoir politique, a fait perdre à beaucoup de partis leur base sociale, si tant est qu’ils en aient eu un jour.

L’ère de la libéralisation politique- initiée en 1989 pour  »absorber la colère populaire »- n’était pas vraiment une demande populaire expresse, même si les changements sociaux revendiqués ne pouvaient se réaliser que dans un système pluraliste et démocratique.

La réponse apportée à l’époque à la crise sociale et économique, via un pluralisme formel débridé, était plus une fuite en avant et un ravalement de façade qu’une tentative de « révolution » sociale ou culturelle. On a voulu, en quelque sorte, séduire la classe moyenne par des réformes politiques superficielles. Partout dans le monde, l’on considère que la classe moyenne est l’ossature de la démocratie.

Sauf qu’une nuance de taille fait que, dans notre pays, cette classe n’était pas le résultat de luttes sociales particulières, comportant une culture, un savoir-vivre et des prétentions légitimes à accéder à des postes de responsabilité publique. Cette classe était plus factice que réelle, vu qu’elle était alimentée par le système rentier et prédateur qui gouvernait tout le pays. Donc, aucune culture de la production et de l’effort n’était socialisée et accumulée historiquement.

LE PRIX DU RENOUVELLEMENT DE LA CLASSE POLITIQUE

Pour les analystes politiques et les sociologues, l’une des raisons de l’échec des réformes politiques est due à cette base sociale « vacante ». Le pouvoir politique pouvait présenter ses schémas et ses  »alternatives » politiques sans grande crainte de résistance.

La seule résistance qui fût possible était celleanarchique, revancharde, non autonome (car liée à une stratégie régionale et mondiale)- de l’islamisme politique. Les Algériens eurent à subir dans leur chair cette forme de  »révolution » politique qu’a entreprise l’intégrisme dans notre pays.

Aujourd’hui, le constat le plus indulgent est qu’il y ait un fossé, voire un divorce, entre les partis politiques, dans tout leur éventail, et les classes sociales, faites de travailleurs et de chômeurs.

Aussi bien chez les partis qui ont eu des représentations aux différentes assemblées, que chez ceux qui n’ont pas d’élus, le terrain des luttes sociales semble abandonné, hormis chez la minorité de l’extrême gauche où on continue à chevaucher, avec un populisme et une démagogie toujours tenaces, certains mouvements sociaux.

En tout cas, dans la phase actuelle que traversent l’économie et la société algériennes, la base politique et syndicale a, plus que jamais besoin d’être reconstruite et réorientée de façon à mieux encadrer le passage déterminant d’une économie rongée par la rente à une économie productive, diversifiée et assurant le bien-être de tous les Algériens.

Le renouvellement salutaire de la classe politique- pas au sens organique et légal, mais au sens des principes de la philosophie politique- est sans doute à ce prix-là.

S. T.