“J’ai souvent rouspété contre le froid hivernal du bled, finalement l’hiver chez nous ressemble à un printemps québécois”, soutient Réda, originaire de l’Est algérien, arrivé l’automne dernier avec famille et bagages.
Mokrane est habitué aux hivers rigoureux dans son Djurdjura natal. Arrivé en famille au Québec depuis quelques mois, il passe son premier hiver québécois avec, au départ, des appréhensions légitimes. Avec son tergal du bled et des mocassins poinçonnés Sonipec, il pensait naïvement qu’il pouvait supporter la rigueur du froid nordique qui pousse le mercure dans des profondeurs abyssales. Il apprendra sur le tas le “jargon” hivernal.
Même les véhicules ont leurs pneus d’hiver. Ici, l’hiver, ce n’est pas seulement une saison temporelle qui va du solstice à l’équinoxe, il est carrément confondu au territoire. “Mon pays, c’est l’hiver”, chante d’ailleurs avec brio Gilles Vigneault, poète québécois engagé.
On dit souvent que la neige constitue une identité pour les peuples nordiques. “J’ai survécu à -30°C, je ne savais pas qu’il y avait une vie à des températures pareilles”, ironise cet ingénieur de Tizi Ouzou. Les Algériens, nouvellement installés au Québec, s’efforcent d’adopter de nouvelles habitudes de vie. Et la saison hivernale en impose beaucoup, en effet.
Si on négocie mal ce virage, la déprime n’est pas loin. Combien de compatriotes arrivés justement en pleine saison hivernale ont dû retourner au bled, faute d’adaptation adéquate au climat. Les “anciens” suggèrent de s’installer pour la première fois au Québec en dehors de la saison hivernale. Rachid a parrainé son épouse l’été dernier.
Celle-ci, d’habitude frileuse, “affronte” l’hiver avec des fortunes diverses. “Ce qui dérange, ce n’est même pas la neige qui tombe en quantité, c’est plutôt la pluie verglaçante qui transforme la chaussée et les trottoirs en patinoire”, dit-elle. Il est en effet difficile, voire dangereux de se mouvoir sur ce tapis de verre.
N’empêche que les Algériens nouvellement établis à Montréal dégagent un brin de nostalgie. “J’ai souvent rouspété contre le froid hivernal du bled, finalement l’hiver chez nous ressemble à un printemps québécois”, soutient Réda, originaire de l’Est algérien, arrivé l’automne dernier avec famille et bagages. Notre interlocuteur ne semble même pas faire attention aux flocons de neige qui peuplent l’air glacial de Montréal, où la vie ne s’arrête pas à cause du climat et des tempêtes de neige. Réda a l’air amusé par le spectacle qu’offrent les déneigeuses qui sont à l’œuvre sur la rue Jean-Talon, où beaucoup de commerces algériens sont installés. Sur cette rue commerçante, les Algériens ne se sentent pas dépaysés.
Ici, le déneigement est pris en charge par les pouvoirs publics qui déploient des moyens colossaux. Environ 150 millions de dollars sont consacrés chaque année au déneigement par la ville de Montréal. Quelque 6500 km de trottoirs et 4100 km de chaussée sont déneigés. Les autorités mobilisent avec l’aide du privé quelque 3000 employés pour les opérations de déneigement. Après chaque tempête de neige, les déneigeuses s’emploient à ramasser la poudreuse sur les routes et trottoirs dégagés en deux temps, trois mouvements.
Les gens ont tendance à porter presque les mêmes habits en hiver : des bonnets, des gants, des manteaux, des bottes, etc. Bref, des vêtements chauds avec quoi affronter le froid hivernal, accentué souvent par l’effet éolien. Les Montréalais déneigent également devant chez eux. Les Algériens ne font pas exception. Karim qui est arrivé par un jour estival bien ensoleillé regrette les étés caniculaires de chez nous. Avec une pelle, il dégage la neige qui a failli enfouir son véhicule. Visiblement énervé, Karim trouve, à intervalle régulier, un prétexte pour griller une clope. “Je déteste la neige”, avoue-t-il.
Un paquet de cigarettes y passe, et sa voiture est toujours en partie engloutie par le tapis de neige. Malika est venue poursuivre des études universitaires dans son domaine d’expertise. Elle a pris le soin de s’acheter des vêtements d’hiver, l’été dernier. C’est sans doute moins cher. “L’hiver, je le passe presque dans les salles de cours et la bibliothèque, je suis rarement dehors. Alors la neige, elle peut encore tomber, si cela lui chante”, se gausse-t-elle. Retour à la rue Jean-Talon. Dans les cafés maures tenus par des Algériens se dégagent des vapeurs de sauces culinaires. Les compatriotes nouveaux arrivants fréquentent ces lieux pour se frotter aux anciens dans le but d’apprendre de leurs expériences personnelles.
L’émigration, c’est aussi cela : des échanges en réseautage. Plus on s’éloigne de la terre natale, plus on a envie de côtoyer davantage ses compatriotes. C’est la sociologie qui le dit. Au café 5-Juillet, on sert “loubya blach” (haricots blancs sans viande), un plat qui rappelle le restaurant de la rue Tanger à Alger. À côté, le café Le Sable d’or ouvre H24, et ce, qu’il vente, qu’il neige ou qu’il pleuve. Bien souvent, des équipes de dominos s’emploient à tuer double-six à 3h. Même topo aux cafés Tikjda et Mon Petit Village qui offrent couscous et domino. Ces établissements sont fréquentés même en temps de tempêtes hivernales. Certains de nos compatriotes profitent de leur temps libre pour sillonner centre-ville de Montréal, notamment son souterrain.
C’est qu’il y a une vie sous la neige qui offre de meilleures commodités. Le sous-sol du centre-ville traversé par un fouillis de lignes de métro abrite quelque 2000 commerces étalés sur 33 km. 300 000 personnes utilisent ce réseau souterrain raccordé à dix stations de métro. Mohamed avait la phobie du métro.
Il est né avec le projet du métro d’Alger. Celui-ci a mis 30 ans pour se concrétiser. Quand le métro a été inauguré, Mohamed préparait ses valises pour Montréal.
Donc, il n’a jamais voyagé par ce moyen de transport moderne. C’est en fréquentant Montréal souterrain, grâce à l’insistance de ses amis, qu’il a fini par se déplacer en métro. “Dans ces centres commerciaux souterrains, on dirait que ce n’est pas l’hiver.
Je vois des gens habillés en demi-manche, alors que dehors il fait un froid de canard”, s’étonne-t-il. Même s’il n’a jamais skié, Mohamed emmène ses deux enfants pour jouer au parc, en glissant sur le manteau blanc immaculé. Beaucoup d’enfants, lorsque les températures sont clémentes, roulent dans la neige dans une joie indescriptible. Ce qui est remarquable à Montréal, c’est qu’on ne voit pas de bonhommes de neige, comme on en fait chez nous. La remarque n’a pas échappé aux compatriotes apostrophés. Ici, les journées sont courtes. Ce soir, la neige envahit Montréal. Les flocons volent dans les airs avant de tomber dans une accumulation frénétique sur le trottoir. Le ciel qui a perdu son azur tutoie le toit des maisons. La nuit s’annonce glaciale. L’hiver québécois est ainsi fait. On s’y adapte comme on peut…