Samedi. 17 heures 50. À première vue, la région frontalière renseigne sur l’ampleur du trafic de tous genres. Mais d’abord, elle constitue une plaque tournante de l’écoulement au noir de carburant et de drogue. Ces produits sont inscrits parmi les premiers produits de contrebande. Parce qu’il y a aussi l’alcool et autres produits alimentaires qui traversent la frontière.
Reportage et photos réalisé par : Mohamed Medjahdi
Et la contrebande qui sévit depuis des lustres ne fait que s’amplifier. Et ceux qui la pratiquent y trouvent là un moyen d’améliorer leur situation et par ricochet celle précaire des populations riveraines rongées par la pauvreté, le chômage… Dès qu’on quitte Maghnia à destination de Marsat Ben M’hidi, le coucher du soleil réduit la visibilité du chauffeur, et rend la conduite extrêmement difficile. Tout le long des 103 km qui séparent Maghnia de Marsat Ben M’hidi, la route se fait bien périlleuse.
Celle-ci est empruntée par des milliers de hallabas, sobriquet dont sont affublés ici dans la région, les contrebandiers. Ces derniers n’ont en cure de ce qu’ils encourent sur les routes et, dans une course effrénée, appuient sur le champignon enfreignant ainsi tous les codes de la conduite. D’ailleurs, ces hallabas sont à l’origine de plusieurs accidents meurtriers. Selon la douane, ces engins meurtriers possèdent des réservoirs modifiés pouvant contenir entre 200 et 350 litres pour les véhicules légers et plus de 1500 litres pour les camions tracteurs. Ils sont estimés a envions 9000 unités qui sillonnent la frontière. Malgré le renforcement du dispositif de sécurité, les contrebandiers réussissent toujours à contourner les mailles des différents cordons sécuritaires.
Des douaniers interrogés estiment que « la lutte contre le phénomène de la contrebande des carburants n’est pas une action isolée, elle implique toutes les institutions de l’Etat et la société. Les pouvoirs publics ont choisi l’option répressive pour dissuader les contrebandiers en promulguant des textes juridiques en rapport avec la gravité des faits. Mais cela est loin de suffire à arrêter ou tout au moins à diminuer l’hémorragie qui saigne l’économie nationale »
La loi, les contrebandiers et les retombées économiques
A titre de rappel, par décision n°644/DS/CAB du 20 juillet 1999, le wali de Tlemcen a instauré l’obligation d’ouverture de poursuites judiciaires et mise en fourrière pour une durée allant de 15 jours à 30 jours, pour tout véhicule suspect circulant au long des frontières dont le réservoir contient une quantité de carburant dépassant les 40 litres ou les 150 litres pour les camions poids lourd. Suite à cette décision, souligne la douane, « l’administration des douanes a instruit ses services de lutte contre la fraude à Tlemcen, à l’effet d’opérer des contrôles systématiques des véhicules à l’occasion de chaque passage au niveau des barrages routiers, afin de vérifier l’existence d’un double réservoir de carburant ainsi que les quantités
transportées dans le réservoir d’origine et de prendre les dispositions en vue de faire ressortir la complicité au niveau des stations de distribution des carburants qui vendent au delà des quantités autorisées par le wali. » Cette année, une autre décision a été signée par le wali obligeant les gérants des stations Naftal à n’approvisionner les automobilistes qu’à hauteur de « 500 dinars pour l’essence et 2000 dinars pour les véhicules diesel ». Mensuellement, les services de la gendarmerie, la police et la douane opèrent des saisies importantes évaluées selon les statistiques, à plus de 200.000 litres.À travers des pistes bien maîtrisées, les contrebandiers acheminent le carburant vers le Maroc. Même les baudets sont utilisés dans ce commerce. Des statistiques révèlent que le produit du fuel qui traverse la frontière est bénéfique pour automobilistes marocains, car le prix au pays voisin est cédé actuellement à 95 dinars.
Les gendarmes de faction à un barrage permanent près de Bab El Assa, affirment malgré les dispositions prises par le wali de Tlemcen pour lutter contre le phénomène de la contrebande des carburants, la situation est loin de s’améliorer. Pourtant cette mesure préventive est des plus sévères puisqu’elle consiste entre autres à interdire aux gestionnaires des stations de distribuer des carburants dans les stations situées au long des frontières, de vendre le carburant dans des seaux ou réservoirs à l’exception des agriculteurs, l’ouverture d’un registre au niveau des stations pour le contrôle des quantités de carburant distribuées aux agriculteurs, à interdire l’opération de stockage des carburants… le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur.
D’où une pression certaine et une demande pressante et journalière des automobilistes qui font des queues interminables aux stations d’essence. Tout le long de cette frontière, c’est le même décor de pompes à essence noires de monde, amassé sans discontinuer autour des distributeurs de fioul. Et en cette période estivale, ceux qui ont choisi ces journées de juin et début juillet en ont pour leur courage. Des estivants rencontrés aux stations balnéaires venus d’autres régions, regrettent le voyage à Tlemcen. L’essence et le mazout sont vendus au marché noir : 100 dinars pour le litre d’essence et 50 dinars pour le litre de mazout. Des dépenses en plus, imprévisibles et impossibles à éviter.
La loi des hallabas
Lors d’une virée samedi dernier soir, un échange de ce rare liquide noir s’effectue près de Oued Kiss. Une petite contrée qui sépare les deux pays. Deux hallabas sont en train de remettre 7 jerricans d’essence à 3 Marocains. Nullement inquiétés. C’est qu’à travers toute la frontière, ce geste est coutumier et journalier.
Le marché étant juteux, c’est toute une armada qui s’adonne à cette pratique. Une crise sévit, alors qu’on ne peut pas parler de pénurie au sens vrai du mot mais plutôt de tension impossible à gérer par les citoyens qui observent plusieurs sit-in, appelant les autorités à appliquer des mesures plus sévères à l’encontre des hallabas et de mettre un holà à cette pression loin de calmer les esprits.
Aux frontières, les citoyens de la région ainsi que les estivants pénalisés pris au piège par cette « pénurie » engendrée par le trafic illicite, estiment la nécessité de réduire le nombre des stations de distribution de carburant au niveau de la zone frontalière. « Seuls les hallabas en tirent profit », martèle-t-on. Selon un rapport de la douane, « c’est dans le Nord de la wilaya de Tlemcen que la densité des stations d’essence en milieu rural est la plus forte en Algérie, alors que la population de cette région souffre d’une pénurie en matière de fuel ».
Le même rapport fait état que les exportations frauduleuses de carburant sont effectuées par voie terrestre à l’aide de moyens de transport de tout genre, baudets, motocyclettes, véhicules légers dotés de double réservoir volumineux, et véhicules utilitaires. « Les contrebandiers versés dans ces pratiques illégales ont trouvé une vocation de gains faciles en utilisant des tracteurs dont la capacité de stockage peut atteindre, sinon dépasser, les quatre cents litres en effectuant plusieurs voyages par jour. Aussi, les contrebandiers innovent-ils en utilisant des mineurs pour éviter toute poursuite judiciaire. » Ainsi et depuis le début de la saison estivale, la tension a atteint son paroxysme. La pénurie de carburant entrave toute activités notamment le transport.
Les contrebandiers investissent leur argent dans le bâtiment. A travers toute la frontière, des villas somptueuses y sont érigées. Le blanchiment d’argent bat son plein. D’ailleurs, à Bab El Assa, un jeune ne manque pas de confier qu’à l’âge de 24 ans déjà, il avait construit sa propre maison et acheté un véhicule de marque. « Avec un salaire, je ne parviendrai même pas à satisfaire mon ventre », a-t-il ironisé. A la frontière, le revenu journalier d’un contrebandier avoisine les 10 000 dinars. Pour ceux qui ont choisi la filière des drogues et cigarettes, le montant cité est à multiplier par dix, voire vingt.
M. M.