Très pathétique, Ben Ali, le président tunisien, pour la troisième fois en quelques jours, s’est adressé dans la soirée de jeudi dans un langage dialectal à la nation. C’est à l’image d’un enfant pris en faute qu’il a prononcé un discours auquel il a voulu donner toutes les tonalités possibles, reconnaissant ses erreurs personnelles et les errements du pouvoir exercé et du régime qu’il a imposé au peuple, faisant des promesses et s’engageant notamment à les respecter, comme celle de ne pas modifier la Constitution et, ce faisant, annoncer son retrait de la présidence à la fin de son actuel mandat qui prendra fin en 2014.
Les concessions qu’il a annoncées, voire ânonnées d’un air très affecté, comme soutirées à son corps défendant, c’est probablement le cas, constitueraient, au cas où elles seraient effectivement respectées, une percée spectaculaire et historique dans un pays qui, depuis son accession à l’indépendance, a été dirigé d’une main de fer par Bourguiba, d’abord, et une oligarchie ensuite, même si celui qui lui a succédé dans des conditions dignes d’une république bananière faisait illusion en étant à la tête du pays.Ainsi, toutes les libertés vont être concédées dans les jours à venir, celles d’expression, d’opinion politique, d’Internet, de la réduction des prix sur des produits de large consommation, etc.
Mais au-delà du tournant historique qu’elles constitueraient, ce qui retiendrait le plus l’attention, c’est cette affirmation selon laquelle il aurait ordonné aux services de police et aux miliaires de ne plus user de tirs à balles réelles sur la population, sauf en cas de légitime défense.
Des propos qui viennent confirmer la nature, à la limite inhumaine, du régime en place et des expédients auxquels il peut recourir et n’a jamais cessé de faire appel pour se maintenir en place durant près d’un quart de siècle. Comble de l’ironie, il semblerait, selon RFI citant des témoins, qu’au moment même où il tenait son discours, deux manifestants étaient tués à Kairouan. Il y a lieu toutefois de remettre quelque peu dans son contexte la sortie inédite du président tunisien, dont la propension à débarrasser la table de tous les objets encombrants reste quand même suspecte, d’autant plus que parce que malade, vulnérable, affaibli depuis quelques années, il ne serait plus le pouvoir mais ne ferait que l’incarner physiquement. La Tunisie étant en réalité propriété de sa belle-famille, laquelle se reposerait sur des apparatchiks et matérialisée, aux yeux de l’opinion, par une cour servile.
Il restera encore quatre années pour que Ben Ali quitte le pouvoir, et c’est toute cette durée qui laisse sceptiques ceux qui ne croient pas en la reconversion du Président, mais plus particulièrement en ceux qui tiennent en réalité les rênes du pays. En fait, il appartient aujourd’hui à une grande partie de l’opposition légale de rebondir sur le revirement du chef de l’Etat et des concessions faites officiellement et qui engagent son pouvoir face à l’opinion internationale pour non pas récupérer les dividendes de la crise sociale et le cortège de drames qui a agité pendant plus d’un mois la Tunisie, mais tout simplement arracher des droits auxquels nul Tunisien n’aurait jamais cru accéder.
Reste à voir maintenant si l’opposition clandestine pure et dure présente au pays et la diaspora tunisienne à l’étranger ont cru au discours apaisant de Ben Ali et surtout acceptent le sursis sollicité et ne jugent pas plus opportun de continuer sur leur lancée parce que jamais le pouvoir tunisien n’a été aussi faible que durant ces trente derniers jours, mais aussi que ses alliés européens naturels, dont essentiellement la France, ne cachent plus leur intention de lâcher un homme politique qui ne semble plus fréquentable. S’agissant de la France, justement, il y a lieu de s’étonner de la sortie de sa ministre des Affaires Etrangères, en l’occurrence Michèle Alliot-Marie, laquelle, la semaine écoulée face aux parlementaires, a fait une proposition pour le moins étrange et toutefois riche en enseignements en pareille conjoncture, celle «de la France d’apporter son aide technique (autrement dit policière) pour encadrer les émeutes».
Face au tollé soulevé au sein de l’opposition, voire de son camp également, la ministre a juré que ses propos avaient été mal
interprétés et qu’il s’agissait à ses yeux d’une aide technique qui consisterait à protéger les manifestants (sic).