Tour de vis répressif en Algérie

Tour de vis répressif en Algérie

5773682035708dcfedb9d25a.jpgSale temps pour la liberté d’expression. Alors qu’ils s’apprêtaient à emménager dans des locaux flambant neufs, les journalistes d’ »El Watan », principal quotidien francophone, ont été surpris dans la nuit de jeudi à vendredi par une descente de police, qui a fermé l’immeuble. Motif : non-conformité du permis de construire.

Vendredi, le directeur de la télévision privée KBC, le producteur d’un talk-show satirique et une fonctionnaire du ministère de la Culture qui avait signé l’autorisation de tournage ont été placés sous mandat de dépôt pour « fausse déclaration ». Le studio a été scellé.

Cette brusque offensive administrative contre l’expression libre cache mal l’objectif politique de ses commanditaires. Dans un lourd climat de fin de règne, le clan d’Abdelaziz Bouteflika tente de régler la succession à la hussarde, en imposant un des siens. Agé de 83 ans et cloué sur un fauteuil roulant par un AVC depuis 2014, le président algérien n’apparaît que très rarement, pour recevoir des chefs d’Etat étrangers. La dégradation de son état physique a, semble-t-il, paniqué sa garde rapprochée.

Corruption et impunité

Pour ses fidèles, l’enjeu est de taille : garder le pouvoir pour ne pas avoir à rendre des comptes. Plusieurs barons du régime impliqués dans des scandales de corruption gigogne font régulièrement les gros titres de la presse. Comme Chakib Khelil, l’ancien ministre de l’Energie mis en cause par la Justice, en Algérie et en Italie. Ou encore Abdeslam Bouchouareb, ministre de l’Industrie toujours en poste, cité dans le scandale des Panama Papers. Proches de Saïd Bouteflika, le frère du Président qui dirige le pays dans l’ombre, les présumés délinquants sont encore protégés par une imparable impunité.

Le Département du renseignement et de la sécurité (DRS, services secrets), qui avait enquêté et présenté leur dossier à la Justice, a été dissous et son patron, l’énigmatique général Toufik Mediène, envoyé à la retraite. Un autre général à la retraite, Hocine Benhadid, croupit en prison depuis septembre 2015, sans procès; il avait dénoncé « une bande mafieuse qui dirige le pays » .

Escalade dans le sérail

Pour museler les dissidences, un projet de loi soumis au parlement vise à imposer un « devoir de réserve » aux officiers à la retraite, particulièrement remontés contre « les dérives liberticides du pouvoir ». Jeudi, le général Khaled Nezzar, l’homme fort du régime dans les années 90, a riposté par une attaque frontale contre le général Gaïd Salah, chef d’état-major, le qualifiant de « fruste et mégalomane » et chez qui« sommeille le diable de l’aventure ».

Si l’accession à la magistrature suprême a toujours été le fruit d’un consensus entre les principaux chefs militaires, l’équilibre clanique qui protégeait le secret des décisions est rompu. Après la charge du général Nezzar, le chef d’état-major est au pied du mur : faire la sourde oreille risque d’ébranler son autorité; ordonner l’arrestation de celui qu’on a surnommé « le petit bavard de la grande muette », c’est la cohésion, bien fragile, de l’armée qui va se fissurer.