Malgré les grands efforts déployés par les forces de sécurité dans leur lutte contre la contrebande, ce fléau dont les conséquences désastreuses sur l’économie nationale ne sont pas à démontrer, continue paradoxalement de se développer davantage.
Les activités liées à cette pratique criminelle qu’est la contrebande, car s’en est une, qui est actuellement une préoccupation majeure des forces de sécurité frontalières, semble être ancrée dans les mœurs d’une certaine frange qui a acquis des capacités de se moduler et de s’adapter aux stratégies et aux moyens de lutte mis en branle par ces mêmes forces de sécurité.
Ainsi naissent cycliquement des stratagèmes et des artifices chez ces contrebandiers, capables de contourner, voire de mettre en échec, les dispositifs de lutte les plus élaborés, mis en œuvre par les gardes-frontières, les gendarmes, ou les policiers, afin de sécuriser au maximum leur activité.
A titre d’illustration, l’on évoque ce véhicule qui roule à l’essence, mais dont le réservoir est utilisé pour le transport aussi bien de l’essence que du gasoil, selon la disponibilité. Un bidon en plastique contenant de l’essence, est placé dans le moteur pour son alimentation.
L’on cite également les véhicules hors d’usage dont seul le réservoir intéresse les contrebandiers, par sa grande contenance en carburant, est remorqué par un tracteur jusqu’à la station-service, pour être rempli d’essence ou de gasoil puis ramené jusqu’au lieu de stockage, et ce, plusieurs fois par jour. Ce sont là, certains parmi les artifices utilisés par les contrebandiers, pour tromper la vigilance des éléments des services de sécurité, pour «pomper» le maximum de quantité de ces deux produits énergétiques à moindre effort et à moindre frais.
En effet, après l’entreposage de quantités énormes de ces produits dans des locaux aménagés pour ce commerce illicite, le long de la frontière (de Marsa Ben M’hidi jusqu’à Beni Boussaïd), des baudets qui sont utilisés pour la livraison des centaines de jerricans par jour aux trafiquants marocains, prennent la relève juste à la tombée de la nuit.
Si l’afflux vers ce genre de commerce est important au point, où même certains fonctionnaires s’y sont mis, c’est à cause du bénéfice soutiré. Payé environ 640 DA le jerrican d’essence, son prix varie selon la disponibilité du carburant et la situation sécuritaire de la frontière entre 900 DA et 2.000 DA au niveau des locaux de dépôt érigés par les trafiquants, ça et là le long de la frontière.
Ce qu’on appelle les livreurs utilisent les baudets pour le transport de la marchandise vers l’autre côté de la frontière, où des Marocains se chargent pour leur part de réceptionner la marchandise. Les livreurs et leurs commanditaires engrangent, bien entendu, des subsides fort intéressants, mais l’honnête citoyen subit toujours cette situation qui perdure voilà plus de 20 ans.
Ceci a généré plusieurs conséquences tels l’important nombre d’accidents de circulation à cause de la grande vitesse pratiquée par les contrebandiers qui, mus par l’avidité du gain facile et rapide, se démènent comme des diables pour effectuer le maximum de rotations et de quantités de carburants. Ce nombre d’accidents qui est l’un des plus élevés du pays, est favorisé également par l’état des véhicules qui est lamentable en général.
L’indisponibilité du carburant pour les honnêtes citoyens est une autre conséquence de ce trafic qui a fini par attirer beaucoup d’adeptes, notamment parmi les jeunes désoeuvrés des localités frontalières. C’est quasiment le parcours du combattant pour l’honnête automobiliste, à chaque fois que le besoin de faire un plein se fait sentir. La vente en 2ème main du carburant dans des domiciles situés dans des quartiers populaires, est une autre conséquence, de loin la plus marquante par son caractère dangereux.
En effet, des dizaines de personnes ont aménagé de véritables «station d’essence» au sein de leur maison et revendent du carburant, au vu et au su de tout le monde. A titre indicatif, l’essence est revendue à 250 DA les 5 litres (prix officiel, 107 DA). Situés dans des quartiers populaires, ces trafiquants présentent un danger permanent pour le voisinage. Des dizaines d’accidents, parfois meurtriers, ont eu lieu dans ce genre de dépôts, ainsi que dans ceux situés à la frontière.
LES PRODUITS ALIMENTAIRES ET L’ÉLECTROMÉNAGER TRÈS PRISÉS DE L’AUTRE CÔTÉ DE LA FRONTIÈRE
L’une des plus importantes pénuries que la région de l’extrême Ouest du pays a connue durant le mois de Ramadhan passé, est sans conteste celle du lait cru produit par l’unité laitière de Maghnia. La cause de cet état de fait est liée bien entendu à son exportation frauduleuse vers toute la région orientale du Maroc.
Celui-ci dont la qualité se trouve excellente, est très prisé par les Marocains, ce qui a encouragé les contrebandiers à l’exporter pour en soutirer un substantiel bénéfice, causer de ce fait sa raréfaction et accentuer la flambée de son prix, lequel a atteint 80 DA le sachet, le litre au lieu de 45 DA initial.
Cette flambée a, rappelle-t-on, touché plusieurs produits, à cause de leur exportation massive vers les dépôts de Beni Drar et ceux d’Oujda dans le royaume chérifien. Les étals qui s’approvisionnaient à partir de ces derniers pôles, exposent aux consommateurs marocains toutes sortes de produits algériens, souligne-t-on.
Cela va des produits électroménagers (réfrigérateurs, climatiseurs, TV plats…), en passant par les gaufrettes. Presque tous les produits sont touchés par ce phénomène, ce qui s’est inévitablement répercuté sur leurs prix au niveau local par rapport à ceux pratiqués dans la région. Ce commerce a été en outre favorisé par des pratiques très détournées.
A titre illustratif, la commune de Souani qui n’est qu’à quelques kilomètres de la frontière et qui compte moins de 8.000 habitants, compte plus de 50 grossistes et plus de 150 commerçants avec registre de commerce dont la quasi-majorité sont fictifs, car enregistrés au nom de personnes décédées ou malades mentales.
Après un contrôle effectif effectué par les services du commerce en collaboration avec ceux de la douane et des contributions diverses, des quantités faramineuses ont été ainsi achetées officiellement auprès de commerçants des villes de l’intérieur du pays, visées régulièrement au niveau du poste d’accès à la zone de douane pour avoir le passavant nécessaire pour leur transport légal jusqu’à la frontière. C’est ainsi que des tonnes de farine que le pays importe en devises lourdes, passent presque légalement la frontière pour approvisionner l’autre rive.
Ce n’est pas le fait du hasard que des somptueuses constructions sont érigées dans cette région frontalière et ailleurs. Ces habitations cossues expriment d’une manière aussi ostentatoire qu’indécente l’émergence d’une classe de nouveaux riches dont la source de leur soudaine prospérité n’est autre que la contrebande. Elle est surtout le résultat d’une activité qui ne cesse de saigner à blanc l’économie nationale.
MÊME LES MATÉRIELS MÉDICAL ET AGRICOLE NE SONT PAS ÉPARGNÉS
A voir les énormes efforts financiers consentis par l’Etat pour soutenir et relancer l’agriculture, tel le FNDRA, la production demeure toujours insuffisante.
L’une des raisons à cette stérilité, du moins dans les localités frontalières de la wilaya de Tlemcen, est la contrebande du matériel agricole. Acquis dans le cadre de ce soutien, des pompes, des tracteurs, des équipements pour le système d’irrigation, ont été vendus aux agriculteurs marocains, sans souci pour l’agriculture locale. De même pour le matériel médical, qui au vu de son prix attractif, est demandé par les Marocains. Ainsi, certains médecins véreux cèdent leurs quotas de fil chirurgical, de produits anesthésiants, d’appareils pour handicapés et bien d’autres produits, au marché de la contrebande, sans état d’âme.
A.B