Les deux chasseurs du village Tigounathine, commune d’Akerrou (65 km à l’est de Tizi Ouzou), Rafik Haddad et Ramdhane Matoub, victimes de la bavure militaire de mardi dernier, ont été enterrés jeudi vers midi en présence d’une foule nombreuse au cimetière du village. Des milliers de personnes venues des communes limitrophes et de plusieurs autres régions de Kabylie ont accompagné les deux victimes à leur dernière demeure dans une atmosphère de tristesse et de deuil profond.
Les dépouilles des deux victimes, couvertes de l’emblème national, ont été déposées devant la grande mosquée du village vers 11 h. Des appels à la sagesse lancés par l’imam du village fusaient des haut-parleurs de la mosquée. Les villageois, quant à eux, organisèrent la circulation et orientèrent les arrivants qui affluaient de toutes parts.
«Nous sommes aguerris et habitués à ce genre de drame. Ce n’est pas la première fois qu’un tel malheur frappe notre paisible village», dira Mohand, un membre de comité de village. Il a rappelé qu’en 1995, trois villageois de Tigounathine ont été tués accidentellement par des soldats de l’ANP dans un barrage à Tifrit, chef-lieu communal.
En 1994, un autre villageois a été aussi victime d’une bavure militaire. «Les bavures militaires ont coûté la vie à six personnes de notre village. Par contre, depuis l’avènement du terrorisme, les militaires n’ont jamais éliminé aucun terroriste dans notre région parce que tout simplement, il n’y a pas l’ombre d’un terroriste dans notre commune», fera remarquer un villageois proche de l’une des victimes.
Et d’ajouter : «Le commando de campement militaire de notre commune nous a indiqué que des dizaines de casemates appartenant aux groupes armés ont été découvertes dernièrement non loin du chef-lieu communal, suite aux aveux d’un terroriste arrêté dans la région de Tigzirt». Ce que explique, selon les dires de ce responsable militaire, la multiplication des ratissages et embuscades des éléments de l’ANP ces derniers temps. «Mais nous, nous n’avons jamais rencontré un terroriste dans notre région.
D’ailleurs la situation est tellement calme que les gens s’adonnent librement à des parties de chasse depuis des années sans jamais être inquiétés», ajoute un villageois.
Vers midi, les deux cercueils ont été acheminés vers deux cimetières différents. Le jeune Rafik Haddad, âgé seulement de 17 printemps, a été enterré au cimetière familial, au lieu dit Djamaâ Boulmou, au centre du village.
Son père, ancien maquisard, en dépit de son âge très avancé, a assisté à l’inhumation de son fils sans prononcer un mot, anéanti par ce malheur. L’autre victime, Ramdhane Matoub, âgé de 64 ans, qui a laissé derrière lui une veuve et une fille, a été enterré à la sortie est du village, au lieudit Naït Djoudi. «Il avait perdu une de ses filles récemment», nous rapporte tristement un villageois.
Les villageois tiennent une assemblée générale
Après le wali de Tizi Ouzou et le colonel du secteur militaire qui se sont déplacés à Tigounathine pour présenter des excuses officielles aux familles des victimes, le P/APW de Tizi Ouzou, Mahfoud Bellabès, s’est rendu lui aussi au village pour assister à l’enterrement, au même titre que de nombreuses personnalités et élus locaux.
Les circonstances de la bévue fatidique de mardi dernier revenaient sans cesse sur les lèvres des villageois. Ils insistaient auprès des nombreux journalistes venus couvrir l’enterrement que les deux victimes ont été tuées dans des endroits fréquentés à longueur de la journée par les villageois.
«Ramdahne et Rafik ont été tués dans un endroit où il est impossible de les confondre avec des terroristes. C’est au milieu des champs d’oliviers, où des femmes faisaient la cueillette des olives que les militaires les ont tués», précise un homme âgé.
Une assemblée générale devait se tenir dans l’après-midi d’hier, après la prière, pour décider des initiatives à prendre. Une audience avec le wali est prévue cette semaine.
Un élu local nous a indiqué qu’une «enquête a été déjà diligentée par les autorités compétentes pour faire toute la lumière sur cette affaire».
A. I.