Sidi Ali Bounab, une montagne qui surplombe la ville de Tadmait, à 18 Km à l’Ouest de Tizi-Ouzou, et qui a acquis depuis le début de la décennie noire, la triste réputation de fief du terrorisme, réapprend à vivre depuis peu, après le recul de l’insécurité dans cette région.
Ce massif fortement boisé, situé à cheval entre les wilayas de Boumerdès et de Tizi-Ouzou, culmine à 800 mètres d’altitude sur une série de collines verdoyantes. Le versant visible à partir de la ville de Tadmait, forme à l’horizon, une barrière imposante, sombre d’une couleur vert foncé tirant vers le bleu, couleur du feuillage des oliviers et châtaigniers qui y poussent.
Sidi Ali Bounab qui porte le nom d’un mystique, peu connu du 19ème siècle, originaire de cette montagne qui avait « erré » à travers la Kabylie, porte encore les stigmates du passé, un passé marqué par les horreurs du colonialisme, et plus tard par celles du terrorisme.
Accompagné d’un guide qui connaît la région, une journaliste de l’APS s’enfonce dans les maquis de Sidi Ali Bounab en prenant le soin de ne pas quitter un étroit sentier. Des impacts d’obus sont visibles par endroits au cœur de la forêt de chêne liège et de châtaigniers, qui coiffe cette montagne de moyenne altitude. La zone, située entre les lieux-dits « Akerrouche » et « Tizi Bouadhou », demeure « dangereuse et inaccessible, en raison des nombreux engins explosifs, enfouis sous terre par les groupes armés, blessant ou coûtant la vie aux rares jeunes qui s’y aventurent », confie le guide qui préfère garder l’anonymat.
L’appel de la montagne et de la terre natale
Avant l’installation des terroristes à Sidi Ali Bounab, plusieurs familles de la commune de Tadmait avaient pris l’habitude de s’y rendre régulièrement, notamment durant les week-ends, et tout au long de l’année pour pique-niquer et cueillir, selon les saisons, des olives, des champignons, des asperges, des glands et des châtaignes, des figues fraîches et de barbarie et autre produits forestiers que leur offrait généreusement cette montagne nourricière ou les figuiers, les oliviers et les cerisiers prospèrent.
A sidi Ali Bounab, on trouve également des cerisiers qui poussent allègrement, offrant une récolte abondante dans cette partie de la wilaya de Tizi-Ouzou qui a été épargnée par le « Capnode », un insecte ravageur qui s’attaque aux arbres à noyaux causant leur dépérissement. Le petit gibier, notamment le lièvre et la grive, cohabitent avec le sanglier, le chacal et le chat sauvage.
Ce lien presque affectif qui unissait les habitants de Tadmait à leur montagne, a été brisé durant la décennie noire, Sidi Ali Bounab étant devenue une zone très dangereuse où personne n’osait s’aventurer. Contraints, les citoyens ont dû renoncer, à contrecœur, à leur vergers, en attendant des jours meilleurs et la pacification, par les forces de sécurité, de cette région devenue le fief du terrorisme.
Depuis environ trois ans, et avec le recul du terrorisme et la pacification de la région par les forces de sécurité, les chemins menant à Sidi Ali Bounab se réaniment et sont de nouveau fréquentés par des randonneurs qui s’y rendent pour passer une journée en plein air, mais aussi des familles qui y vont pour travailler leurs vergers.
La route carrossable, ouverte par les services de la commune à la fin des années 80, s’anime par le passage de quelques véhicules et des familles en descendent pour se reposer dans les champs. Un groupe de trois randonneurs dévale une pente en schiste, et plus loin des enfants jouent, tandis qu’un groupe de jeunes aménage un accès vers leur oliveraie, a-t-on constaté.
Plus bas, des oliveraies qui s’étendent à perte de vue semblent résister aux nombreux incendies qui se sont déclarés dans cette région. Au lieudit « Bouissi », on découvre des maisons traditionnelles tombant en ruines, abandonnées par leurs propriétaires durant la décennie noire.
Des femmes brisent le mur de la peur
Les femmes âgées ont été les dernières à fuir la région. Les rencontres avec les groupes terroristes durant la saison de la cueillette des olives sont devenues fréquentes se souvient El Djoher.
« Un jour, j’étais occupée à ramasser les olives tombées au sol lorsque j’ai aperçu trois jeunes armés, surgir d’un buisson, j’ai fait semblant de ne pas les voir, ils ont poursuivi leur chemin. J’ai eu la peur de ma vie, et depuis je n’ai plus remis les pieds à Sidi Ali Bounab », témoigne-t-elle.
Les femmes sont aussi les premières à reprendre la route de Sidi Ali Bounab depuis trois ou quatre ans. Tassadit pense qu’il faut briser le mur de la peur et reprendre possession des biens légués par les aïeux. « J’achète l’huile d’olive à des prix exorbitants alors que mes oliviers sont abandonnés à Sidi Ali Bounab. J’ai donc pris mon courage à deux mains et j’ai convaincu trois autres femmes de m’accompagner. » Depuis, soutient-elle, « d’autres femmes et même des hommes ont repris la route de Sidi Ali Bounab. »
Certaines familles ont eu la mauvaise surprise de voir une grande partie de leurs oliveraies détruites par des incendies et se sont remises à leur reconstitution en greffant des oléastres.
Des ruchers ont même fait leur apparition et même des vergers. Mohamed, qui habite Alger, et qui est originaire de Sidi Ali Bounab, est revenu sur la terre de ses parents.
« C’est ici que j’ai grandi. Quand j’ai eu mon bac, j’étais obligé de quitter Bouissi pour poursuivre des études universitaires à Alger. Aujourd’hui, je reviens par nostalgie », confie-t-il.
Ce dernier a réhabilité la source appelée « Tala Makhloudh », l’a équipée d’une pompe, installé un système de goutte à goutte pour alimenter un potager où il fait pousser des légumes.
Près de la source qui revient ainsi à la vie, un rosier pousse à l’ombre de néfliers et d’abricotiers, et offre ses belles roses rouges pour célébrer le retour de la vie à Sidi Ali Bounab.
Sidi Ali Bounab, le mystique qui a donné son nom à une montagne
Peu d’écrits et de témoignages existent sur Sidi Ali Bounab, un mystique du 19ème siècle qui a donné son nom à cette montagne. Quelques bribes subsistent encore. Certains semblent véridiques, d’autres relèvent de la légende, le Saint ayant été mythifié, d’autres lui ont été attribués par confusion, comme celui où il aurait arrêté un train avec sa canne en se plaçant au milieu du chemin de fer.
Selon des habitants de Tadmait, « ce fait n’est pas l’œuvre de Sidi Ali Bounab, mais d’un père blanc qui, voulant impressionner les habitants, s’est placé sur la voie ferrée, et soulevant sa canne au passage du train, celui-ci c’est arrêté », raconte Mohamed, un septuagénaire, qui ajoute, sourire en coin: « le père blanc a eu de la chance que le conducteur du train l’ait vu et eu le temps de freiner. »
Selon des témoignages recueillis auprès des vieux de Tadmait et quelques textes datant de l’ère coloniale, Sidi Ali Bounab était un Saint connu des montagnes du Djurdjura où il a beaucoup erré. Un jour, il rend visite à Sidi Ali Moussa dit « n’founass », qui gérait à l’époque la zaouïa de Maatkas, « les deux saints discutèrent longuement, puis Sidi Ali Moussa ayant irrité Sidi Ali Bounab, celui-ci lui dit : « Tu vas mourir, étranglé par les tiens. »
A cette prédiction, Sidi Ali moussa répond : « Et toi, tu seras emporté par une tempête de neige dans tes montagnes, et ton corps servira de pâture aux chacals. » L’on rapporte que ces deux prédictions se sont réalisées.
« Un jour, alors qu’il se rendait dans la tribu des Ait Mlikech (wilaya de Bejaia), Sidi Ali Bounab a été pris dans une tempête de neige et emporté. Son corps a été retrouvé à moitié dévoré par des bêtes sauvages. Quant à Sidi Ali Moussa, il fut assassiné par un groupe de Tolba, ses propres élèves », témoigne-t-on.
(Par Madjda Demri)