Par Fatma Haouari
L’ouverture du ciel algérien aux avions de l’Hexagone suite à l’intervention armée française au Mali révélée par le ministre de la Défense français, ainsi que la prise d’otages de Tiguentourine d’In Salah, à Illizi, ont mis à nu les failles de la communication institutionnelle. Alors que l’assaut des forces spéciales de l’ANP pour contrer les terroristes qui voulaient tout faire exploser dans une opération spectaculaire a été un franc succès militaire, il a failli tourner, médiatiquement, à la défaite.
Les officiels qui ont brillé par leurs contradictions vont se sentir obligés de rendre des comptes à l’opinion internationale sans même tenter de rassurer l’opinion publique nationale, devenue exsangue par le drame et ne comprenant pas ce qui se passait. Ces mêmes officiels accordaient des interviews aux médias français alors que la presse algérienne était superbement ignorée. Sur la question du Mali, avant que la France ne dépêche ses forces armées, il fallait se munir d’un décodeur pour comprendre les propos, d’un côté, du ministre de l’Intérieur et, de l’autre, de celui des Affaires étrangères. Une ambivalence dans le discours qui a obligé les journalistes à taper souvent à côté. Sans des données exactes, comment peut-on faire un article qui ne ressemble pas à de vagues «insinuations». Même le plus chevronné des professionnels ne peut que produire de pâles feuillets. Du coup, sur les questions importantes, les journalistes sont restés sur leur faim. Un comble pour un journaliste de ne pas connaître les positions de son pays sur des sujets cruciaux qui impliquent directement la nation. Le peuple est ainsi mis à l’écart, obligé de se tourner vers les chaînes étrangères pour s’informer et quand il s’agit de l’Algérie, certaines chaînes, on l’a vu durant la décennie noire, ne mettent pas de gants pour lui tomber dessus et ternir son image. Nos officiels ont frisé le ridicule avec leur communication tâtonnante, manquant de confiance, le front suintant de gêne sur les plateaux de France 24. Une chaîne, paraît-il, très regardée par le président Bouteflika. Les journalistes, qui ne savaient pas quoi faire, sollicitaient leurs sources «anonymes» ou faisaient appel à des spécialistes pour des analyses comblant comme ils pouvaient le vide dû à la parcimonie en informations officielles. L’affaire Sonatrach 2 a également mis en évidence le déficit en information judiciaire. Nos dirigeants sont restés longtemps silencieux avant de faire des déclarations à l’emporte-pièce, du genre «c’est un acte isolé» pendant que le ministre indélicat entre et sort en Algérie sans être inquiété et que les scandales liés à la corruption fleurissent chaque jour sur les tabloïds. Les partis politiques sont restés amorphes, donnant souvent l’impression d’attendre un «signal» avant de s’exprimer.
Le Président en mode «épistolaire»

Le président Bouteflika qui était très volubile avant et après sa première mandature est devenu subitement peu loquace, mais il écrit. Il écrit beaucoup, surtout des lettres dont il délègue la lecture à son armada de conseillers. A chaque importante occasion, il envoie une correspondance. Point de discours à la nation et peu d’apparitions publiques, uniquement des lettres. Et sur les événements qui ont mis en émoi toute l’Algérie, il n’a pas disserté. A ce propos, sur l’assaut de l’ANP suite à l’attaque de Tiguentourine, sa sortie médiatique a mis un retard d’un mois. Idem pour l’affaire Sonatrach 2. Cette situation a donné lieu à des rumeurs. Nous avons constaté aussi la lenteur avec laquelle la rumeur sur le décès du Président a été démentie après qu’un journaliste blogueur français l’ait donné dans une dépêche pour mort. Celle-ci a été largement diffusée sur la Toile. Les services de communication de la Présidence ont mis jours pour démentir l’information et c’est le porte-parole du ministère des Affaires étrangères qui a livré sa mise au point. Pareil pour son transfert à l’hôpital du Val-de- Grâce en 2005. Ce sont les journaux français qui ont confirmé sa maladie, gardée longtemps dans le secret. Cela donne un aperçu sur la réalité du pouvoir et de nos ministères qui ont tous les yeux rivés vers le nord de la Méditerranée. Le journaliste français blogueur s’en est tiré à bon compte alors que si c’était un journaliste algérien qui avait été à l’origine du tuyau crevé, il aurait été traité d’amateur et traîné en justice et peut-être même accusé de menacer la stabilité du pays ! Toujours est-il que la rumeur a pris la place de l’information, que ce soit dans les affaires politiques, économiques, extérieures ou autre et face au silence nimbé de mystère, la spéculation est devenue légion. Il est vrai que depuis quelque temps, l’information secrète et inaccessible pour les journalistes algériens est à la portée de ceux de l’Hexagone. Sur la santé du président, on devrait dorénavant prendre ses nouvelles chez les dirigeants français. Au cours de la récente conférence de presse à Alger tenue par le président de l’Assemblée française, Claude Bartolone, ce dernier a rassuré le peuple algérien en disant que «Bouteflika était alerte et il se porte bien» ! Cet situation est l’apanage des régimes fermés et autoritaires qui nient l’existence d’une opinion publique envers laquelle ils ne se sentent pas redevables et à laquelle ils refusent de rendre des comptes. Il faut croire que nos officiels ne tirent pas les leçons du passé et encore moins de ce qui se trame autour du pays. L’absence de stratégie de communication est le terrain privilégié de la colère et des malentendus. Les contestations sociales en sont un exemple édifiant. Les élus locaux et responsables de l’administration se comportent exactement comme les hauts responsables, ils les imitent, sauf qu’ils ont surtout peur d’être évincer de leurs postes. Ne parlons pas des chargés de communication au sein des institutions. Rares sont ceux qui sont disponibles ou habilités à parler sauf pour dire que «tout va bien». Ils ne sont pas non plus formés. Certaines structures étatiques sollicitées par les journalistes exigent une demande écrite qu’il faut faxer avec les questions préalablement inscrites. Quant au délai de réponse, il faut s’armer de patience ou se résigner au refus. Les ambassadeurs sont aux abonnés absents. Ils ne prennent même pas la peine de recevoir les journalistes qui font le déplacement à l’étranger, dans le cadre de leur travail. Les walis et chefs de daïra sont quasiment impossibles à contacter. Vous trouverez toujours un préposé à la réception pour vous signifier que vous ne serez pas reçu. Les correspondants locaux sont les plus exposés à ce genre d’embûches, leur travail pour s’enquérir d’informations de proximité relève du parcours du combattant sans oublier qu’ils travaillent dans des conditions difficiles. Ils peuvent faire même l’objet de menaces. Les cas dans ce sens ne manquent pas. Au droit d’informer s’opposent toutes les formes de rétention d’information pour maintenir les populations dans l’ignorance.
F. H.