Attendu en Algérie à partir de dimanche pour procéder à l’exhumation des têtes des moines de Tibéhirine, le juge français Marc Trévidic a vu son voyage reporté à la dernière minute par les autorités algériennes.
C’est un coup dur pour les familles des moines de Tibéhirine. Les autorités algériennes ont décidé de reporter la visite – prévue à partir du dimanche 2 mars – du juge d’instruction français Marc Trévidic, qui devait procéder à l’exhumation des têtes des sept religieux, assassinés en mai 1996 dans des conditions troubles.
Cette exhumation, que les magistrats instructeurs réclamaient depuis plus de deux ans, avait été acceptée cet automne par les autorités algériennes. Côté français, tout était prêt pour cette visite impliquant une importante organisation logistique. « C’est pour nous une immense déception et un camouflet infligé à la justice française », a commenté l’avocat des familles et proches des moines, Me Patrick Baudouin. « Le magistrat de liaison algérien en France a indiqué au juge Trévidic que tout n’était pas prêt pour cette visite ».
De source judiciaire, on a précisé que cette visite était reportée « à fin mai-début juin ». « Nous espérons sincèrement que ce déplacement aura lieu », a déclaré Me Baudouin. « Mais je suis sceptique, car nous sommes menés en bateau depuis si longtemps dans cette affaire », a-t-il ajouté, en s’interrogeant sur une éventuelle relation entre ce report soudain et « le climat délétère en Algérie à l’approche de la présidentielle ».
Une bavure de l’armée algérienne ?
Christian de Chergé, Luc Dochier, Paul Favre-Miville, Michel Fleury, Christophe Lebreton, Bruno Lemarchand et Célestin Ringeard, moines de l’Ordre de Cîteaux de la stricte observance, avaient été enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 par un groupe d’hommes armés dans leur monastère isolé de Tibéhirine, près de Médéa (nord-ouest).
Ce rapt avait été revendiqué un mois plus tard par le GIA (Groupe islamique armé) via un communiqué signé de son émir Djamel Zitouni, commanditaire des attentats de 1995 en France. Le 21 mai, un second communiqué annonçait l’exécution des religieux. Leurs têtes seront retrouvées neuf jours plus tard au bord d’une route de montagne.
Après avoir suivi la thèse islamiste, le juge Trévidic a réorienté l’enquête vers une possible bavure de l’armée algérienne, avec le témoignage, en juin 2009, d’un ancien attaché de Défense à l’ambassade de France à Alger. Selon le général François Buchwalter, les moines ont été tués dans un raid d’hélicoptères militaires tandis qu’ils se trouvaient dans ce qui semblait être un bivouac de jihadistes.
Justice algérienne « souveraine »
Après ce nouveau témoignage, les juges d’instruction français avaient adressé une commission rogatoire internationale aux autorités algériennes en décembre 2011. Outre l’exhumation et l’autopsie des têtes des religieux, les magistrats demandaient l’audition d’une vingtaine de témoins, dont celle d’un des ravisseurs présumés des moines, Abderrazak El Para.
En visite à Alger en novembre, Marc Trévidic avait obtenu le feu vert des autorités algériennes pour la première partie de sa demande, mais pas sur la seconde, au grand dam des proches des moines. En décembre, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, avait tenu à rappeler au sujet de cette affaire que la justice algérienne était « souveraine comme (…) la justice française ».
Outre la présence d’impacts de balles, les analyses prévues sur les têtes visaient notamment à établir si la décapitation avait été menée avant ou après la mort et devaient potentiellement permettre d’écarter ou d’accréditer certains témoignages.
(Avec AFP)