Le salafisme et le terrorisme font bon ménage. Les deux frontières sont très difficiles à définir.
Aujourd’hui, l’islamisme rencontre une insoutenable passivité.
Nous n’avons pas vu comment ils sont arrivés». C’est la complainte lâchée par un septuagénaire rencontré à Thoursal, un village perché sur les hauteurs de
Timezrith, commune située à cheval sur les wilayas de Boumerdès et Tizi Ouzou.
Même la célébration des fêtes de mariage ou de circoncision avec Idhaballen (troupes de musique traditionnelle) ou un DJ, c’est haram, illicite», lâche notre interlocuteur.
Un groupe de salafistes, visiblement très actif, tente d’islamiser tout le village. C’est réussi en partie, regrette-t-il. Les nouveaux adeptes arrivent en grappes. Kamis, barbe teinte au henné ; ils ont pu imposer aux villageois – mauvais musulmans qu’ils seraient ! – de nouvelles règles de conduite, la manière d’enterrer les morts a changé.
Les rites concernant la lecture du Coran au moment de l’enterrement ou le dernier recueillement sur la dépouille après la toilette du mort ne sont plus autorisés. Le prosélytisme salafiste commence à prendre des allures inquisitrices, en cela qu’il s’ingère, de manière insidieuse, dans le moindre détail dans la vie des villageois. La musique illicite !
C’est ce que faisaient les terroristes du GIA lorsqu’ils avaient pris possession des lieux en 1994. A l’époque, ils avaient tout interdit, raconte un habitant de Thoursal : «Ils rentraient même dans les domiciles pour casser tous ce qui est magnétoscope et cassette audio.» Et c’est cela qui avait poussé les habitants à l’époque à prendre les armes et se lancer dans la résistance contre «les fous de dieux».
Ils dictaient leur loi. «Je ne comprends pas ce retournement de situation», dit-il, en soulignant toute son inquiétude de voir la situation évoluer en faveur des salafistes qui n’en sont là qu’à leur début. Chaque jeudi, ils font venir un «moudarris» pour donner des fetwas aux jeunes dans la mosquée du village. «L’arrivée de ces gens chez nous laisse entendre que tous nos ancêtres sont en enfer», ironise un jeune.
Le résultat est vite connu, notent quelques habitants. Ils s’élèvent en conscience du village. Ici, le salafisme et le terrorisme font bon ménage. Les deux les frontières sont vraiment difficiles à définir. On bascule facilement vers le terrorisme. Les frontières ? Sur le fil du rasoir.
On croyait qu’on avait fait face au plus grand péril, le terrorisme en 1995. Ils étaient plus de 1000 terroristes à écumer les denses forêts de Sidi Ali Bounab, Aït Yahia Moussa, Iaâllallene… Nous les avons combattus, nous avons payé au prix fort pour les déloger. La reconquête de Sidi Ali Bounab surtout n’a été réalisée qu’au bout presque de quatre années. Elle s’est faite à prix fort. «Des Algériens sont morts ici, des militaires, des GLD, des patriotes, de simples citoyens… apparemment, ce n’est pas fini», regrette notre interlocuteur. Ils ont été chassés par la fenêtre, ils reviennent par la grande porte.
Comment cela s’est-il passé ? Personne ne le sait. C’est un climat suspicieux qui règne dans cette petite bourgade. Aujourd’hui, l’islamisme rompant rencontre une insoutenable passivité. Il n’y a aucune réaction. Les habitants, dans un climat d’insécurité, semblent résignés.
Lorsque nous nous sommes arrêtés au centre du village, nous rencontrâmes un ancien membre du comité. Après les présentations, il lancera : «Vous voyez ? Sa maison est derrière vous!» «De qui ?», lui avions-nous demandé. «De l’Emir», nous répondit-il. Il s’agit, en fait, du domicile du terroriste Sedik Zizid, alias Al ghoulam. Il est ainsi surnommé pour avoir rejoint les rangs du GIA très jeune, 16 ans en 1994. Il rode encore dans le coin, nous apprennent certaines indiscrétions.
Accompagné de deux de ses acolytes, l’émir du GSPC, bien portant selon ceux qui l’auraient aperçu, aurait assisté à la fête de l’un de ses proches dans un village voisin, à Boughaoua. Il lui arrive même de revenir chez lui pour rendre visite à sa famille.
Un endroit propice pour les attentats
C’est devenu un rituel. Cela devrait être sous la haute la bienveillance des soutiens dont bénéficient les terroristes dans la région. Un villageois confie que la présence de Zizid dans le coin ne passe pas inaperçue. Dès que vous voyez deux de ses proches, l’un est debout à l’entrée du village et l’autre à l’autre extrémité pour faire certainement le guet ; l’on devine qu’il est là.
Nos sources disent qu’à plusieurs reprises, ils sont venus racketter les habitants du village Tala Oughanim. En fin connaisseur de la région, notre interlocuteur indique que les groupes armés ne peuvent pas avoir une telle mobilité sans réseaux de soutien. Les troupes de l’ANP ont ratissé plusieurs fois les alentours, sans rien trouver.
«Mais dès qu’elles lèvent le camp, une heure après, ils sortent de leur terrier. Ils sont souvent là où on les attend le moins», précise notre interlocuteur, qui nous rappelle, d’ailleurs, le sanglant attentat qui avait coûté la vie à plusieurs policiers et des enseignants chargés de surveiller les examens du BEM en juin 2009.
Ils étaient une quarantaine à surgir sur la chaussée en fin d’après-midi pour commettre cet attentat. Selon des sources bien informées, l’un des terroristes capturé, il y a quelques mois, dans la forêt «Verrou», a révélé la participation dans cette sanglante embuscade de l’émir de l’ex-GSPC, devenu Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Abdelmalek Droudkel, Alias Abou Moussaâb Adelawadoud.
Droudkel à Timezrit ? Le relief peut être un endroit propice pour commettre des attentats, et être leur retraite.
Il peut aussi servir de lieu de passage, indiquent nos sources. Mais ce jour, précise notre interlocuteur, les terroristes s’étaient mobilisés en grand nombre pour s’approvisionner en armes. Ils avaient d’ailleurs pris 6 kalachnikovs et 6 pistolets automatiques. Les groupes terroristes se déplacent avec beaucoup de facilité, vu le relief accidenté de la région. D’ici, de Timezrit, l’on domine d’ailleurs la forêt dense de Boumehni ; Aït Yahia Moussa n’est qu’à un jet de pierre.
On est également à 20 minutes de Oued Ksari. En somme, tout le Sud-Ouest de la wilaya de Tizi Ouzou est à portée de vue et… de main. Une région d’une complexité incroyable. Et, il suffit de se retourner pour dominer aussi de l’autre côté les Issers, Si Mustapha, Thenia, Bordj Menaïel et Tadmaït.
Bien que le recrutement du GSPC soit freiné, la lutte contre le terrorisme qui a permis l’élimination de plusieurs terroristes et la reddition de certains émirs de l’organisation de Abdelmalek Droukdel n’a pas dissuadé des jeunes de prendre le chemin du maquis.
Les réseaux dormantsdu terrorisme
Les deux jeunes qui ont déposé une bombe, il y a un mois, à Bordj Menaïel – un attentat qui a coûté la vie à un policier – n’ont rejoint le maquis que dernièrement. Ce sont de nouvelles recrues, affirme notre source. Ils ont 19 ans chacun, précise-t-elle encore.
Il y aurait même eu un troisième adolescent de 15 ans qui a dû rejoindre les groupes armés, mais a fini par se rendre. Les trois sont originaires du quartier Tahrir, à quelques encablures de Bordj Menaïel.
Des sources bien informées indiquent aussi qu’un autre jeune de Si Mustapha a rejoint les maquis de l’organisation terroriste dirigée par Abdelmalek Droukdel. Notre interlocuteur souligne toute la difficulté de savoir si Al Qaïda au Maghreb islamique continue à enrôler de nouveaux terroristes ou non.
Ce n’est qu’après avoir commis leur premier forfait que l’on sait qu’untel a rejoint l’organisation terroriste. En réalité, le terrorisme n’a plus le même visage, confie notre interlocuteur.
Aujourd’hui, du moins dans la région, ils sont dans la société. Le plus inquiétant, ce sont ces réseaux dormants du terrorisme. D’ailleurs, c’est dans ces réseaux qu’AQMI trouve ses nouveaux adeptes. C’est vrai que la misère sociale joue souvent un rôle important dans le recrutement des jeunes par l’ex-GSPC. Mais elle n’explique pas tout. L’idéologie du djihad, guerre sainte, a ses vecteurs et ses animateurs dans la société.
Les cellules djihadistes n’ont jamais arrêté d’activer. Il y a plus de 10 jours, nos sources ont indiqué que des témoins ont aperçu un important groupe de terroriste dans la région de Laâzib, versant nord de Sidi Ali Bounab. Une trentaine, lourdement armés, traversaient les bois. Cela fait bien longtemps que l’on n’a pas signalé une telle armada, indique notre source. Dans cette région très pauvre, le chômage fait des ravages.
Ce qui rend très vulnérable les jeunes. La colère qu’ils nourrissent envers les autorités, d’abord, et envers la société, ensuite, les fait se jeter inexorablement dans la gueule du loup. Cela est surtout accentué car certains repentis affichent ostentatoirement leur richesse. A quelques kilomètres du village Aït Messaoud, mitoyen à la localité de Thoursal, s’érige un immense poulailler appartenant à un ancien terroriste de la région.
«Il roule, indique notre interlocuteur, avec une voiture luxueuse d’une valeur de 280 millions.» «Et les jeunes, quand ils voient cela, en sont malades», ajoute-t-il. C’est l’une, d’ailleurs, des rares richesses du coin. Il a accès à tout, confie notre source. Cela pousse les jeunes, surtout ceux qui sont en difficulté sociale, à penser et à dire que «pour devenir riche et sortir de la misère, il faut passer par le maquis».
Said Rabia