Souk Erdjal, une pièce de Souad Sebki, a été présentée mercredi soir au Théâtre national Mahieddine Bachetarzi à Alger.
La quête du «prince charmant» dans une société où le mariage est une véritable épreuve est presque obsessionnelle. Les filles, qui n’ont aucune occupation et qui sont affectées aux tâches ménagères, sont convaincues que «le salut» ne viendra que de cet homme, toujours idéalisé, qui frappera à la porte pour demander leur main un matin de printemps.
Les histoires au fil d’or malaxées dans l’eau de rose, servies par les feuilletons turcs, mexicains, syriens et égyptiens entretiennent le «rêve» féminin. Jouant sur ce chapitre, Souad Sebki a imaginé, inspirée par le texte de Lamri Kaouane, une comédie, Souk Erdjal (Le marché des hommes), présentée mercredi soir au Théâtre national Mahieddine Bachetarzi.
C’est un one-man- show à deux, où toutes les frustrations sont exprimées avec humour. Laâmria, en insistant sur le «r», femme entre deux âges, interprétée par Souad Sebki, et Djamila, 20 ans, jouée par Nadia Kadri, encore en formation à l’Institut supérieur des métiers et des arts de scène (ISMAS), disputent la finale d’un concours. La lauréate gagnera «un homme». L’esprit «bachelor», du nom de cette télé-réalité à deux sous mondialisée par la chaîne américaine ABC, n’est pas loin.
Lâamria et Djamila entrent presque en conflit. Chacune défend son «époque», son «modèle» de vie et ses songes. L’Algérie est peut-être la nation où «la guerre» des générations est la plus visible. Et la plus cruelle aussi.
La génération de l’indépendance n’a jamais accepté de «lâcher» le pouvoir à tous les niveaux, celle des années 1970 et 1980 a été «sacrifiée» au profit de l’entretien de la rente et des privilèges et celle des années 1990 a été «écrasée» par les violences. Tout commence par un instrumental «technorisé» du tube de Boney M, Dady Cool.
Pour arriver au lieu du concours, Laâmria a payé une course 1200 DA à un taxi «clandestin». Dans un pays où les taxis choisissent les destinations à la place des clients, «les clandestins» jouent sur du velours. Le «débat» entre Laâmria et Djemlia monte en cadence.
«Moi, je ne fais rien, walou, je suis algérienne», lance Djamila. «Moi, je travaille le tour. Enfin, le tour pour ne pas dire chômage», reprend Laâmria. Deux «chômeuses» qui cherchent la protection d’un homme ! Mais qui se préoccupe du chômage des filles ?
Sacrée désunion
Des filles tenues de préparer «le trousseau» du mariage et le payer rubis sur l’ongle. Reprenant les identifiants sonores du jeu télévisé «Qui veut gagner des millions ?», le concours est lancé. «Une voix off» (celle de Yazid Sahraoui) assure l’évolution des deux candidates. Elle leur demande de simuler la rencontre avec un homme.
Laâmria s’est souvenue d’un fossoyeur beau et muet et Djamila d’un promeneur charmant et fou. La malchance ? Les deux prétendantes sont conviées à jouer un rôle. «Je refuse de le faire. Tu crois que n’importe qui peut monter sur scène et jouer la comédie. Chez nous, on se rappelle des comédiens que pendant le Ramadhan.
Vous n’aimez pas qu’on vous dise la vérité», proteste Laâmria, non sans qualifier la voix off de «boukhnouna». Outre la faiblesse des scénarios, la qualité médiocre des sketches chorba proposés par la télévision d’Etat, ce Ramadhan est également lié à la marginalisation des compétences et des talents. C’est la pause pub. «Pas de pub pour les étrangers, il faut encourager le made in bladi !», lance Laâmria.
La promo se fait alors pour une montre dont le réveil fonctionne avec une année de retard et une robe qui «vous chauffe l’été et qui vous refroidit l’hiver !».
La voix off relance : «Vous n’avez qu’à suivre ! Il y a un jury qui vous contrôle». Laâmria crie : «Naâm, naâm (oui, oui)». Partout, la culture du oui déborde comme de l’huile de friture d’un plat troué. Il faut suivre sans mot dire… Le concours aura une fin curieuse. Le ton de la pièce est amusant. Cela plaît au public.
Souad Sebki n’hésite pas à interpeller les présents et à improviser, créant une certaine interactivité. Il reste que la scénographie est tout juste modeste. Le décor est réduit à deux tabourets, deux planches sur lesquelles est dessiné un homme, un miroir (un autre symbole ?) et une pancarte sur laquelle est écrit «Finale».
Digeste mise en scène
Les effets sonores sont acceptables. Ce n’est pas le théâtre de l’absurde, c’est plutôt du comique acide, mais de cet acide qui n’abîme pas. Souad Sebki, qui a assuré la mise en scène, a évité de verser dans les lourdeurs du théâtre «donneur de leçons».
Elle a usé du langage de tous les jours, du dialecte algérien, pour dire certaines vérités que «le consensus national» de la bêtise et de l’indolence a mises sous la moquette. «J’ai voulu donner un peu de sel à la pièce et j’ai remarqué que le public a adhéré. Et le public aime rire. Cela dit, l’improvisation a des règles. Il ne faut pas faire de l’animation mais assurer une pièce de théâtre», nous a confié Souad Sebki dans les coulisses du TNA. Selon elle, Souk Erdjal est toujours «en rodage». «A part le théâtre, les comédiens n’ont plus leur place. A la télévision, nous sommes écartés. Aujourd’hui, il y a beaucoup de médiocrité dans le jeu et dans la discipline», a-t-elle ajouté. La pièce Souk Erdjal, qui est produite par l’association Le théâtre de Mohamed El-Yazid d’Alger, a déjà été présentée, entre autres, à Aïn Defla, Médéa, Tizi Ouzou. Avec la même association, Souad Sebki a monté une pièce pour enfants, Ghabet el ferha. Au TNA, elle a produit une autre pièce pour enfants, El moualim el fadhel.
Fayçal Métaoui